Le cinéma d'Hazanavicius, du pastiche au muet

The Artist, ou la maturité d'un cinéphile

The Artist

Détournement, pastiche : dans quelle catégorie peut-on classer le dernier film  d'Hazanavicius, The Artist ? De toute évidence, ce n'est pas un détournement, car le film possède sa vie propre et ne réutilise pas de bandes préexistantes, si ce n'est un film de Douglas Fairbanks remanié par ordinateur l'espace de quelques secondes. Il ne s'agit pas non plus à proprement parler d'un pastiche à la manière d'OSS 117, l'imitation stylistique n'ayant pas pour but ici de faire rire ou de jouer de codes connus pour les tourner en dérision.

The Artist relève avant tout de l'exercice de style : le film est entièrement muet, en noir et blanc et tourné en format 1,33, celui de l'époque qui s'apparente à un carré contrairement aux formats rectangulaires d'aujourd'hui. L'esthétique générale des films muets y est respectée à la lettre : majorité de gros plans, faible profondeur de champ, etc. On y trouve également des références pleinement assumées, comme cette séquence où le couple du héros Georges Valentin se décompose lentement autour d'un déjeuner, comme dans Citizen Kane. L'influence de Welles, et plus particulièrement de La splendeur des Amberson, se fait par ailleurs sentir tout au long du film, tant dans la figure du personnage principal (la lente déchéance d'un homme puissant) que dans la photographie assez proche du travail de Stanley Cortez, dans ce noir et blanc qui s'apparente plutôt à une variation de nombreux gris. D'autres références, plus ou moins clairement assumées, émaillent également le film, de cette séquence de projection qui évoque Chantons sous la pluie au surnom de « the girl you love to love » attribué au personnage de Bérénice Béjo (en référence à Erich Von Stroheim « the man you love to hate »).

Mais il ne s'agit là que de la partie visible de l'iceberg. The Artist, c'est avant tout la maturité de Michel Hazanavicius en tant que metteur en scène, capable à présent d'assimiler ses références et de les retranscrire sans que cela n'empiète sur le récit. Quand le personnage de Peppy Miller est éclairé de la même manière que Marlène Dietrich dans les films de Von Sternberg, c'est parce que toutes deux partagent cette caractérisation de femme forte et dominante, l'égale de l'homme, à la fois femme fatale et figure maternelle. Quand Jean Dujardin se retrouve dans un plan cadré de biais et au clair-obscur tranchant à la manière de l'expressionnisme, avec en plus cette division de l'écran en deux par une table de verre (offrant un personnage double), c'est parce que Georges Valentin sombre petit à petit dans une forme de folie. Tout cela est pourtant compréhensible sans avoir la moindre connaissance des cinéastes ou mouvements cités. La cinéphilie dans le cinéma d'Hazanavicius devient une sorte de bonus, de private joke avec The Artist, et non plus l'élément central du film à l'instar des OSS 117. Il n'est nul besoin de (re)connaître les traces de L'aurore et City Girl de Murnau ou de La Foule de King Vidor dans The Artist pour pouvoir pleinement apprécier ce dernier. Le film d'Hazanavicius ne devient plus évocation mais invocation d'une histoire du cinéma, The Artist ne se voulant pas une simple copie de film muet mais bien une œuvre à part entière, intemporelle, tentant à sa manière et malgré son époque de se placer au même rang que les authentiques films muets.

TheArtist 06 1299-TheArtist 05
TheArtist 02 TheArtist 01
The Artist

En l'espace de 20 ans, Michel Hazanavicius aura approché la cinéphilie dans sa filmographie  de manière de plus en plus audacieuse, renouvelant sans cesse son approche du cinéma de genre jusqu'à trouver sa propre personnalité au travers d'un ultime pied de nez, ce film muet et mélodramatique à l'ère des Avatar et autres blockbusters hollywoodiens. Il aura trouvé en Jean Dujardin un alter ego devant la caméra, lui aussi imprégné de figures mythiques tels Sean Connery et Jean-Paul Belmondo pour les OSS 117 et Douglas Fairbanks pour The Artist. Du coup, le fondement même de l'histoire de son dernier film, la longue et difficile transition d'un cinéma vers un autre semble être plus qu'une allusion au style d'Hazanavicius : le passage d'un cinéma grandiloquent, grimacier, outrancier à quelque chose de plus épuré, de plus « classique » (le film se termine sur un numéro de comédie musicale, genre hollywoodien classique par excellence) et pourtant de résolument postmoderne. Comme les travaux réalisés durant ses études. La boucle est bouclée.

Bastien Martin
Octobre 2011

crayongris


Bastien Martin est diplômé de l'ULg, Master en Arts du spectacle, finalité cinéma. Il débute une recherche doctorale consacrée au cinéma.

Page : précédente 1 2 3