Georges Simenon
Photos © Michel Houet - ULg
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Est-il nécessaire de présenter ici Georges Simenon ? Né à Liège en 1903 et décédé en 1989 à Lausanne, Simenon est le père d'une œuvre qui étonne d'abord par sa quantité : 192 romans signés de son nom (dont 75 Maigret), 12 recueils de nouvelles, un bon millier d'articles, près de 200 romans populaires publiés sous pseudonyme (romans sentimentaux, humoristiques, coquins, policiers ou d'aventures) et une trentaine de reportages, à quoi s'ajoute la série des Dictées. Mais cette œuvre ne vaut pas seulement par sa quantité, elle séduit aussi et surtout par sa qualité, sans doute particulièrement sensible dans les romans « durs », appelés aussi « romans de la destinée ». Simenon y traque l'homme nu, le fond d'humanité qui réside en chacun de nous, et excelle dans la peinture de périodes de crises grâce auxquelles un individu prend conscience de son existence et, éventuellement, cherche à en changer.

Comme chacun sait, Simenon a interrompu très tôt sa carrière scolaire pour se lancer dans le journalisme. Mais, le 22 mai 1973, il a reçu le titre de Docteur honoris causa de l'Université de Liège des mains du Recteur Welsch. Voici le discours prononcé à cette occasion par le professeur Maurice Piron, qui fut l'instigateur de cette initiative, et qui devint par la suite un grand ami de l'écrivain :

« Il peut paraître un peu étrange, à première vue, de présenter pour le titre de docteur honoris causa une personnalité qui n'appartient pas au monde universitaire. On sait qu'il existe des dérogations à cet usage à Liège comme dans les autres universités de Belgique et de l'étranger. Si la proposition qu'au nom de la Faculté de Philosophie et Lettres, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui peut se réclamer de ces précédents, elle offre, par ailleurs, des aspects qui lui sont tout à fait particuliers.

Il s'agit d'un écrivain, mais qui se recommande à l'attention de notre faculté liégeoise par des titres exceptionnels.

On pense en premier lieu à la célébrité de Georges Simenon. Il est de fait qu'il est actuellement le romancier le plus répandu et, suivant le recensement annuel de l'Unesco, le plus traduit : on peut le lire en vingt-huit langues différentes. Ses tirages n'ont été dépassés que par Mao Tsé-toung, Lénine et la Bible...

Cette extraordinaire diffusion pourrait ne consacrer que le succès de romans destinés à la partie du public que sollicite la production en série plutôt que la littérature de qualité. Il n'en est rien, car l'audience de Simenon touche tous les publics, y compris ceux des écrivains les plus exigeants. Faut-il rappeler l'admiration vouée à ses livres par André Gide, François Mauriac, Roger Martin du Gard, Max Jacob, Robert Kemp, pour ne citer que quelques Français d'hier ?

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Mais le plus surprenant est ailleurs : dans le régime de création soutenu depuis près d'un demi-siècle dans l'abondance d'une production qui comprend, en ne comptant pas les romans populaires de la première période, quelque deux cent douze titres. L'édition qui s'achève en ce moment des Œuvres complètes de Simenon forme un ensemble de septante-deux volumes répartis en deux séries : la série des romans dits psychologiques, la série, moins nombreuse, des Maigret.

Rien que par ces données, objectives, aisément vérifiables, le cas Simenon, comme on se plaît à dire, constitue un phénomène sans analogue dans l'histoire littéraire.

J'ouvre ici une parenthèse pour signaler que, durant la présente année académique, quatre cours de licence, organisés dans la chaire de « philologie et littérature françaises » ont traité, chacun selon son objet propre, de l'œuvre de Simenon. Ce sont : la littérature française de Belgique, la sociologie de la littérature, l'étude des genres paralittéraires et l'explication approfondie d'auteurs français (partie contemporaine).

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Il ressort de ces différents modes d'approche que l'œuvre de Simenon forme un univers qui a ses lois propres, et que les grands romans qui en constituent les sommets résistent à l'examen le plus critique. Nullement homme de lettres, mais romancier à l'état pur, l'auteur du Testament Donadieu, de La neige était sale, Le Fils, Les Anneaux de Bicêtre, etc. a découvert, grâce à l'intuition d'un art apparemment fait de détails, une certaine vérité de l'homme – surtout de l'homme en rupture avec sa personnalité ou son entourage – qu'on n'avait pas encore atteinte à ce degré de profondeur, du moins dans la tradition romanesque française. Médecins, psychologues, criminologistes ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : les témoignages abondent. En même temps, par l'ampleur d'un don d'observation, qui s'est porté sur les milieux les plus variés, cette œuvre apparaît comme une immense fresque de la société d'aujourd'hui. On a parlé avec raison d'un Balzac du 20e siècle.

Or cet homme, qui a écrit pour notre temps Le Roman de l'homme (suivant le titre d'un de ses essais), est de chez nous. Georges Simenon, en effet, est né à Liège il y a juste septante ans ; c'est à Liège qu'il a fait ses débuts littéraires et les impressions héritées de sa jeunesse liégeoise sont restées étonnamment présentes dans ses romans, quels qu'en soient les décors ou les personnages. Liège n'a pas produit, au cours des siècles, d'écrivain plus considérable et il n'est pas de Liégeois qui ait représenté plus universellement sa ville natale.

C'est pourquoi, il m'a semblé que le moment était venu, pour la plus haute institution liégeoise, de consacrer cette personnalité hors série. À l'automne prochain, notre ville verra se dérouler une série impressionnante de manifestations où seront célébrées les valeurs qui, en dehors de la France, peuvent se réclamer de la langue, de la civilisation et de la culture françaises. L'œuvre de Simenon est une de ces valeurs mondialement reconnue. Et il appartient, je crois, à notre Alma mater de l'affirmer avec éclat, et de l'affirmer au moment où l'on réclame de l'université qu'elle abolisse certains cloisonnements pour s'ouvrir davantage au monde extérieur. »

Voir aussi : Les femmes dans l'œuvre de Simenon

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