Controverses autour des OGM agricoles et alimentaires
biosecurite

Un premier volet du cours étudie la « biosécurité » (analyse et évaluation des risques) et  met en œuvre une formule intéressante de jeux de rôles, puis un second volet aborde les enjeux éthiques et sociaux. « Sur le volet biosécurité, le cours procède par jeux de rôles. Il y a des étudiants qui jouent le rôle d'une firme qui dépose un dossier, et d'autres étudiants qui jouent le rôle des experts, dans le domaine alimentaire, dans le domaine environnemental, etc. Donc je pars d'un matériel qui est public, mais qui consiste quand même en éléments publics de vrais dossiers d'OGM qui sont introduits auprès de l'EFSA en vue d'une commercialisation en Europe. Ensuite, il y a de la collecte d'informations dans la littérature scientifique pour rencontrer les questions des « experts », etc. Donc ils sont initiés à ce jeu, finalement, qui est aussi un jeu de controverses, où on met au jour des controverses et des connaissances non stabilisées. »

Partant de l'évaluation des risques, et des différents types de risques, le cours aborde la question de l'incertitude et la façon dont cette incertitude est prise en charge (en particulier via l'étude du dispositif législatif européen concernant les OGM, traduisant le fameux principe de précaution). À travers cette discussion de la précaution, et l'interprétation de la précaution, le cours rencontre ainsi les aspects éthiques, puisqu'on retrouve derrière la précaution la notion de proportionnalité dans la mise en œuvre de mesures de gestion préventives des risques, qui renvoie aux questions portant sur les utilités, et donc aux valeurs interpellées par l'innovation.

L'éthique n'étant pas uniforme, elle est étudiée dans ses différentes approches conceptuelles et méthodologiques : éthiques conséquentialistes, qui s'appuient principalement sur l'évaluation des bénéfices et des risques ; éthiques déontologiques (ou axiologiques, ou encore kantiennes),  faisant le postulat de valeurs ou d'axiomes moraux incontestés, reconnus a priori, et définissant par déduction des règles pour l'action ; etc.

Les dernières sont très répandues en médecine, par exemple lorsqu'est affirmée la valeur – ou dignité – absolue de la personne humaine, mais aussi dans le rapport de certains « environnementalistes » à la « Nature » (avec donc un « N » majuscule). En biotechnologies à finalité alimentaire, le chercheur entre souvent dans des domaines qui sont beaucoup plus controversés sur le plan des valeurs, où se mêlent des principes moraux controversés – on s'accorde sur la dignité de la personne humaine, mais pas sur celle d'une plante ! – et des appréciations complexes de rapports bénéfices/risques. On ne peut donc pas justifier l'action en démontrant un rapport bénéfices-risques intéressant, loin de là.

L'élargissement du regard du chercheur aux différentes formes d'éthiques est vu comme essentiel dans un contexte ou science et société se rencontrent à travers (ou à cause de) la controverse, et particulièrement afin d'améliorer in fine l'inter-compréhension des acteurs et l'efficacité des délibérations autour de ces controverses.  Et ceci semble d'autant plus important que malgré tous les débats sur la technologie OGM, renvoyant de nombreuses questions à des disciplines scientifiques différentes, l'interdisciplinarité autour de cette technologie reste peu développée dans la dynamique de recherche (à part dans certains comités spécifiques et ''isolés''). « En biologie, les interdisciplinarités se créent autour d'outils qui permettent de reculer les frontières de l'observation et de la connaissance, je crois que c'est ça la motivation première du chercheur ; dépasser les limites techniques pour observer ce qu'on ne pouvait observer jusqu'alors. Mais élargir le regard pour œuvrer à une meilleure intégration dans la société de son outil, voilà qui mobilise d'autres interdisciplinarités, actuellement assez peu organisées. Elles sont peu dans la pratique du chercheur, trop peu.»

« Prendre des risques, c'est afficher ses valeurs »

Les valeurs des acteurs étant généralement implicites (voire cachées), un effort de justification des valeurs doit être fait de la part de tous les acteurs pris dans ces débats, ce qui va de pair avec une sorte d'honnêteté intellectuelle : « Il est très noble d'avoir des idées et des valeurs, mais je crois qu'il est important de les afficher, de savoir les énoncer de façon transparente, et donc de justifier ses actions en termes de valeurs, des valeurs que l'on porte. C'est ça, l'éthique, finalement. Ne pas utiliser des voies détournées pour essayer d'imposer ses valeurs.  Si on n'aime pas Monsanto, par exemple, il faut dire pourquoi et il faut être honnête, et s'attaquer à ce moment-là à ce qui constitue les véritables conflits de valeur. Il ne faut pas amalgamer ces conflits de valeurs et les conflits autour de faits et d'énoncés scientifiques, ouverts dans un objectif de blocage d'un processus d'autorisations de mise sur le marché. Or on est quand même en plein là-dedans sur la question des OGM. »

Une difficulté, explique Patrick du Jardin, est que nous ne sommes pas toujours conscients de ces valeurs que nous portons, soulignant par là encore une fois toute l'importance d'un travail d'explicitation de celles-ci. « Il y a tout un travail à faire pour qu'il y ait une meilleure prise de conscience de ce que les actes que nous posons sont effectivement toujours la résultante de toute une série de forces, de « forces éthiques », donc de valeurs que nous portons et qui nous poussent dans certaines directions. Quand j'accepte un risque, c'est toujours parce que j'accorde une certaine importance à quelque chose. Et donc, c'est peut-être là qu'il faudrait mobiliser le citoyen. On ne peut pas faire l'économie du débat éthique si on veut définir ce risque socialement acceptable. »

Évidemment, ce débat éthique visant à la définition de ce qui est « socialement acceptable » doit selon Patrick du Jardin se faire au niveau de la société, pas au niveau scientifique. « C'est le politique qui a cette noble fonction d'enrichir le dialogue, et de voir comment l'innovation et la technologie participent d'un mouvement qui est animé par les valeurs que nous reconnaissons comme collectives... tout en tenant compte des opinions minoritaires. »

Il semble donc finalement que chacun, tant le politique (ou le citoyen) que le scientifique, doive faire des efforts d'ouverture et de compréhension mutuels, tout en redéfinissant et renégociant  les in(ter)dépendances entre ces champs, leurs modes de collaboration comme leurs espaces et fonctions propres. La controverse autour des OGM a-t-elle permis, et permet-elle actuellement de rencontrer ces enjeux ? Ne masque-t-elle pas des questions et débats plus importants pour nos sociétés ?  Toutes ces questions restent apparemment largement ouvertes.

Bastien Dannevoye
Mai 2011

 

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Bastien Dannevoye est sociologue, chercheur au Département des Sciences et gestion de l'environnement au sein de l'unité SEED (Socio-Économie - Environnement - Développement).

 

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Patrick du Jardin enseigne la biologie végétale et les biotechnologies moléculaires à Gembloux Agro-bio Tech ULg, où il dirige l'Unité de Biologie végétale.

 

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