Pour comprendre, à travers cette controverse, l'évolution des liens entre science et société, et celle des relations entre chercheurs dans le champ scientifique des biotechnologies, nous avons rencontré Patrick du Jardin, chercheur et enseignant à la Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, également directeur de l'Unité de Biologie végétale, et impliqué dans ces questions depuis plus de 20 ans.
Un parcours professionnel suivant de près les controverses OGM
Les marchés européens voyaient arriver à ce moment-là les premières cargaisons de soja OGM (résistants à l'herbicide RoundUp) en provenance des États-Unis. Pour Patrick du Jardin, une grande part de la controverse est liée à des questions de temporalité, qui « ont fait que la situation s'est très vite compliquée et embrouillée. On a vu arriver ces cargaisons de soja à un moment où on ne s'était pas approprié, je dirais, cette technologie dans la réalité économique, la réalité de l'innovation, chez nous. Nous n'avions pas, finalement, une connaissance de cet outil au niveau de la société, et en particulier de ses applications agronomiques ».
La réglementation (sur les « Nouveaux Aliments » – ou « Novel Food ») n'était pas tout à fait prête non plus à ce moment, alors qu'elle devait clarifier parfaitement les méthodes d'évaluation des risques ainsi que les méthodes d'information des consommateurs. C'est aussi un contexte où le Parlement européen, lieu de négociation des normes juridiques européennes, voit monter en force (et organise) les porte-parole d'un certain nombre de courants politiques et d'ONG, parfois idéologiques, ou de groupes qui défendent certaines catégories de la population, ou encore des consommateurs regroupés en associations.
Enfin, cette période a vu apparaître plusieurs crises alimentaires : « ESB », dioxines, etc. Celles-ci ont eu un impact important : les consommateurs ont, en particulier, commencé à être attentifs à la qualité et à la traçabilité de leurs aliments, ainsi qu'à la nécessité d'une bonne évaluation et d'un contrôle des risques. Mais elles ont aussi mis en évidence le fait que les scientifiques travaillent sur des questions complexes, qu'ils ne peuvent pas tout prévoir, et donc que l'incertitude dans l'établissement des faits scientifiques est souvent bien plus grande que ce qu'on pourrait penser.
Patrick du Jardin a été, suite à plusieurs interventions médiatiques, invité à rejoindre le comité d'éthique de l'INRA (France) destiné à l'examen des applications de la recherche agronomique en général. « Je me suis retrouvé dans ce comité à discuter avec des économistes, sociologues, juristes, philosophes... et j'ai beaucoup aimé ça ! Cela a beaucoup excité et satisfait ma curiosité. »
Il a, par la suite, rejoint des comités d'experts des risques au niveau belge et européen (à l'EFSA, Autorité européenne pour la sécurité des aliments, agence basée à Parme). « L'évaluateur de risques utilise un bagage scientifique, mais va quand même au-delà de la simple connaissance d'un outil, de la maîtrise du domaine disciplinaire qui est le sien. La démarche d'évaluation de risques est une démarche très méthodique, qui n'est pas toujours enseignée ».
Une même controverse... mais aux cadrages changeants
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