Le centre, les planètes, et la noirceur : controverses cosmiques et terrestres

Enseigner les controverses ?

En général, on effleure les grandes controverses historiques, dans le quart d'heure d'introduction au cours. La présence des controverses se résume souvent à cela, à quelques rares exceptions près... Ainsi, en physique générale, l'opposition ondulatoire/corpusculaire pour la nature de la lumière, mais il est vrai qu'on utilise encore aujourd'hui les deux formalismes. Seuls quelques cours esseulés abordent un peu plus ce genre de débats (dans mon cas, le cours sur l'évolution des idées en astronomie ou celui sur la communication scientifique).

Les controverses actuelles ne font pas vraiment partie des cours habituels. Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, une formation générale ne permet pas vraiment d'aborder dans le détail des débats pointus entre scientifiques ! Ensuite, il n'est pas évident de savoir que dire : on présente donc souvent aux étudiants le consensus actuel. Les premiers contacts avec une science controversée se font dans le meilleur des cas lors du mémoire de master.

Par contre, il est essentiel que les étudiants, dès le secondaire, sachent que les controverses pullulent en science et que la science n'est pas un corps figé constitué de « lois » immuables... Nombre d'incompréhensions entre scientifiques et public naissent si cela n'est pas fait, comme celles qui gravitent autour du créationnisme. On entend parfois, du côté du public, des affirmations du type : « ce n'est qu'une théorie », « la science, ce n'est pas très certain car ça change tout le temps d'avis » ou encore « la science, c'est croire en des ‘lois', alors pourquoi celles-là plutôt que d'autres ». Pour résumer, voici quelques réponses à ce genre d'affirmations. En science, le terme « théorie » a un sens différent du sens commun donné à ce mot : c'est un ensemble complet de paradigmes, soutenus par des faits expérimentaux et qui ont passé la barre classique de la vérification expérimentale. On peut en changer (cf. relativité ou gravité chez Newton et Einstein !), certes, mais pas d'un revers de la main ! Ensuite, le changement en science fait partie de sa nature même : on modifie chaque jour un peu plus nos connaissances et, plus rarement, les théories globales. Cela ne se fait pas sans raison, évidemment... Enfin, les cours de science se présentent souvent sous forme de listes de « lois », ce qui fausse le jugement. Bien sûr, ce n'est pas évident pour les profs : les programmes scolaires sont lourds et on ne peut pas refaire des milliers d'années de science avec une heure de cours par semaine... mais il est important de faire par soi-même au moins un cas de démarche scientifique complète (observations, construction d'un modèle, prédictions et vérifications expérimentales, ajustement du modèle si nécessaire).

Dans ce cadre, un cours universitaire où se rencontreraient des personnes issues de divers domaines serait également très formateur : les étudiants pourraient vraiment en profiter pour réfléchir sur ce que font les chercheurs, ce qu'est la recherche...

Portrait de Galileo Galilei par Giusto Sustermans 
galilée

Enfin, il faut aussi que nous, scientifiques, n'hésitions pas à reconnaître les limites de nos connaissances. Il n'est pas dégradant de répondre au public que ce qui a été dit ou présenté dans une conférence ou une animation scientifique constitue la meilleure explication actuelle, mais certainement pas la définitive... Par expérience, j'ai remarqué que le public est généralement surpris au premier abord (« en fait, il/elle ne sait pas ») – il faut dire que personne n'aime l'incertitude – mais reconnaissant au final (« je comprends mieux ce qu'est la science »). Une réaction épidermique ou dogmatique de notre part n'est sans doute pas la plus adaptée, la mieux à même de « convaincre »... mais elle peut sans doute s'expliquer par la crainte de passer pour un farfelu qui change d'avis toutes les cinq minutes, voire par des exemples malheureux d'hostilité subie. Certains cas extrêmes restent en effet gravés dans la mémoire collective, comme le procès de Galilée ou la mise à mort de Giordano Bruno (même si ses idées proprement scientifiques ne sont pas celles qui l'ont mené au bûcher), et une peur, probablement souvent inconsciente, persiste : on ne tient pas à aller vers (ou retourner dans) une société profondément hostile à la science... et aux scientifiques.

Les controverses scientifiques/publiques : un problème de communication ?

Certains pensent parfois que telle ou telle controverse publique, à caractère scientifique, provient d'un manque d'information. Il s'agit à mon sens d'une fausse explication. Après des années de diffusion des sciences de type « top-down », au cours desquelles on a déversé de la science dans les cerveaux (considérés comme vides a priori), on s'est rendu compte que plus les gens en savaient, moins ils étaient d'accord !

D'autre part, on a pu montrer que les personnes les plus favorables aux pseudo-sciences ne sont pas celles qui n'y connaissent rien2. En fait, on pourrait caricaturer cette situation surprenante en disant : mieux vaut « pas de science » qu' « un peu de science » !

Bref, la situation n'est pas si simple... Dans le cas des débats autour des OGMs ou du nucléaire, le problème n'est peut-être pas tant de savoir ce qu'est un gène ou la radioactivité. En gros, les gens s'en fichent de savoir comment on va tripoter la tomate : la vraie question à poser, c'est celle de savoir si on a vraiment besoin de tripoter une tomate pour qu'elle reste fraîche sur les étals pendant des mois. Selon moi, le problème réel ne concerne donc pas, la plupart du temps, la connaissance scientifique en elle-même, même si des paramètres scientifiques ou techniques interviennent évidemment dans ces débats.

Yaël Nazé
(En réponse aux questions de Estelle Carton et Julien Pieron)
Mai 2011


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Yaël Nazé est astrophysicienne, Chargée de recherches FNRS au département AGO de l'ULg.  Elle est également l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique.

 

Estelle Carton est sociologue, doctorante au sein de l'Unité de Socio-économie Environnement et Développement (SEED) du Département de Sciences et Gestion de l'Environnement de l'Université de Liège.

Julien Pieron est philosophe, membre de l’Unité de recherche en philosophie politique et philosophie critique des normes. Ses recherches récentes portent sur les enjeux épistémologiques et politiques des philosophies « vitalistes ». Dans le cadre de l’ARC/FRUCTIS, il travaille avec Florence Caeymaex à une critique de la notion de biopolitique.

 


 

2 Voir figure illustrant la p. 13 de http://www.capjournal.org/issues/05/highres.pdf qui fait référence à l'article « Les Français et les parasciences, vingt ans de mesures », D. Boy, Revue française de Sociologie, 2002, 43-1, p. 35-45 (il s'agit de cinq études réalisées entre 1972 et 2000 par la SOFRES auprès de 1500 personnes

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