Le national propose, pour cette saison 2011-2012, une programmation qui s'annonce riche et variée : créations originales, adaptations, performances, danse, opéra ; artistes belges et internationaux, émergents ou reconnus ; artistes associés et artistes invités.
« Tous nos spectacles sont en 3D »
Telle est la nouvelle accroche publicitaire du Théâtre national pour la promotion de la saison 2011-2012. Référons-nous aux propos de Jean-Louis Colinet, directeur de l'institution :
Il nous plaisait d'ouvrir cette nouvelle saison en réaffirmant la singularité de cet art – en 3D – qui nous passionne : vivant, sensible et proche. Cela dit, il est bien d'autres dimensions à déployer pour étayer le travail d'une maison comme la nôtre, pour donner sens à notre projet. S'il fallait ici n'en évoquer que trois, comme autant d'axes porteurs, alors nous dirions : fidélité, ouverture, rayonnement1.
Si l'emprunt aux récents développements des technologies audiovisuelles permet au théâtre national de réaffirmer l'un des aspects irréductibles et singuliers du théâtre – spectacle vivant –, il est également un moyen par lequel ce théâtre affirme l'hétéroclisme et la diversité de sa programmation. Loin de nous laisser emporter par un slogan certes accrocheur, tentons de voir en quoi cette saison 2011-2012 s'annonce résolument multidimensionnelle.
De g à d : Le Chagrin des Ogres, Habit(u)ation, Play Loud
Les créations originales sont largement mises à l'honneur dans le panel des pièces proposées. Retenons parmi celles-ci Le chagrin des ogres du jeune metteur en scène liégeois Fabrice Murgia, qui nous offre un théâtre d'images et de sons, dont la forte dimension onirique n'exclura pourtant pas l'interrogation sur les questions d'identité et d'existence dans nos sociétés ; Play Loud de Falk Richer, incontournable metteur en scène allemand qui nous livre ici une œuvre mêlant théâtre, cinéma, danse, chant, musique et performance ; Habit(u)ation dans laquelle Anne-Cécile Vandalem crée un huis clos où l'étrange côtoie la morne existence d'une famille éclatée, pour aboutir à un final étonnant ; Balistique Terminale de Coline Struyf, spectacle sondant l'idée de la mort et qui produit un choc sur le spectacteur en excluant toute psychologie, par un usage intensif de musique live et de chorégraphies ; Le signal du promeneur du Raoul Collectif, un groupe issu du Conservatoire de Liège composé de jeunes créateurs nous proposant un spectacle puissant s'interrogeant sur les possibilités de sortir des moules sociaux et identitaires créé par nos sociétés actuelles ; Ma chambre froide de Joël Pommerat, histoire étonnante de mise en abyme dans laquelle un patron d'usine, atteint d'une maladie incurable, demande à ses employés de créer un spectacle de théâtre en son honneur tous les ans ; Les Pendus/De Gehangenen, spectacle musical et vocal, fruit de la collaboration entre Josse de Pauwe, pour le texte, et Jan Kuijken, pour la musique ; Kiss & Cry, une sorte de spectacle total rassemblant en son sein des artistes venus d'horizons divers, tels que le cinéma, la danse, le texte et le théâtre.
Les amateurs d'adaptations de textes du répertoire et des incontournables de la grande littérature ne seront pourtant pas en reste. Avec Cendrillon, Pommerat entend revisiter le célèbre conte, en en supprimant tous les clichés, pour proposer un spectacle accessible dès 8 ans ; Bertolt Brecht est également mis à l'honneur avec sa pièce Baal adaptée par Jos Verbist et Raven Ruëll ; Le songe d'une nuit d'été de Shakespeare est revisité par Isabelle Pousseur qui entend en proposer une nouvelle lecture par le biais de son intérêt pour l'Afrique noire ; Frank Castorf reprend à son compte La dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils en tirant de l'œuvre originale toutes ses dissonances afin d'en fournir une lecture singulière et décalée. Dans un registre plus contemporain, soulignons Dirty Week-End de Jacques Delcuvellerie, adaptation du roman éponyme de Helen Zahavi et Parasites, pièce du dramaturge et écrivain allemand Marius Von Mayenburg, comédie reprise par le metteur en scène et comédien Vincent Hennebicq.
De g à d : Baal, Songe d'une nuit d'été, Parabelo
Si le théâtre « de texte » est majoritaire, les autres formes plus minoritaires du « spectacle vivant » ne sont pas oubliées. Côté opéra, le Théâtre national nous propose Thanks to my eyes, création originale de Joël Pommerat et du compositeur Oscar Bianchi. Deux spectacles de danse sont également à l'affiche : Minutes opportunes, chorégraphie de Michelle Noiret construite sous la forme d'une référence au cinéma d'Alfred Hitchcock et Continu de la chorégraphe d'envergure internationale, Sacha Waltz, qui s'appuie ici sur le travail du compositeur Edgar Varèse.
Ce tour d'horizon permet de prendre la mesure d'une saison offrant un ensemble hétérogène alliant créations, adaptations de classiques, adaptations d'œuvres contemporaines, théâtre marqué sur le texte, théâtre pur, théâtre performance, danse ou opéra. Le genre des œuvres proposées n'est pourtant pas le seul aspect sur lequel le national revendique son ouverture. La programmation peut se targuer de proposer une majorité de spectacles belges (12) tout en s'ouvrant à un éventail d'artistes internationaux, et non des moindres, tels que Falk Richter, Joël Pommerat ou Sacha Waltz.
Mais aussi...
Ce souci de diversité est également présent dans l'implication du Théâtre national dans des événements plus ponctuels ainsi que dans ses partenariats et offres promotionnelles. L'institution propose, à l'occasion d'europalia.brasil, trois spectacles très différents : O Idiota, adaptation du chef d'œuvre éponyme de F. Dostoïevski, Indios No Brasil, présentation du répertoire traditionnel de deux groupes indiens, et Parabelo et Onquoto, de la troupe Grupo Corpo, mêlant techniques classiques et contemporaines, danses traditionnelles brésiliennes et africaines. N'oublions pas l'incontournable Festival des libertés, regroupant également adaptations – Amarillo de Harold Pinter et Gabriel Contreras sur les tensions entre les U.S.A. et le Mexique, et Avez-vous eu le temps de ..., création collective autour d'un texte de Fassbinder – et créations originales – Seaplane mothership sur la notion de déclin de la civilisation et l'oubli, et Scheisseimer, spectacle autobiographique de Koenraad Tinel où ce dernier revient sur le passé collaborationniste de sa famille durant l'Occupation. Dans ce contexte de tensions communautaires, il est heureux de voir des institutions flamandes et francophones monter des partenariats : c'est ce que le KVS et le Théâtre national ont entrepris avec le label Toernee General, en co-présentant deux spectacles d'artistes de la Communauté Française – Le songe d'une nuit d'été et Le signal du promeneur – et deux pièces flamandes – Baal et Les pendus/De Gehangenen. Enfin, soulignons la présence d'un réseau entre le Théâtre national et les théâtres de Paris, Naples, Sibiu, Madrid, Göteborg, Cities on stage/villes en scène, dont la mission sera de proposer des spectacles ayant pour toile de fond les enjeux de ces villes dans l'ère contemporaine. Le public belge pourra à cette occasion voir Exils de Fabrice Murgia et Faust, adaptation du metteur en scène roumain Silviu Carete.
La diversité des spectacles proposés n'empêche pourtant pas le national d'avoir largement recours, dans sa programmation, à ses artistes associés : en l'occurrence, Joël Pommerat (3 spectacles), Fabrice Murgia (2), Jacques Delcuvellerie, Falk Richter, Isabelle Pousseur, Michelle Noiret et Coline Struyf (1). Une situation qui pourrait sembler paradoxale, voire trompeuse, par rapport à cette exigence de diversité si l'on oubliait que les œuvres proposées par chacun de ces artistes sont singulièrement différentes, et que le Théâtre national fait preuve d'une grande habileté à inscrire chacun de leurs spectacles dans un contexte particulier – partenariat avec La Monnaie, réseaux « Cities on stage » ou « Toernee Général » –, de sorte que leur proéminence ne conduit pas à une programmation unidimensionnelle. Il n'empêche que sur les 19 spectacles présents dans la programmation « régulière », 10 proviennent d'artistes associés : une majorité donc. Que l'on y soit favorable ou pas, cette situation particulière permet en tout cas d'interroger par quels moyens et dans quelles limites une institution théâtrale – centre dramatique et théâtre national de surcroît – peut mêler fidélité au public, engagement envers ses artistes associés, ouverture aux artistes émergents et à de nouvelles formes, développement du théâtre belge de langue francophone et rayonnement international.
Kevin Jacquet
Juillet 2011
Kevin Jacquet est diplômé en Arts du Spectacle de l'Université de Liège.
Programmation complète : www.theatrenational.be
Voir aussi notre dossier : Retour sur le Festival de Liège 2011 où plusieurs créations proposées ici ont été commentées.
1 Éditorial de Jean-Louis Colinet. Site internet du Théâtre national.