La question des stocks de poissons – entre scientifiques, pêcheurs et journalistes

Nous sommes tous bien informés par les médias des problèmes liés à la pêche et l'extinction annoncée de certaines espèces de poissons. Ces informations sont-elles correctes ? Faut-il interdire la pêche ? Pour présenter cette controverse, nous avons rencontré Jean-Henri Hecq, océanologue. Ce texte reprend fidèlement les explications qu'il a nous a données.

Le stock de poissons : le recrutement sous silence

S'il fallait définir ce qu'est la controverse, il pourrait être intéressant de souligner qu'elle n'est jamais absolue. Ce n'est pas, en soi, une opposition radicale entre deux clivages comme la gauche et la droite. La controverse, au sens où nous l'entendons, s'apparente davantage à un « oui, vous avez raison, mais il y a cela en plus ».

Les controverses présentées dans cet article relèvent de l'océanographie biologique et de l'océanographie des grands organismes. Un sujet d'actualité tel que les stocks de poissons pourrait être riche d'enseignement pour saisir les enjeux d'une controverse particulière. Il est toutefois important, au préalable, de prendre en considération deux problèmes : d'une part, les pêches (avec un certain overfishing par moments et par endroits) et, d'autre part, le recrutement des poissons (autrement dit : le développement des populations de poissons). Le recrutement est un bon indicateur de la santé de ces populations. Ce problème est complexe et fondamental, parce qu'il a des répercussions internationales et sur l'économie de la pêche.

Si la pêche est une question importante dans l'étude des stocks de poissons, la question du recrutement (« aura-t-on assez de jeunes poissons ? ») est essentielle dans la controverse actuelle. Or, paradoxalement, le recrutement est complètement négligé et méconnu tant des pêcheurs que des autorités publiques, des institutions internationales et des médias. Il s'agit pourtant d'un problème capital puisque, chez certains types d'organismes comme le poisson, si l'on distingue une variation de taille depuis l'œuf, en passant par la larve, la post-larve, le juvénile, l'adulte, etc., il en va de même de son régime alimentaire. Le jeune poisson (entre dix et quinze jours) a en effet besoin d'une nourriture spécifique et il faut que cette nourriture soit présente au moment opportun pour sa croissance. Il y a donc un problème d'adéquation à prendre en compte. Malgré une certaine conscientisation, cela reste en général difficile à faire comprendre aux pêcheurs comme aux médias.

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Il est, bien entendu, plus aisé pour les médias et l'opinion publique de pointer le pêcheur comme responsable de cette disparition. Mais qu'est-ce qu'un pêcheur ? Ce peut être un navire-usine au même titre que les quelques milliers d'habitants de la lagune de Cotonou qui ont besoin de trois poissons par jour pour nourrir leur famille. Ce ne sont pas les mêmes types de pêcheurs. Aujourd'hui, l'essentiel de la pêche est réalisée par une infime minorité de pêcheurs (les navires-usines) tandis que la majorité des autres (la pêche artisanale) ne représente qu'une toute petite part de la pêche mondiale. Dès lors, soyons clairs : la pêche ne détruit pas les poissons, ce sont les consommateurs qui épuisent les stocks. Ils souhaitent avoir du poisson moins cher ; ils veulent qu'il soit le plus frais possible, etc.

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En tant que scientifique, nous pouvons avancer trois autres raisons de ne pas supprimer la pêche : 1) préserver la pêche artisanale et l'emploi, 2) stimuler la dynamique des stocks de poissons et la réguler et 3) maintenir un équilibre social dans les populations qui vivent de la pêche. Certes, les grandes pêches sont nuisibles parce qu'elles détruisent les stocks. Il faudrait les supprimer, mais il importe de préserver la pêche artisanale, ou la petite pêche (PME). Si l'on prend le cas de Stareso (ULg) et de la Corse, les pêcheurs sont très bien organisés en « prud'homies » (organisations professionnelles), avec une juste répartition des ressources et des espaces de pêche. Ces gens se sont rendu compte que la pêche était leur outil et qu'ils devaient préserver les stocks de poissons, s'ils souhaitaient que leurs enfants puissent perpétuer la tradition. Il y a donc une véritable conscientisation locale du risque et, pour y remédier, des moyens sont mis en œuvre. Ensuite, le fait de prélever une partie du stock de poissons par la pêche artisanale (PME) en stimule la dynamique et permet de le réguler. Enfin, l'exploitation des stocks de poissons par les navires-usines est l'une des raisons qui peut être avancée pour expliquer la piraterie sur les côtes d'Afrique orientale. En effet, les thoniers français, par exemple, qui arrivent avec des sennes tournantes de huit kilomètres de long et qui ramassent des tonnes de poissons génèrent au sein des populations locales des déséquilibres alimentaires et sociaux. Sur ce sujet, les médias sont relativement muets, hormis dernièrement grâce à Yann-Arthus Bertrand.

Une autre préoccupation relative au recrutement des poissons porte sur l'échantillonnage. Ce dernier ne peut se faire comme sur terre, il convient donc d'appliquer des modèles qui tiennent compte des résultats de la pêche : résultats quantitatifs et méta-informations. Les résultats quantitatifs s'apparentent à un décompte par âge des poissons pêchés. Par exemple, cette année, sur l'ensemble des harengs pêchés en mer du Nord, 29 % sont des poissons de cinq ans, 20 % de quatre ans, 49 % de deux ans et 2 % de trois ans. On observe donc un creux dans la tranche d'âge de 3 ans. Or, les poissons qui ont trois ans aujourd'hui seront les reproducteurs ou les géniteurs dans deux ans. Il importe donc de redoubler de prudence. Et dans deux ans, par exemple, d'interdire la pêche de harengs.

Évidemment, pour obtenir ces informations, les scientifiques se basent sur les résultats des quotas de pêche, tout en tenant compte de calculs d'erreurs. Mais, aujourd'hui, le « risque zéro » devient la « règle politique » et les scientifiques qui, auparavant, pouvaient monter à bord des bateaux de pêche, se le voient interdire, par l'autorité publique (en France, dans ce cas précis), au motif que le bateau serait devenu un lieu de travail trop dangereux pour les scientifiques. Or c'était en créant des rapports de confiance entre l'homme de terrain (le professionnel) et le scientifique qu'il était possible d'accéder à ces informations.


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