Des prémices de la BD belge...

Chercheur en Histoire de l'art à l'ULg, Frédéric Paques termine sa thèse consacrée à la bande dessinée belge jusqu'à la Première Guerre mondiale. Il est aussi l'auteur d'un long texte sur le dessinateur liégeois Joe Pinelli qui vient de signer avec Thierry Bellefroid un album magnifique dans la collection Aire Libre, Féroces tropiques. Nous les avons rencontrés l'un et l'autre.

Pourquoi  vous êtes-vous intéressé au premier âge de la bande dessinée belge ?

Cela m'étonnait que l'on ne parle jamais de la bande dessinée belge avant Hergé. Or il n'y avait aucune raison qu'il en existe une française, anglaise, américaine et allemande et pas une belge. Soit il n'y avait rien, effectivement, soit personne n'était allé voir. Mais s'il y avait quelque chose, était-ce intéressant ? Et pourquoi n'en parlait-on pas ? Voilà les questions qui ont motivé ma démarche. Au début, je pensais aller jusqu'à Hergé avant de me rendre compte qu'il y avait une sorte de logique à m'arrêter en 1914 puisqu'à cette époque toute une série de journaux cessent en effet de paraître.

Comment avez-vous procédé ?

C'était assez compliqué, en fait. Au 19e siècle, la bande dessinée est une discipline un peu souterraine, non reconnue en tant que telle. Elle n'est jamais classée comme telle dans les archives des bibliothèques et des musées. J'ai commencé par dépouiller la presse satirique ainsi que les magazines illustrés, dont l'un des plus connus est peut-être Le Patriote illustré, car je me suis aperçu qu'on y trouvait de la BD. Mais c'était surtout de l'importation, des séries américaines, allemandes et françaises.

À quoi ressemble la bande dessinée à cette époque ?

Ce sont des histoires en images parfois accompagnées de textes sous la forme de petites légendes. Il n'y a pas de bulles. Mais, pour moi, la bulle n'est pas un élément déterminant pour définir une bande dessinée, aujourd'hui encore certains dessinateurs n'y ont pas recours. Le Suisse francophone Rodolphe Töpffer (1799-1846), que l'on peut considérer comme le père de la bande dessinée, n'en utilisait pas. Ce que j'ai étudié ressemble à ce qu'il a fait (Les Amours de Monsieur Vieuxbois, Histoire de Monsieur Crépin, Docteur Festus...). On y dénote aussi l'influence de l'imagerie populaire, on trouve des planches divisées en cases avec des légendes sous les images. Très souvent, il s'agit d'un humour burlesque. Les séquences qui prennent position en exposant un point de vue politique ou en dénonçant les inégalités sociales sont très rares. La volonté est d'abord de faire rire.

Le terme bande dessinée n'existant pas encore, comment ces dessins sont-ils désignés ?

Dans les index des journaux illustrés, ils sont repris sous les termes de gravures, d'illustrations, et ne sont absolument pas différenciés des grandes images en une seule page. Ils ne sont pas définis comme quelque chose de spécial. Et pourtant, on se rend bien compte qu'aux yeux des lecteurs de l'époque ce n'est pas exactement la même chose que le reste. Dans les journaux pour la famille, comme Le Patriote illustré, ils figurent toujours au même endroit et sous des dispositions identiques.

Est-il possible de dater la naissance de la bande dessinée belge ?

La plus ancienne bande dessinée parue en Belgique est Déluge à Bruxelles de Richard de Querelles paru en 1843, dont un exemplaire se trouve aujourd'hui au cabinet des estampes de la Bibliothèque royale. L'auteur et l'éditeur, tous deux français, sont des émigrés politiques. Leur album parle de la vie à Bruxelles et de ses personnalités les plus connues. Mais il n'a jamais été étudié de manière approfondie jusqu'à présent.

DB Planche01
Richard de Querelles, "Le Déluge à Bruxelles", Bruxelles, Géruzet, 1843, planche 1

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