Le cinéma d'Hazanavicius, du pastiche au muet

OSS 117 : du pastiche à la subversion

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Après un premier « vrai » film en 1999, Mes amis, qui s'avérera être un échec commercial, Michel Hazanavicius revient au cinéma en 2005 avec OSS 117 : Le Caire, nid d'espions. La première série des OSS 117 date des années 60, et la majorité des films furent réalisés par André Hunebelle (plus connu pour la série des Fantômas avec Jean Marais et Louis de Funès). Les films d'Hazanavicius se situent d'emblée dans la continuité à la fois esthétique et humoristique de la série d'origine. Du moins est-ce là la première impression qui découle des films ; il faut pourtant creuser plus loin que cela pour découvrir les véritables intentions cinématographiques des deux volets des années 2000.

De toute évidence, OSS 117 : Le Caire, nid d'espions trouve son inspiration dans les films de Hunebelle mais aussi dans James Bond contre Dr No, dans ce mélange d'exotisme et d'action, cette figure de l'espion au sourire carnassier et à la virilité affirmée. Mais si Hazanavicius s'inspire allègrement du film de Terrence Young, ce n'est pas tant pour sa figure de héros séducteur que pour toute la connotation socioculturelle qu'elle évoque : dans les films de l'époque, le machisme est largement mis en avant, James Bond étant le mâle dominant, à l'intelligence supérieure et à l'efficacité redoutable, et les femmes étant souvent limitées aux rôles de potiches ou d'objets de fantasmes. Si OSS 117 est si pathétique, c'est non seulement par son ignorance et sa maladresse mais c'est surtout parce qu'il évoque cette figure de James Bond universellement assimilée comme décrite précédemment. Quand Hazanavicius fait appel à une figure populaire, c'est avant tout pour la désacraliser, à la manière d'un Philippe de Broca quand il réalise en 1973 Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo, nom souvent associé par ailleurs à Jean Dujardin pour décrire son jeu. L'autre grand nom auquel on peut rattacher le film est sans conteste celui d'Alfred Hitchcock, tant l'influence du cinéaste britannique se fait sentir à chaque plan : L'homme qui en savait trop, bien sûr, mais également La mort aux trousses ou encore Vertigo. Cela se ressent au niveau esthétique, mais Hazanavicius va plus loin encore dans la référence : tout au long de sa carrière, Hitchcock s'est évertué à dépeindre un monde totalement cinématographique, éloigné de toute forme de réalité. En recourant à l'esthétique hitchcockienne tant au niveau des couleurs, des effets spéciaux (générique à la Saul Bass, transparences3 et nuits américaines4 récurrentes) et de la technique (plans majoritairement fixes, les seuls mouvements autorisés étant des travellings, comme dans les années 50), Hazanavicius place OSS 117 dans la lignée des grands films hollywoodiens totalement factices et s'assumant comme tels ; à l'heure du tout numérique et d'une certaine tendance au réalisme dans le cinéma français, il s'agit là d'un véritable pied de nez de la part du cinéaste.

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OSS 117 : Le Caire, nid d'espions

OSS 117 : Rio ne répond plus reprend à quelques différences près les mêmes ingrédients que le premier film. Si les clins d'œil à Hitchcock sont toujours visibles (la scène finale dans la statue du Christ Rédempteur sur le mont Corcovado fait écho à la fois à Vertigo et La mort aux trousses), c'est à l'esprit contestataire des films des années 60 qu'Hazanavicius fait référence. Plus que jamais, OSS 117 devient un film politique, à l'instar de cette comparaison au détour d'une réplique assassine entre la dictature militaire brésilienne et la politique de Charles de Gaule. D'un point de vue esthétique, Hazanavicius joue également de l'outrance des effets de style, comme les films des années 60, notamment dans l'utilisation du split-screen à l'instar de L'affaire Thomas Crown de Norman Jewison (1968).

Quinze ans après La classe américaine, Michel Hazanavicius s'est donc écarté du détournement pour atteindre ce qu'il convient d'appeler le pastiche : les OSS 117 ne sont ni des plagiats, ni des parodies, à peine des caricatures, avant tout des imitations de films d'antan. À travers ces deux films, c'est une autre forme d'hommage envers le cinéma que le cinéaste a voulu rendre, en détournant certains codes il est vrai mais en s'imposant surtout une conduite esthétique très claire : comme il le dit lui-même « si on me demande la trouvaille OSS, c'est qu'au lieu de reconstituer l'objet filmé – les décors, les costumes – j'ai reconstitué l'objet filmant - le découpage, la structure de lumière, la machinerie, le montage5. »


 

3 La transparence consiste à filmer les acteurs devant un écran projetant une image préalablement filmée ; dans le cinéma classique hollywoodien, cette technique était surtout utilisée pour illustrer un déplacement en voiture, celle-ci étant dans un studio tandis que défilait le paysage sur un écran derrière. 
4 La nuit américaine consiste à placer un filtre bleu devant la caméra, afin qu'une scène tournée en plein jour semble avoir été tournée en pleine nuit.
5 Cité par Thomas Sotinel, « Michel Hazanavicius : l'escroc qui aimait les détournements en tout genre », http://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/10/11/de-canal-au-grand-ecran-l-escroc-qui-aimait-les-detournements-en-tout-genre_1585745_3476.html, consulté le 16 octobre 2011

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