Controverses autour des OGM agricoles et alimentaires

La controverse : positive dans la science, problématique en dehors (dans la société) ?

L'activité scientifique est intrinsèquement controversée – et c'est même l'un de ses fondements. Les énoncés scientifiques sont perpétuellement attaqués, à l'intérieur d'une communauté scientifique, qui donc fait du doute et de la controverse son mode de progrès normal.

Or, il semble qu'il y ait une sorte de frontière étanche, de «grand partage», entre d'un côté cette vision positive de la controverse dans sa dimension scientifique, comme principe de fonctionnement de l'activité scientifique, et de l'autre une vision plutôt problématique de ces controverses lorsqu'on les considère dans leurs dimensions « sociales », lorsqu'elles sont portées dans la société (en politique, dans les médias, la société civile...).

Fotolia 3160375 XS © Michel Bazin - Fotolia.com

Selon Patrick du Jardin, la controverse (dans sa dimension sociale) a eu pour effet de brouiller une bonne compréhension des potentialités et des utilités de la technologie, ainsi qu'une bonne contextualisation de celle-ci dans des questions de défis agricoles, ou de développement sociétal en général.  « On s'est cristallisé sur quelques applications, avec un débat qui était très polarisé entre les pro et les contra. (...) Alors qu'on en avait énormément parlé, on n'avait en fin de compte que produit des écrans de fumée sur toute une série de choses, tout en obligeant les chercheurs à se positionner... C'était quand même souvent très caricatural ».    

Cette dimension « sociale » de la controverse OGM a donc clairement encouragé certaines recherches, en vue de trouver des réponses à un certain nombre de questions, et a donc orienté l'allocation d'une part des ressources vers certaines options... au détriment d'autres. On a ainsi plutôt mis l'accent sur la maîtrise de la technologie trouver des solutions aux problèmes techniques et, évidemment, connaître les risques potentiels.

La controverse a orienté le débat sur des questions de définition, de mesure et de maîtrise des risques, renforçant finalement un certain « paradigme » social autant que scientifique, alors que ce débat aurait pu être bien plus profond : « Je crois qu'on aurait mieux fait d'avoir une bonne discussion sur, par exemple,  le soutien de la recherche agronomique internationale. Quels sont les mécanismes de soutien d'une recherche agronomique internationale ? Quelle est la bonne structure des partenariats, entre public et privé ? Quels sont les bons modes d'associations, entre les agricultures paysannes et les agricultures intensives, entre les agricultures de subsistance et les agricultures de rente ? Etc. Je crois qu'il y avait de nombreuses et très bonnes questions, qui restaient toujours en suspens, effleurées tout au plus, lorsqu'on parlait des OGM, et je pense que le citoyen aurait parfois mieux fait de s'investir sur ces questionnements ».

Mais la controverse dans sa dimension sociale ou politique a aussi parfois eu pour effet un blocage de la recherche dans ce secteur des biotechnologies : « On a quand même entendu, en Belgique des discours, qui n'étaient peut-être pas officiels, de certaines personnes de l'administration de la Région Wallonne... qui nous disaient : ''Nous, on ne finance plus rien sur les OGM, parce que, politiquement, on ne veut pas les défendre...''. Et je crois que la controverse et l'amplification de la controverse, auprès des citoyens, a été relayée par le politique qui semble s'être dit : ''Mon intérêt n'est pas de financer des recherches sur les OGM ; moi je vais dire que je suis pour une agriculture « de qualité », donc je suis contre les OGM''. Quel raccourci ! ».

Un enjeu important, pour Patrick du Jardin, est alors d'essayer de déconstruire les "mythes" que l'on a construits autour des OGM (par exemple, sur la coexistence et l'incompatibilité prétendue entre « vieilles variétés » et OGM, ou encore sur le fameux « gène terminateur »).

Selon lui, il ne faut pas s'empêcher d' « agrandir notre boîte à outils, et on ne doit pas renoncer à certains outils parce qu'on en a développé d'autres, on peut les combiner ! Et ça, je pense que c'est un beau défi qui nous attend ».

Il faudrait alors donner les moyens au public, et aussi aux chercheurs travaillant sur les OGM, de bien comprendre ces enjeux, de « démonter » sans naïveté les controverses afin de comprendre les objectifs des acteurs participant à ces controverses, leurs valeurs, opportunités et contraintes, ainsi que les stratégies qu'ils développent (par exemple, en comprenant pourquoi ils laissent les controverses ouvertes).

 

Les scientifiques doivent-il sortir du laboratoire ? La controverse OGM et l'ouverture aux éthiques dans la formation des bio-ingénieurs

Le parcours professionnel de Patrick du Jardin témoigne d'un mouvement de « sortie » du laboratoire, animé par la volonté de comprendre les enjeux sociaux des controverses autour de l'outil qu'il développait. 

Cette sortie a marqué le début d'un ensemble d'apprentissages importants, une contextualisation, une ouverture à des questionnements sociaux, philosophiques et politiques auxquels les chercheurs en biotechnologie sont peu formés par ailleurs, et qu'il a dû apprendre « sur le tas » : législation, étude des risques, controverses et préoccupations des citoyens orientant le politique, etc. Il est ensuite apparu important à Patrick du Jardin de pouvoir transmettre ces apprentissages, devenus essentiels dans le contexte actuel décrit ci-dessus. Son expérience des débats, des comités d'éthiques, de l'expertise des risques, a ainsi été par la suite valorisée via la création d'un cours à Gembloux Agro-Bio Tech : « Biosécurité et éthique de la biotechnologie ».

Ce cours met l'accent sur la contextualisation de l'outil OGM, par exemple via la question de l'utilité (avérée ou potentielle) de ces technologies, ce qui débouche sur de vastes champs de questionnements : « À quoi sert la technologie ? », « Comment est-ce qu'on évalue les risques ? », « Comment comprendre les affrontements de groupes sociaux autour des OGM ? ».

Autrement dit, l'objectif est d'élargir le regard du scientifique et de transmettre des méthodes d'analyse sérieuses pour décortiquer ces conflits où s'affrontent de nombreux acteurs, parlant plusieurs langages et argumentant dans des registres différents, en dépassant finalement largement la recherche classique en évaluation des risques. «Les scientifiques n'étaient pas très mobilisés par les débats sur les OGM... De plus, la recherche en biosécurité, donc en évaluation des risques, est rarement excitante : mesurer à quelle distance peut voyager un pollen de maïs... Il y a des recherches plus excitantes que celle-là !  ».

Page : previous 1 2 3 next