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Saucisse de Bologne

15 septembre 2011
Saucisse de Bologne

La saucisse fait partie du patrimoine culinaire hérité des Romains. Dans le pseudo-Apicius (4e siècle), on trouve des recettes de boyaux farcis très proches de nos saucisses et boudins. Le botellum – le boudin – se confectionne avec des jaunes d'œufs, des pignons, de l'oignon, du poireau haché, une sauce non précisée et du poivre. La saucisse de Lucanie – ancienne province de la Basilicate, au sud de l'Italie – est fumée. Elle se compose d'un boyau étroit farci de poivre, de cumin, de sarriette, de rue, de persil, de bais de lauriers et de garum bien pilés qu'on mélange à la viande hachée finement, des grains de poivre entiers, de la graisse et des pignons de pin. D'autres saucisses, cuites à l'eau puis grillées, se composent de cervelle ou d'un mélange de semoule et de viande hachée1.

La viande de porc et, de surcroît, la saucisse, traversent triomphalement le Moyen Âge à partir de l'ère carolingienne. À Paris, les saucisses sont confectionnées par les cuisiniers-oyers – rôtisseurs d'oies –, selon le statut octroyé par le prévôt Étienne Boileau au 13e siècle2. C'est d'ailleurs dans ce statut qu'apparaît pour la première fois le terme saucisse en français3. Dans les menus du Ménagier de Paris – 1392-1394 –, la saucisse se déguste avec les petits pâtés et les fruits frais avant le premier service, en guise d'apéritif4. Cette dernière se compose de chair de porc hachée finement, par le pâtissier, précise l'auteur, de fenouil et de poudre fine, à savoir une mélange de gingembre, de cannelle, de clous de girofle et de sucre5.

Bien entendu, les livres italiens, dès le Liber de coquina – début 14e siècle – livrent des recettes de saucisse. En outre, en Italie, la volonté de dessiner une carte régionale des spécialités est apparue très tôt. Ainsi, en 1548, Ortensio Lando publie Commentario delle più notabili e mostruose cose d'Italia e d'altri luoghi (Commentaire des plus remarquables et prodigieuses choses d'Italie et d'autres lieux) où il décrit les spécialités de toutes les régions italiennes, dont le déjà fameux saucisson de Bologne :

Je ne veux pas oublier de vous avertir qu'à Bologne on confectionne les meilleures petites saucisses qu'on n'ait jamais mangées ; on les mange crues, on les mange cuites et elles éveillent l'appétit à n'importe quelle heure (...) béni en soit l'inventeur, moi je baise et adore ces vertueuses mains.6

Par la suite, on verra fleurir des recettes de saucisses de Bologne à travers l'Europe. En France, on a tendance à confondre Bologne et Boulogne, comme en témoigne Le Grand cuisinier de toute cuisine, vers 1543, avec sa Saulcisse de Boulongne7. Cette habitude perdurera. En 1607, dans le Thresor de santé, on rencontre encore la « saucisse de Boulogne ». Mieux encore, les dictionnaires français-italien traduisent salame di bologna par « saucisson de Boulogne »8. L'expression est d'ailleurs adoubée par le Dictionnaire de l'Académie française en 17659. Cela n'empêchera pas un journaliste de La Meuse, en 1856, de s'insurger contre ce qu'il considère comme une erreur trop souvent répétée chez les marchands forains :

Disons, en passant, qu'on appelle ici un peu trop généralement le saucisson de Bologne saucisson de Boulogne. Ni Boulogne, petit village des environs de Paris, ni Boulogne, port de la Manche, patrie de M. Jules Lecomte, n'ont jamais trempé les mains dans la fabrication de cet intéressant comestible ; c'est à Bologne État du Pape, célèbre par... mais je crois que voilà assez de pédantisme comme cela10.

Cette réaction de la part d'un belge n'est pas étonnante, vu que chez nous, le terme « saucisse de Bologne » est respecté depuis Lancelot de Casteau.

Le témoignage d'Ortenso Lando nous apprend que la saucisse se mange de toutes les manières à Bologne. À l'étranger, la saucisse de Bologne est associée à la saucisse sèche. La Saulcisse de Boulongne du Grand cuisinier, tout comme celle de Lancelot et du Thresor de santé, est une saucisse sèche. Dans The accomplisht Cook – 1685 – du queux Robert May, elle est séchée puis fumée11. Par la suite, la saucisse de Bologne est communément fumée, comme c'est encore le cas dans le Cuisinier royal – 1820 – de Viard12. La saucisse de Lancelot, fidèle à son époque, offre une tonalité de cannelle qui disparaîtra par la suite.

La recette

La saucisse de Bologne de l'Ouverture de cuisine se confectionne avec du boyau de bœuf et est très large. Comme nous travaillons de petites quantités, nous avons réalisé cette saucisse dans des boyaux de porc, plus étroits.

Pour faire saulsisse de Bologne

Prennez six livres de chair de porc un peu grasse, & la coupez par tranches, & la mettez en un drap, mettez la dans une presse pour presser le sang dehors, & la laissez une heure en presse tant que le sang soit tout dehors, puis la hacherés grossement, point trop menu, mettés dedans quatre onces de sel, une once de poivre, estampés grossement, une once de canelle bien pulverisée par fin tamier, & meslés tout ensemble avec le sel, & mettés dedans la chair, & prennez huict onces de vin d'Espaigne, & meslez le bien avec les mains une demye heure, que tout soit bien encorporé dedans la chair, puis prennez des boyaux de boeuf selon la grosseur que voulés avoir les saulcisses, puis les emplissez de chair si fort que pouvez, & aiez une grosse eplingue en main pour tousiours percer le boiau, afin qu'il ny ait point de vent dedans, & que la chair soit bien serrée, puis liés le boyau bien ferme dessus & dessous de la longueur que voulez avoir les saulcisses, puis ayez un chaudron d'eau bouillante sur le feu, & faictes boulir les saulsisses dedans trois ou quatre bouillons, & les tirez dehors, puis les pendez a la cheminée cinq ou six iours tant quils soient bien seiches13.

Ingrédients

 

saucisse1

 

La recette de saucisse de Bologne de Lancelot de Casteau est réalisée sur une base de 2,8 kg de porc. Le Olla Podrida nécessite deux saucisses de Bologne, soit 5,6 kg de porc. Nous avons divisé les proportions par 8, soit les proportions de la recette par 4.

700 g de porc et de porc gras, 30 g de sel, 7,5 g de poivre, 7,5 g de cannelle en poudre, 6 cl de vin blanc, boyaux de bœuf

Mise en place

saucisse2

  • Hacher le porc grossièrement avec le sel, le poivre et la cannelle.
saucisse3
  • Broyer grossièrement le poivre.
saucisse4
  • Bien mélanger la chair avec le vin et les épices. Tout doit être parfaitement incorporé avec la chair.
saucisse5
  • Remplir les boyaux au maximum de chair. Trouer le boyau en plusieurs endroits. Il ne peut y avoir d'air à l'intérieur et la chair doit être bien serrée.
saucisse6
  • Bien lier le boyau à la hauteur voulue.
  • Faire bouillir les saucisses 2, 3 minutes.
saucisse7

Les retirer du feu et les pendre afin de les laisser sécher pendant 6 jours.


 

1 Apicius, L'art culinaire, texte établi, traduit et annoté par Jacques André, Paris, 2007, p. 17, 18.
2 Adolphe Chéruel, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, t. 1, Paris, 1855, p. 243, col. 1.
3 T.L.F.
4 Liliane Plouvier, L'Europe à table, t. 2, Bruxelles, 2003, p. 32.
5 Le Mesnagier de Paris, Texte édité par Georgina E. Brereton et Janet M. Ferrier, Paris, 1994, p. 798, 799.
6 Alberto Capatti, Massimo Montanari, La cuisine italienne, histoire d'une culture, Paris, 2002, p. 46.
7 Le grand cuisinier de toute cuisine, Paris, f° 34, v°, f° 35, r°.
Livre fort excellent, f°32, v°, f° 33, r°.
8 Giovanni Veneroni, Dittionario italiano e francese, Dictionnaire italien et françois, Venise, 1698, p. 644, col. 1.
9 Dictionnaire de l'Académie française, t. 2, Paris, 1765, p. 478, col. 1.
10 La Meuse, lundi 17 novembre 1856, p. 3, col. 3.
11 Voir la version intégrale du texte sur : http://www.gutenberg.org/catalog/world/readfile?fk_files=1529847.
12 Alexandre Viard, Le cuisinier royal, Paris, 1820, p. 200.
13 Lancelot de Casteau, Ouverture de cuisine, Liège, 1604, p. 46, 47.

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