Cléopâtre et la médecine

Voici quelques recettes de Cléopâtre transmises par Galien2 :

pot

« Pour les alopécies. Après avoir broyé du réalgar, confectionnez (le remède) avec du gui de chêne, le plus possible, et, après avoir nettoyé (la région) au nitre, enduisez un linge et appliquez (...). Autre (remède) : scille, 1 drachme (environ 6 g), hellébore blanc, 1 drachme; broyez fin avec du vinaigre et, après avoir rasé et nettoyé au nitre, faites une onction » ;

« Autre (recette) pour augmenter rapidement, épaissir et noircir (la chevelure). Broyez du ladanum avec de l'huile et du vin doux et, la consistance une fois atteinte, faites une onction après avoir nettoyé (la région) » ;

« Autre (remède) pour les teignes. Broyez fin dans du vin de la myrrhe et des feuilles vertes de myrte blanc, et faites une onction ».

Ne nous étonnons pas qu'un traité de cosmétique soit considéré à l'époque comme un ouvrage médical et que de nombreux médecins, spécialement de cour, comme Criton, ou, plus tard, Galien, aient écrit sur la question.

D'après ce dernier, en effet, la cosmétique, « dont le but est de conserver au corps tout ce qui est naturel, d'où résulte sa beauté naturelle », fait partie de la médecine, tandis que l'art de la parure, « dont le but est de produire une beauté artificielle », en est exclu. Remarquons cependant qu'entre les deux, la frontière, très ténue, sera rarement respectée par les praticiens, qui, reconnaît Galien, sont souvent soumis à de rudes pressions de la part de leurs clients riches et puissants.

Quant aux liens entre la cosmétique, le Pays du Nil et Cléopâtre, ils tombent sous le sens : si, de tout temps, l'Égypte a été renommée pour ses drogues, ses onguents, ses parfums et l'excellence de sa médecine3, sa dernière reine incarne un idéal de beauté et de séduction.

D'autres écrits ont encore été attribués à Cléopâtre, comme, dès l'époque romaine, un traité Sur les poids et mesures et, au moyen âge, un traité de gynécologie, mais c'est une autre histoire...

Un nouveau témoignage papyrologique sur le Kosmètikon de Cléopâtre

Un papyrus grec d'Égypte édité très récemment4 apporte un témoignage nouveau sur l'ouvrage de cosmétique attribué à Cléopâtre. Daté paléographiquement du IIIe siècle de notre ère, il provient d'Oxyrhynque (actuel Behnesa)5, la « cité du poisson au nez pointu », qui est située sur le Bahr Youssouf, à plus de 300 km au sud d'Alexandrie. C'est précisément le site égyptien où l'on a retrouvé le plus grand nombre de papyrus grecs : plus de 500.000 !

Déchiré sur ses quatre côtés, le fragment de papyrus, qui mesure 15,5 cm de large sur 17,5 cm de long, provient d'un rouleau qui contenait un écrit consacré aux productions littéraires des rois hellénistiques et à leur authenticité. De cette oeuvre, dont l'auteur n'a pu être identifié, il ne reste que trois colonnes lacunaires soigneusement écrites, dont la première contient la phrase suivante (lignes 12-20) :


cleo

 

"Car le (traité) intitulé

Kosmètikon de

Cléopâtre

n'est pas de

la reine elle-même,

mais de quelqu'un qui a réper-

torié les (recettes) dont elle-même

se servait

pour ses soins. Alors (lacune)".

 

 

Cléopâtre est-elle l'auteur du Kosmètikon ou seulement l'auteur des recettes qui y sont contenues, ou encore seulement leur utilisatrice ? Rien ne nous permet de trancher, mais le papyrus d'Oxyrhynque prouve qu'au IIIe siècle, des doutes étaient émis quant à l'authenticité du Kosmètikon.

Aujourd'hui encore...

Alors que je présentais une conférence sur Les papyrus médicaux grecs à l'Università degli Studi de Lecce, en juillet 2006, un dermatologue italien m'a demandé si, dans les textes que j'étudiais, j'avais retrouvé LA recette de Cléopâtre, car il souhaitait la reconstituer et la commercialiser.

Devant mes dénégations et les réserves que j'émettais de toute manière sur l'identification correcte des substances à utiliser, il a conclu, d'un air désabusé, que je désirais manifestement garder le secret sur ce sujet.  


Marie-Hélène Marganne
Mai 2009

 

icone crayon

Marie-Hélène Marganne enseigne la papyrologie littéraire à l'ULg, où elle dirige le Centre de Documentation de Papyrologie Littéraire (CEDOPAL). Ses recherches portent également sur l'histoire de la médecine.

 

Voir aussi : Anne-Lise Vincent, Édition, traduction et commentaire des fragments grecs du Kosmètikon attribué à Cléopâtre, Mémoire de maîtrise, Université de Liège, année académique 2010-2011

 



4 P. Oxy. 71.4809 = MP3 2202.02 : P.J. Parsons, The Oxyrhynchus Papyri, LXXI (London, 2007), pp. 36-44 et pl. V.
5 Pour de plus amples renseignements sur Oxyrhynque, voir P. Parsons, City of the Sharp-Nosed Fish. Greek Lives in Roman Egypt, London, 2007, traduit en français par A. Zavriew sous le titre La cité du poisson au nez pointu. Les trésors d'une ville gréco-romaine au bord du Nil, Paris, Lattès, 2009 ; A.K. Bowman - R.A. Coles - N.Gonis - D. Obbink - P.J. Parsons (éd.), Oxyrhynchus. A City and its Texts, London, 2007, ainsi que le site des "POxy - Oxyrhynchus Online!", à l'adresse http://www.papyrology.ox.ac.uk/POxy

Page : previous 1 2