Conversation avec Yves Namur, médecin, poète, éditeur et académicien
yves namur

Comment expliquez-vous votre goût pour les anthologies d'une part et l'édition d'autre part ?

Ma toute première anthologie, je l'ai composée quand j'avais une vingtaine d'années... C'est un « vice » que d'être anthologiste ou comme j'aime à le dire parfois « entomologiste poétique ». Une passion de la découverte, de la redécouverte, parfois un travail d'archéologue... toujours lire et relire, avec un regard qui peut changer avec le temps. La dernière en date de ces anthologies est consacrée aux voix nouvelles. La nouvelle poésie française de Belgique, une lecture de poètes nés après mai 68. « La poésie moderne est loin de ses demeures possibles » écrivait quelque part Yves Bonnefoy.

 

photo © Anne-Françoise Namur

Certes l'oralité ou le quotidien ont pris une place prépondérante durant ces dernières années... et je ne suis pas certain que ce soit toujours pour le meilleur.

Un texte résiste parfois bien difficilement à l'épreuve du papier, la scène se sert d'autres artifices, le papier, lui, est terrible.

Tous les auteurs du catalogue Taillis Pré sont une part de ma fierté, autrement ils ne figureraient au catalogue de l'édition. Aucun compromis à ce sujet ! Même avec les amis ou les confrères de l'Académie, surtout pas avec eux !

Votre récent essai poétique « Dieu ou quelque chose comme ça - Petit traité d'un agnostique ou à tout le moins de quelqu'un qui se croyait ainsi bâti. » contient-il une part de votre vécu, tant professionnel que spirituel ?

C'est un livre qui n'est ni poésie, ni réflexions, ni philosophie... et pourtant un peu de tout ça à la fois. Jabel El Gharbi à Tunis a évoqué ce petit livre de la manière suivante : « il y a dans ce livre assez de doute pour que la foi ne soit pas signe d'intolérance et assez de foi pour que la laïcité ne soit pas une nouvelle religion ». C'est une formule qui me convient parfaitement...

C'est un livre du doute, en quelque sorte un hommage au doute qui m'habite toujours. Le lien entre les deux pôles de mon activité : la mort, comme sujet de réflexion, la mort qui nous préoccupe tous... et qui inévitablement vous fait évoquer l'au-delà et son possible. « Dieu ne règne que sur le possible. Il n'a aucune place dans le réel » écrit Roger Munier. Une suite est déjà écrite. Un troisième volet autour du thème de la neige est en cours d'écriture, mais le temps me manque pour achever cette partie qui tourne dans ma tête... Quant à évoquer une publication qui rassemblerait ces différentes parties, oui, deux éditeurs se sont déjà manifestés mais il est prématuré d'en parler.

yves namur

Qu'est-ce qu'un « jeune » écrivain fait à notre Académie de langue et de littérature françaises de Belgique ? Comment vous y sentez-vous ?

J'ai été appelé à l'Académie assez tôt puisque j'avais 49 ans. Peut-être les « immortels » avaient-ils besoin d'un médecin pour soigner les corps ! L'Académie c'est d'abord un service que l'on peut rendre aux autres et tout particulièrement aux jeunes poètes. Être à l'écoute de ce qui se fait, encourager les auteurs prometteurs, faire obtenir une subvention ou tel prix qui serve d'encouragement, c'est un devoir, me semble-t-il. En tout état de cause, je m'y sens aujourd'hui comme un poisson dans l'eau. Les communications sont pour moi un enrichissement personnel. Parler de Paul Celan ou bientôt d'Ernest Delève est important.

photo © Monsieur Lossignol

Si c'était à refaire, choisiriez-vous plutôt des études de lettres ?

J'avais beaucoup hésité avant d'entreprendre des études de médecine. Le droit, l'institut des arts et diffusion, la philologie romane...tout cela me passionnait. Et puis j'ai fait le choix de ce qui était le plus long dans un cursus d'étudiant. Sept années ! Mais je me souviens que durant les trois premières années de mes études je fréquentais beaucoup le cercle Le Bateau ivre à Louvain, bastion des étudiants en philosophie et lettres. Je referais la médecine, mais une spécialité qui m'aurait laissé du temps libre... la dermatologie aurait été mon domaine. Dans une autre vie peut-être.

Tout compte fait, que vous a apporté la poésie ?

Une raison de vivre mieux, un cadeau que d'entendre les voix des poètes, un monde foisonnant. J'ai souvent pensé aussi que le « burn out » dont sont atteints nombre de mes confrères m'était peut-être épargné par la poésie (et l'amour). Je me suis un jour exprimé devant un parterre de confrères qui étudiaient, comme moi, le sujet, les réactions à avoir devant cette situation. Apprendre à dire « non » disait le conférencier, « apprendre à être passionné » lui ai-je répondu... Et un éminent confrère neurologue de m'approuver et de me dire : «  vous auriez dû parler de la poésie » ! Voilà un lien invisible entre l'une et l'autre activité. Ecrire, que ce soit de la poésie ou du roman, c'est souvent une quête vers soi-même. Une chose est certaine : pour moi l'écriture d'un poème ne peut se faire que dans « le manque », qui peut être de plusieurs ordres mais qui est capital dans mon processus d'écriture. Je pense que les choses doivent toujours rester « inachevées », comme un poème est souvent une entreprise inachevée... ce qui ouvre au grand regard, au « grand Réel » de René Char... La poésie, oserais-je dire en conclusion, est aussi une règle de vie, comme une règle monastique. Avec ses franciscains, ses assomptionnistes, ses trappistes, ses dominicains... ses rebelles, ses hérétiques et ses barbares !

Karel Logist
Mai 2009

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Karel Logist est écrivain, poète, chroniqueur et préside l'asbl Le Fram au sein de laquelle il organise notamment des rencontres littéraires.

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