Le centre, les planètes, et la noirceur : controverses cosmiques et terrestres

Comme à chacun des contributeurs de ce dossier, nous avons posé à l'astophysicienne Yaël Nazé, des questions concernant les controverses auxquelles elle est confrontée dans ses recherches.  C'est avec générosité, et non sans malice, que Yaël Nazé nous a répondu puis a rédigé, à partir de la masse des idées dégagées durant l'entretien, les pages qui suivent.

 

Comment définir la controverse ?

De manière générale, les controverses sont simplement les questions sur lesquelles il y a débat – deux ou plusieurs groupes ont des avis divergents sur une question précise. À ce niveau, les controverses font donc partie du « pain quotidien » du scientifique. Bien sûr, ce ne sont pas nécessairement des controverses énormes, qui risquent de bouleverser la science dans son ensemble ou de provoquer un gros remue-ménage dans le public. Dans ma vie de tous les jours, les débats sont plutôt du style (en caricaturant un brin) « telle étoile est binaire ! Mais non elle n'est pas binaire ! Mais si, je te dis qu'elle est binaire ! » et cela concerne peu de monde (de quelques dizaines de personnes à une centaine)... On se chamaille entre savants sur la nature d'un objet ou d'un autre, en espérant finir par dégager suffisamment de preuves pour faire pencher la balance définitivement d'un côté – et tirer des conclusions générales des comportements bizarres observés. Sans controverse, nous n'aurions tout simplement plus rien à faire...

Exemples de controverses anciennes

Les grandes controverses historiques sont bien connues. Par exemple, la position de la Terre dans le système solaire – et le procès de Galilée qui en résulte. Ce sont des stars médiatiques, mais on oublie souvent qu'il a fallu attendre la fin du 18e siècle pour avoir la preuve que la Terre tournait autour du Soleil et le milieu du 19e pour obtenir la preuve que la Terre tourne sur elle-même... Dans un registre similaire, il y a eu, au début du siècle dernier, le « Grand Débat » sur la question de la position du Soleil dans la Voie Lactée et de l'unicité de celle-ci. Chacun des intervenants a apporté des preuves... et chacun a eu finalement partiellement tort et partiellement raison (le Soleil n'est pas au centre de la Galaxie, et il y a plein d'autres galaxies), car les preuves étaient partiellement bâties sur du sable, même s'ils étaient persuadés du contraire à l'époque.

Deux controverses plus récentes

Parmi les grandes controverses récentes en astronomie, on peut citer le statut de Pluton et les cosmologies alternatives.

Vue d'artiste de Pluton 
pluton

En 2006, les astronomes réunis à Prague lors de l'assemblée générale de l'Union Astronomique Internationale ont voté (sic !) la définition du terme « planète », excluant Pluton de la liste officielle... C'était une décision logique, au vu des avancées scientifiques, mais cela a provoqué un gigantesque raz de marée de protestations, surtout outre-Atlantique (Pluton, découverte par un Américain, est Pluto en anglais, soit le copain de Mickey). Ce fut le drame : Pluton rétrogradé... et cela en pleine controverse politique (guerre en Irak !).Certains imaginèrent qu'il s'agissait d'un réflexe anti-américain primaire, d'autres (par exemple le chef de la mission New Horizons, censée aller visiter la dernière planète du système solaire jamais explorée par l'homme) y voyaient un problème potentiel pour leur carrière. La communication a été très mauvaise, les scientifiques ont passé pour des farfelus qui ne savent pas ce qu'ils font, et du coup, cela a donné lieu à des situations étranges : Il y a eu des menaces contre les directeurs de planétariums qui supprimaient Pluton de leur « piste de planètes » ;  le Nouveau Mexique a voté une loi décrétant que Pluton était la neuvième planète du système solaire... Il faut dire que, si une grande majorité de scientifiques sont d'accord pour rétrograder Pluton, la controverse sur la définition de « planète » elle-même n'est pas éteinte ! Ce grand drame sentimentalo-médiatico-scientifique mériterait certainement une étude approfondie...

Autre controverse, plus sérieuse : la question de la matière sombre et de l'énergie sombre en cosmologie. Il s'agit de deux ingrédients mystérieux (on ne connaît toujours pas leur nature exacte) qu'il faut ajouter aux modèles actuels pour qu'ils « collent » avec les observations. Certains se disent plutôt qu'il y a un problème avec la théorie standard... et essaient donc de la modifier. Jusqu'à il y a quelques années, ces opposants étaient considérés comme une poignée de farfelus isolés, vivant sur une autre planète, et le modèle « standard » noirci était martelé avec conviction tous azimuts. Aujourd'hui, pour une raison que j'ignore, l'opposition a gagné en ampleur (tant au niveau du nombre de chercheurs que du nombre d'articles publiés) : la ridule est devenue une lame de fond. Personnellement, je n'ai pas vu d'élément déclencheur évident, mais la multiplication récente des observations cosmologiques (le sujet est longtemps resté fort théorique) a peut-être joué un rôle, car il a permis de montrer que différents modèles reproduisaient les observations. En tout cas, les communiqués de presse sont plus nombreux sur ces sujets1. Du coup, cela fait bouger les choses : chaque nouvelle observation est scrutée par les deux camps (les données astro deviennent en effet rapidement publiques et accessibles à tous1), et chacun tente de développer le meilleur modèle pour montrer que « ça » marche !

Les effets positifs ou négatifs de la controverse sur la recherche scientifique

En général, les débats font avancer les choses – la controverse favorise la recherche de nouveaux modèles ou de nouvelles observations, puisque chacun veut « prouver » ses dires. Il est assez rare qu'une controverse prenne une ampleur telle qu'on ne puisse plus s'adonner librement à sa recherche (en empêchant des études autres que celles sur les questions en débat, ou en empêchant des recherches comparées, etc.)... En général, les controverses sont donc bénéfiques. Il existe bien évidemment des contre-exemples, comme ci-dessus la perte de confiance en la science associée à la mauvaise communication autour de la révision du statut de Pluton.

Du point de vue des chercheurs, le caractère positif ou négatif de la controverse peut aussi se discuter. Après tout, on y tient, à « sa » théorie... La voir balayée n'est jamais agréable ; la voir acceptée par ses « ennemis » constitue par contre une revanche assez plaisante ! Et puis, une controverse, parfois externe à la science elle-même (ex. éthique, budgétaire), peut intervenir sur le quotidien des chercheurs, en supprimant des subventions pour tel type de recherche, ou en éliminant des outils de recherche.


 
 
1 Pour obtenir chaque jour les news « astro », en français, voir http://www.astro.ulg.ac.be/news/

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