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Conversation avec Yves Namur, médecin, poète, éditeur et académicien

14 May 2009
Conversation avec Yves Namur, médecin, poète, éditeur et académicien

Depuis 1977, Yves Namur partage son temps entre la médecine et la poésie. Entre 12 et 14 heures par jour sont réservées aux patients. Le reste ne se compte pas en temps humain mais en temps et en espace « amour et passion ».

yves namur

Yves Namur obtient son diplôme de médecine en 1977.

C'est Le livre des sept portes qui va lui valoir, en 1992, le prix Jean Malrieu. Il rencontre à cette occasion à Marseille le poète argentin Roberto Juarroz, le lauréat étranger de la même distinction. Ce sera le point de départ d'une amitié littéraire. La bibliographie est riche d'une quarantaine de titres, dont plusieurs éditions bibliophiles... Yves Namur sera lauréat de nombreux prix littéraires parmi lesquels les prix Charles Plisnier, Robert Goffin et Louise Labé.

En 2001, il est élu à l'Académie où il occupe le siège de Georges Sion et de Jules Destrée. Liliane Wouters, dans son discours de réception, s'adressait à lui en ces termes : « Votre poésie touche les âmes dans leur région les plus secrètes, leur fait entendre ce qu'elles-mêmes ne peuvent exprimer, laisse en elles une empreinte durable et quelquefois, elle arrive même à les transformer ».

photo © Anne-Françoise Namur

Enfin, Yves Namur est aussi éditeur, à la tête des éditions du Taillis Pré qu'il anime depuis 1984.

On vous connaît comme un des rares poètes belges à éditer régulièrement en France, aux Éditions Les Lettres Vives.  Quel est votre parcours éditorial ?

J'ai commencé à publier mes premiers poèmes au début des années septante : beaucoup de petites plaquettes, par exemple à l'enseigne de l'Atelier de la soif étanche à Grivegnée ou au Fond de la ville de Jean-Claude Legros, de beaux livres imprimés sur sa presse à bras. Les livres de cette période-là sont à ranger dans mon « travail de laboratoire », plus soucieux que j'étais alors de travailler la langue que le sens ou la quête de sens (Le voyage en amont de ( ) vide en est l'exemple même). Un passage obligé que je compte rééditer sous le titre général de « Un poème avant les commencements ».

Au début des années nonante paraît Fragments de l'inachevée aux Éperonniers, et c'est pour moi une nouvelle ère qui s'ouvre, avec cette fois des livres tournés vers l'homme, son lot de questions et notre inlassable quête.

Je mesure le privilège d'être suivi par un éditeur exigeant comme Lettres Vives.Je dirais qu'il y a là, pour la poésie, une famille de « métaphysiciens », au sens même où ces auteurs sont toujours en quête du « sens ». Ce sont des livres qu'on aime toucher, regarder, dont il faut encore couper les pages. C'est un peu tout cela qui me retient chez cet éditeur... et puis je m'y sens bien, comme en famille.

Quel est, parmi les prix que vous avez reçus, celui qui vous tient le plus à coeur ?

Disons que le Prix Tristan Tzara et le Prix de la Communauté française, décernés tous deux aux  Ennuagements du coeur  ont salué un livre auquel je tiens particulièrement. Le Prix international Eugène Guillevic me fut décerné en 2008 pour l'ensemble de l'œuvre et cela honore bien sûr celui qui le reçoit... puisqu'il fut donné avant moi à des auteurs comme Bernard Noël, Meschonnic, André- Pierre de Mandiargues, Follain, Tardieu...  Mais le plus important n'est-il pas d'écrire ? Ecrire et lire l'autre, voilà à mes yeux ce qui a vraiment un sens... et un prix !

Est-il fréquent qu'un médecin ait une activité littéraire ? Comment réagissent vos patients ?

yves namur

On connaît Lorand Gaspar, qui est chirurgien. Pensons aussi à Céline, à Breton qui devait hélas interrompre ses études de médecine, ou comme Paul Celan que l'histoire aura empêché de devenir médecin. Plusieurs romanciers étaient médecins ou le sont. Savez-vous que Sir Arthur Conan Doyle, l'auteur de Sherlock Holmes, était un médecin réputé au XIXe siècle ? Sous la lampe rouge est un merveilleux livre de nouvelles où la médecine et les malades sont au cœur de l'écriture.

En ce qui me concerne, je ne crois pas qu'il y ait de véritables liens entre les deux activités. Si ce n'est peut-être aujourd'hui le regard que je porte sur l'homme, sa souffrance, sa douleur et sa mort. La mort, voilà peut-être le dénominateur commun entre médecine et poésie.

photo © Anne-Françoise Namur 

Je dois avouer que jusque dans les années nonante, je cachais assez volontiers ce « vice » pour la poésie... jusqu'au jour où des patients sont tombés sur mon nom dans le Dictionnaire des Belges ! Il m'arrive parfois d'entendre des patients me dire qu'ils sont fiers d'avoir un médecin qui écrive des livres ! Etonnant non ? Même s'ils en ignorent certainement le contenu ! Par contre cela m'autorise à déposer dans ma salle d'attente des tas de revues de poésie plutôt que de la presse féminine sans goût ! Et curieusement les gens lisent, questionnent ou emportent des revues. Ma salle d'attente est une « aubette à poèmes » que l'on emporte pour mon plus grand plaisir.

Il y a l'un ou l'autre patient qui écrit, des voisins aussi... mais je dois humblement avouer que cela me gêne de parler littérature avec eux qui presque toujours n'ont rien lu de la poésie contemporaine. Parfois il m'arrive d'oser dire : « allez lire telle ou telle anthologie ». Un journaliste, qui était aussi mon patient, a écrit cela dans son journal La nouvelle Gazette : « Quand nous donnera-t-il sur ses ordonnances des poèmes plutôt que des médicaments ». Les journaux médicaux ont rendu compte de mon entrée à l'Académie. Certains collègues, je le sais, lisent mes livres, « Dieu ou quelque chose comme ça » en particulier, peut-être parce que c'est une prose plus abordable que la poésie.

Quel regard portez-vous sur votre parcours en poésie, au fil du temps, et en particulier sur vos rencontres avec le poète Jacques Izoard et le "groupe de Liège" des années 70...

C'est étrange ce regard rétrospectif qui fait déjà de soi-même un objet dans le temps ! Il me semble pourtant que cela s'est passé il y a si peu de temps ou plutôt que tout cela est encore du présent. Mes premières influences belges étaient les Miguel, Fernand Verhesen et Jacques Izoard. Ce sont Cécile et André Miguel qui m'ont tout donné, comme ils l'ont fait avec Hubin, Verheggen ou Crickillon. Que de livres reçus ! Et toujours chez eux cet apprentissage du multiple, de la voix diverse. Je dirais qu'ils m'ont « élevé », comme on apprend les bonnes manières à un enfant ou ce qu'il ne faut pas faire. J'avais 18 ou 19 ans et je tombais dans ce milieu-là de la création. Quel bonheur !

Fernand Verhesen fut tout un temps le passeur dont j'avais aussi besoin. J'étais attiré par sa « mise en page » du poème, la place du poème dans l'espace, les possibilités qu'offraient le blanc ou le vide. Ce fut la tentation du minimalisme auquel j'ai pleinement souscrit...

Quant à Jacques Izoard, il fut pour moi la découverte du pouvoir et de la richesse du « mot ». Il n'y a que lui pour avoir fait vivre ainsi un mot ou une image. Vêtu, dévêtu, libre est un chef d'œuvre et un cadeau pour notre génération d'écrivains. Encore fallait-il la force de s'en éloigner ou de l'assimiler sans pour autant l'imiter purement et simplement comme ce fut le cas pour de nombreux poètes liégeois de l'époque.

En prenant quelque peu de la hauteur je dirais que mes maîtres furent et sont encore Jabès, Juarroz, Rilke et Celan. En poésie, on travaille toujours sur des ruines, mais quelles ruines !

Votre maison d'édition Le Taillis Pré, votre itinéraire poétique, c'est aussi une histoire d'amitiés. Les poètes que vous publiez semblent former une véritable famille...

Liliane Wouters, c'est d'abord la grande sœur, la confidente, l'amie. Celle aussi par qui j'ai pu entrer dans « la forme fixe » d'un poème sans me rebeller. Liliane Wouters, c'est aussi cet admirable Journal du scribe qui m'a rapproché d'elle, son livre inspiré comme elle le dit elle-même. Et puis nous avons en commun cette passion de l'anthologie... Le Taillis Pré, c'est aussi une famille, assez ouverte il est vrai. Avec ce noyau dur fait de Gaspard Hons, Michel Lambiotte, Philippe Jones ou Verhesen. En y ajoutant Izoard que j'ai publié à deux reprises (j'aurais aimé plus)... Voilà probablement le socle local du Taillis Pré, un Taillis Pré ouvert au monde : des publications de Cummings, Juarroz, Eliraz, etc.

yves namur

Comment expliquez-vous votre goût pour les anthologies d'une part et l'édition d'autre part ?

Ma toute première anthologie, je l'ai composée quand j'avais une vingtaine d'années... C'est un « vice » que d'être anthologiste ou comme j'aime à le dire parfois « entomologiste poétique ». Une passion de la découverte, de la redécouverte, parfois un travail d'archéologue... toujours lire et relire, avec un regard qui peut changer avec le temps. La dernière en date de ces anthologies est consacrée aux voix nouvelles. La nouvelle poésie française de Belgique, une lecture de poètes nés après mai 68. « La poésie moderne est loin de ses demeures possibles » écrivait quelque part Yves Bonnefoy.

 

photo © Anne-Françoise Namur

Certes l'oralité ou le quotidien ont pris une place prépondérante durant ces dernières années... et je ne suis pas certain que ce soit toujours pour le meilleur.

Un texte résiste parfois bien difficilement à l'épreuve du papier, la scène se sert d'autres artifices, le papier, lui, est terrible.

Tous les auteurs du catalogue Taillis Pré sont une part de ma fierté, autrement ils ne figureraient au catalogue de l'édition. Aucun compromis à ce sujet ! Même avec les amis ou les confrères de l'Académie, surtout pas avec eux !

Votre récent essai poétique « Dieu ou quelque chose comme ça - Petit traité d'un agnostique ou à tout le moins de quelqu'un qui se croyait ainsi bâti. » contient-il une part de votre vécu, tant professionnel que spirituel ?

C'est un livre qui n'est ni poésie, ni réflexions, ni philosophie... et pourtant un peu de tout ça à la fois. Jabel El Gharbi à Tunis a évoqué ce petit livre de la manière suivante : « il y a dans ce livre assez de doute pour que la foi ne soit pas signe d'intolérance et assez de foi pour que la laïcité ne soit pas une nouvelle religion ». C'est une formule qui me convient parfaitement...

C'est un livre du doute, en quelque sorte un hommage au doute qui m'habite toujours. Le lien entre les deux pôles de mon activité : la mort, comme sujet de réflexion, la mort qui nous préoccupe tous... et qui inévitablement vous fait évoquer l'au-delà et son possible. « Dieu ne règne que sur le possible. Il n'a aucune place dans le réel » écrit Roger Munier. Une suite est déjà écrite. Un troisième volet autour du thème de la neige est en cours d'écriture, mais le temps me manque pour achever cette partie qui tourne dans ma tête... Quant à évoquer une publication qui rassemblerait ces différentes parties, oui, deux éditeurs se sont déjà manifestés mais il est prématuré d'en parler.

yves namur

Qu'est-ce qu'un « jeune » écrivain fait à notre Académie de langue et de littérature françaises de Belgique ? Comment vous y sentez-vous ?

J'ai été appelé à l'Académie assez tôt puisque j'avais 49 ans. Peut-être les « immortels » avaient-ils besoin d'un médecin pour soigner les corps ! L'Académie c'est d'abord un service que l'on peut rendre aux autres et tout particulièrement aux jeunes poètes. Être à l'écoute de ce qui se fait, encourager les auteurs prometteurs, faire obtenir une subvention ou tel prix qui serve d'encouragement, c'est un devoir, me semble-t-il. En tout état de cause, je m'y sens aujourd'hui comme un poisson dans l'eau. Les communications sont pour moi un enrichissement personnel. Parler de Paul Celan ou bientôt d'Ernest Delève est important.

photo © Monsieur Lossignol

Si c'était à refaire, choisiriez-vous plutôt des études de lettres ?

J'avais beaucoup hésité avant d'entreprendre des études de médecine. Le droit, l'institut des arts et diffusion, la philologie romane...tout cela me passionnait. Et puis j'ai fait le choix de ce qui était le plus long dans un cursus d'étudiant. Sept années ! Mais je me souviens que durant les trois premières années de mes études je fréquentais beaucoup le cercle Le Bateau ivre à Louvain, bastion des étudiants en philosophie et lettres. Je referais la médecine, mais une spécialité qui m'aurait laissé du temps libre... la dermatologie aurait été mon domaine. Dans une autre vie peut-être.

Tout compte fait, que vous a apporté la poésie ?

Une raison de vivre mieux, un cadeau que d'entendre les voix des poètes, un monde foisonnant. J'ai souvent pensé aussi que le « burn out » dont sont atteints nombre de mes confrères m'était peut-être épargné par la poésie (et l'amour). Je me suis un jour exprimé devant un parterre de confrères qui étudiaient, comme moi, le sujet, les réactions à avoir devant cette situation. Apprendre à dire « non » disait le conférencier, « apprendre à être passionné » lui ai-je répondu... Et un éminent confrère neurologue de m'approuver et de me dire : «  vous auriez dû parler de la poésie » ! Voilà un lien invisible entre l'une et l'autre activité. Ecrire, que ce soit de la poésie ou du roman, c'est souvent une quête vers soi-même. Une chose est certaine : pour moi l'écriture d'un poème ne peut se faire que dans « le manque », qui peut être de plusieurs ordres mais qui est capital dans mon processus d'écriture. Je pense que les choses doivent toujours rester « inachevées », comme un poème est souvent une entreprise inachevée... ce qui ouvre au grand regard, au « grand Réel » de René Char... La poésie, oserais-je dire en conclusion, est aussi une règle de vie, comme une règle monastique. Avec ses franciscains, ses assomptionnistes, ses trappistes, ses dominicains... ses rebelles, ses hérétiques et ses barbares !

Karel Logist
Mai 2009

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Karel Logist est écrivain, poète, chroniqueur et préside l'asbl Le Fram au sein de laquelle il organise notamment des rencontres littéraires.


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