Controverses climatiques

Réintroduire une éthique dans la pratique scientifique et dans l'usage public des théories

Face à ces enjeux, il apparaît essentiel pour les climatologues « de terrain » de redéfinir et de réaffirmer l'essence et les frontières de leur discipline – face aux « imposteurs » et aux détournements de toutes sortes. Mais c'est aussi, au delà de la réaffirmation des règles et méthodes, une véritable éthique du chercheur qui est revendiquée. Celle-ci doit être basée précisément sur l'ouverture des controverses, le respect des arguments divergents et des critiques fondées, qui sont les seuls permettant soit de renforcer les hypothèses, soit de les infirmer... et donc de faire progresser la connaissance.

« Moi, je ne suis pas partie prenante et, je veux garder mon indépendance, je veux veiller à ce qu'on dise la vérité, qu'on accepte de reconnaître qu'on ne connaît pas assez le climat avant 1960, qu'on arrête de proférer des injonctions, et des grands slogans ; il faut qu'on ait ce courage-là, plutôt que de dire qu'on connaît bien le climat, et qu'on le connaît tellement bien qu'on peut prévoir son avenir... Et surtout qu'on arrête de m'associer aux climato-sceptiques.».

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'au lieu d'obliger l'opinion publique à se positionner d'un côté ou de l'autre de cette controverse des extrêmes, de vouloir, au sens militaire, « faire changer de camp » les uns et les autres, Michel Erpicum dénonce le débordement à double sens des enjeux scientifiques et sociaux hors de leurs espaces classiques de fonctionnement ; il critique autant les « réchauffistes dogmatiques », que les sceptiques radicaux comme Claude Allègre1. Il plaide pour le rétablissement d'un espace où la parole scientifique estlibre, où les scientifiques pourraient discuter de leurs incertitudes omniprésentes et de leurs interprétations de la vérité, un espace où l'on s'écoute également... plutôt que de vouloir seulement écouter ce que l'on veut bien entendre ! C'est donc bien une éthique du respect des points de vue divergents, et une objectivité scientifique au sein de la discipline qui est revendiquée.

 

Comprendre les enjeux... et accepter ses responsabilités

Voilà précisément ce qui est l'enjeu essentiel selon Michel Erpicum : éviter de prendre position sans connaître. « Il faut garder les deux pieds sur terre, et faire en sorte qu'on repère et traite les vrais problèmes. Vous voyez, c'est une controverse tellement compliquée... et une controverse qui est mise en place par des gens qui vivent de cela, alors que moi je ne vis pas de cela. ».

C'est là aussi l'origine de nombreux reproches adressés par Michel Erpicum aux médias en général : caricature du « pour ou contre », absence de recul, catastrophisme, passion du sensationnel et de l' « image choc » (augmentant l'effet de panique), présentation d'images ou d'arguments comme des vérités inébranlables, ingérence politique, déni et discrédit de points de vue divergents, gommage de la controverse scientifique...

Notre interlocuteur dénonce en particulier l'utilisation d'images de phénomènes extrêmes (inondations, cyclones, tsunamis, désertification...) et le lien de causalité fallacieux qui est trop souvent directement établi entre ces événements et le réchauffement climatique – présenté comme phénomène unique et homogène. Ces images, avancées comme des arguments scientifiques, laissent s'opérer des raccourcis rapides, qui deviennent le socle de « faits reconnus » alors même qu'ils sont toujours fortement discutables du point de vue du climatologue.

« Les télévisions nous montrent des corps qui flottent, des victimes d'inondations ... en disant : « C'est terrible, le réchauffement climatique, regardez ce qu'il crée, regardez ...  On a l'impression – et on cultive ça, aussi – que les événements sont donc beaucoup plus nombreux désormais, alors qu'on n'a pas de preuve qu'ils étaient moins nombreux avant. Donc il n'y a plus aucun repère rigoureux, scientifique, plus aucun recul. (...) Moi qui suis du domaine, je trouve qu'on ne dévoile pas les vraies responsabilités dans l'information. Et donc, la controverse, elle est là pour moi. »

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Les médias simplifient souvent l'information, en particulier lorsqu'ils parlent uniquement de COou du réchauffement climatique, pris comme une donnée. Ceci contribue d'un côté à la désinformation générale, à une sorte de « simplificationnisme » dérangeant, mais porte également le risque de discréditer les scientifiques, et cela dans leurs différentes communautés puisque, comme  nous l'avons vu, cette« communauté » est loin d'être homogène. Ce qui augmente alors le risque que chacune de ces communautés soit discréditée.

« On prend la population pour des gens qui sont incapables de comprendre quoi que ce soit, et à qui il ne faut pas expliquer tout ça. On les culpabilise à fond sur le CO2,et ils ne comprennent plus pourquoi le dernier hiver a été aussi longtemps enneigé après l'hiver 2009-2010, qui a connu également plusieurs périodes de neige. Alors de deux choses l'une, ils disent soit : « les climatologues sont des imbéciles », soit « ce n'est pas vrai, alors je continue de faire comme avant, puisque je vois qu'il n'y a pas grand chose qui change». »

En empêchant la juste compréhension des enjeux en matière de catastrophes climatiques ou de pressions environnementales (qu'elles soient ou non liées au climat, ou plus largement à l'écologie, à l'aménagement du territoire...), la controverse (tout comme la malléabilité des objets disputés en son cœur, en particulier le COet la théorie du réchauffement d'origine anthropique) empêche l'établissementet la reconnaissance des responsabilités environnementales à une échelle plus locale.

« On ramène à une cause générale la responsabilité différente de toutes les communautés et de tous les peuples à la surface de la planète. Et cela entretient le fait qu'on peut se permettre de se rejeter continuellement les responsabilités alors que tout le monde est responsable.. » 

Trouver des solutions communes, en acceptant notre part de responsabilité à tous dans des enjeux environnementaux réels et nombreux est  loin d'être aussi simple que l'impression qu'on nous en donne... n'est-ce justement pas là l'enjeu majeur des décennies à venir ? Mais comment pouvons-nous compter alors sur une science rendue muette, dépourvue de parole et de moyens ?

« Moi je suis un climatologue, mais je ne suis pas catastrophiste... à condition qu'on dise et qu'on mette bien les responsabilités en place. Les responsabilités suite aux humeurs du climat sont la mauvaise gestion de l'espace, la  non-prise en compte des variations continuelles du climat, ou les croyances comme : « on va maîtriser le climat... »... le climat a pourtant toujours son mot à dire... ».

Mais qui parle du (ou « au nom du ») climat ? Qui écoute-t-on, qui ne laisse-t-on pas parler ?Quels mécanismes devraient être mis en place pour pouvoir à la fois agir face àces enjeux, et maintenir une dynamique de connaissance qui reste autonome, relativement « détachée » des grands agendas politiques ou environnementaux ? Voici sans doute des questions de choix pour notre projet d'exploration des controverses à la fois sociales et scientifiques !

 

 

Propos recueillis par Bastien Dannevoye
Mai 2011

 

 

 

 

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Bastien Dannevoye est sociologue, chercheur au Département des Sciences et gestion de l'environnement au sein de l'unité SEED (Socio-Économie - Environnement - Développement).


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Michel Erpicum enseigne la climatologie et la topoclimatologie à l'Université de Liège. Il est également président de l'Association Internationale de Climatologie.

 




1  Voir notamment l'article de Sylvestre HUET (Libération) : "Claude Allègre divise les géographes

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