Je ne sais pas très bien ce qui fait la différence. Qu'est-ce que la petite littérature ? Les romans policiers, etc. ? Et la grande littérature ?
La grande littérature se définit entre autres par la qualité du travail de l'écriture, par le fait qu'elle est difficilement abordable et ne s'adresse qu'à un public restreint de lettrés, contrairement à la littérature de masse, dépréciée.
Ah d'accord ! Non, je ne crois pas en cette distinction qui fait de l'une la bonne littérature et de l'autre la mauvaise littérature. Je suis tombé, lorsque j'étais jeune, vers quatorze-quinze ans, sur Giono, Ramuz... Ce sont deux auteurs relativement simples à lire. Puis, je suis tombé sur des choses terribles : Genet, Guyotat... Le reste me paraissait mièvre après. Depuis, j'ai toujours recherché des choses qui avaient du corps et dans lesquelles, même si je ne me le disais pas comme ça, il y avait une recherche du langage. J'ai toujours comparé ce que je lis en fonction de livres très fouillés, très difficiles d'accès au départ, très durs à encaisser aussi. Et c'est alors que quelque chose s'est séparé. Mais il s'agit d'une affaire personnelle, je ne déprécie pas les autres textes. J'ai aussi lu du Simenon pour me distraire.
Le cas de Simenon est à souligner : au départ, ses textes étaient classés dans la littérature de masse et aujourd'hui, on les range dans la bonne littérature, ce qui prouve que la distinction est parfois mince. Qu'en pensez-vous ?
Je suis d'accord. Il faut tout de même remarquer que, chez Simenon, il y a de la recherche. Mais je ne séparerais pas les deux secteurs parce que j'ai lu des textes d'un certain Garnett... Ce sont des auteurs très simples à lire, mais leurs œuvres sont « immenses ». Je ne pense pas que la difficulté de langue fait de grands livres. D'ailleurs, à un moment de mon activité, j'ai voulu utiliser des mots simples pour me faire entendre. Je crois qu'il faut trouver une manière simple d'écrire, mais qui embrasse toutes les choses possibles et le plus justement la complexité de notre situation. Mais le monde est complexe et on ne peut le résoudre simplement.
En choisissant un titre comme Cochon farci, pour un recueil de poèmes édités par les Éditions de Minuit, avez-vous voulu opérer une distanciation par rapport à la sacralisation que l'on fait de la poésie et de l'art en général ?
Tout à fait. Je n'ai jamais eu aucun respect pour aucun art. Ce sont des outils de recherche pour l'être humain, des moyens d'essayer d'écarter les poils, d'un peu comprendre notre condition. Il n'y a pas une méthode formidable, il faut pouvoir en concilier plusieurs pour avancer.
Ce qui me plaisait aussi en publiant aux Éditions de Minuit, c'est que c'est une maison d'édition qui publie essentiellement le roman. Donc réussir à publier de la poésie était une joie. Ca a été permis parce que d'autres de mes livres avaient déjà un petit peu marché. Ils ne publient que si d'autres choses ont déjà été publiées. C'est une sorte de négociation. Faire entrer de la poésie dans la maison du roman, c'est un plaisir indépendant de l'écriture-même, c'est un plaisir éditorial, c'est une sorte de petite farce. Et imposer un titre comme Cochon Farci ! L'éditeur, suite à la réception de mon manuscrit, m'a alors répondu : « J'aime bien tous les plats que vous avez préparés. » Il me l'a permis, car il était très brillant. Il m'impressionnait. Pour moi, éditer doit être quelque chose d'un peu fastueux. Il ne me faisait pas peur, mais il y avait quelque chose de beau dans sa manière de dire « de toute façon ça ne marchera pas » mais en même temps « je le publie ». C'est comme un jeu.
Vivez-vous l'acte d'écriture comme un jeu ou comme une souffrance ? Obtenez-vous à un moment donné de la satisfaction ?
Je dirais qu'il y a plusieurs moments. Il y a des moments qui sont comme des révélations. Ensuite, ça se fait petit à petit. C'est une sorte de base, un matériau à retravailler. J'ai toujours fait comme ça. Le premier moment me procure du plaisir. Ensuite le plaisir est un peu moindre. C'est un labeur, mais avec aussi, de temps à autre, des moments de grâce qui font avancer les choses. Et lorsque c'est fini, c'est un immense plaisir pour moi, qui reprend toutes sortes de plaisirs précédents. C'est comme si quelque chose qui avait évolué souterrainement apparaissait enfin. C'est le plaisir du travail fini, achevé. Quelque chose d'autre commencera.
Vous parlez de travail fini, achevé : quand considérez-vous qu'un poème est terminé ?
Jamais : chaque poème pourrait présenter des variantes à l'infini. Mais à un moment donné, il faut s'en débarrasser pour que la pensée puisse avancer. C'est pour ça que je publie aussi : ça sort de mes tiroirs, de ma pensée aussi.
Vous arrive-t-il de retoucher des poèmes publiés ?
Non. Ça jamais ! Je vais éditer prochainement une série de nouvelles publiées en revue depuis déjà vingt ans et je n'ai rien retouché, je n'ai rien repris. J'ai tout laissé tel quel.
Cela dit, on pourrait tenter de le faire. J'ai d'ailleurs écrit un livre qui était fait un peu pour ça. J'ai eu un moment d'illumination. J'ai construit un livre, mais sans lui donner une forme précise, en accumulant le plus possible de matériaux. C'est La Disparition de maman. Celui-là, peut-être plus tard, quand j'aurai bien le temps, je pourrai alors m'en servir comme une mine. Quand il n'y aura plus rien d'autre, il me faudra du matériel tout fait pour travailler. Mais sinon les autres, ils sont faits, ils sont bouclés.
Vous arrive-t-il de relire vos recueils ?
Non. Je les lis en public, mais c'est tout. Moi-même je ne le fais pas.
Lorsque vous réalisez des lectures publiques, avez-vous l'impression qu'il y a une distance qui s'est installée entre vous et votre œuvre ? Comme si ce n'était plus de vous ?
Oui, tout à fait. C'est un autre bonhomme qui a fait ça. Il y a toutefois des choses qui restent, des préoccupations permanentes. Mais mes textes appartiennent chacun à une époque qui n'existe plus.