Champs électromagnétiques et santé publique

Les « courants de contact », de quoi s'agit-il ? Lorsque vous touchez un robinet ou une pièce métallique chez vous, vous êtes parcouru par un courant que vous ne sentez pas car il est en dessous du seuil de perception (qui se situe à 500 micro-ampères). Cependant, ce courant génère dans votre corps des champs électromagnétiques. Cela peut être chiffré. Dans une maison, avec des courants de contact de 100 micro-ampères, on aurait dans le corps des champs électriques induits par ce courant qui pourraient être cent fois plus élevés que si on se tenait debout en dessous d'une ligne à haute tension.

Il y a donc une piste de ce côté-là, pour la recherche, mais la solution et la réduction du risque sont très simples : il suffit que l'installation électrique de l'habitation soit conforme et les courants de contact sont alors drastiquement réduits, largement en dessous de 100 microampères. Malheureusement, en Belgique, il y aurait une maison sur deux pour laquelle l'installation ne serait pas totalement conforme.


La controverse reste donc ouverte

On ne peut pas dire aujourd'hui que la controverse soit clôturée au niveau scientifique, parce que personne ne peut confirmer la relation causale. Par contre, un consensus large mais non unanime existe au niveau scientifique pour dire qu'il n'y a pas de nouvelles preuves scientifiques des effets des champs magnétiques sur la santé et le développement de la leucémie (ALL). Il y a également un large consensus scientifique pour affirmer que si la relation causale était un jour établie, le risque en terme de santé publique resterait très faible (un cas supplémentaire de leucémie tous les deux ans pour un pays comme la Belgique qui compte une centaine de nouveaux cas par an). Les recherches continuent et le groupe BBEMG en fait un audit permanent, en sus de ses propres recherches.

Le public réactive constamment la controverse

Une question qui pourrait être posée serait de savoir dans quelle mesure il ne serait pas plus indiqué de consacrer une partie des montants alloués aux recherches sur les champs magnétiques à la recherche sur la leucémie, afin de sauver plus d'enfants atteints de la maladie (quelle qu'en soit la cause). Pourquoi, en effet, ne pas envisager un transfert du risque ?

Or, tenter d'expliquer cela à la population crée de véritables tensions. Il importe d'apprendre à communiquer. À cela s'ajoute le fait que les médias ne véhiculent pas le consensus scientifique mais davantage la version relative aux risques liés aux champs électromagnétiques pour la santé. Et, au-delà des médias et des formations, certains médecins, souvent mal informés continuent à générer une certaine peur.

La controverse booste la recherche

Évidemment, la controverse booste la recherche, en général, et sur les champs magnétiques et la santé, en particulier. Mais elle freine également le jeune doctorant car cela reste frustrant d'arriver à des conclusions qui ne démontrent rien, et ce, même si la richesse de la recherche et de la science passe par là. L'effet pervers de la controverse réside dans une volonté absolue de vouloir trouver quelque chose. De plus, l'expérimentation n'est pas facile car les champs magnétiques sont mal maîtrisés (par exemple, l'influence des dispositifs expérimentaux eux-mêmes sur des champs d'exposition à créer) par certains expérimentateurs, qui ne sont généralement pas ingénieurs et qui, sans le vouloir, effectuent parfois des expériences inappropriées.

Il n'est donc pas facile de trouver des chercheurs médecins ou ingénieurs intéressés à travailler dans ce domaine-là ; ce qui est moins le cas en épidémiologie ou en statistique.

Par contre, l'évolution des techniques exploratoires, notamment au niveau de la dégradation de l'ADN permet aujourd'hui d'affiner fortement les analyses. Ces techniques sont de plus en plus maîtrisées et permettent d'élaborer certaines approches qui peuvent déboucher sur bien d'autres applications et pourquoi pas des découvertes parallèles.

Quels enseignements tirer des controverses ?

Il est intéressant d'utiliser ce type de controverse pour illustrer les cours, notamment, en master en environnement, afin de montrer aux étudiants toute la difficulté et la complexité d'un sujet comme « la santé et les champs magnétiques ».

Les controverses peuvent également être riches d'enseignement au regard de l'implication de leurs multiples acteurs et implications au sein de la société.

Enfin, l'enseignement des controverses nous montre ce qu'est la science. C'est en effet l'un des rôles de la science que de dire que l'on ne sait pas. Le message n'est cependant pas toujours aisé à faire comprendre car il reste plus facile de véhiculer les résultats d'une étude qui met en avant un effet, plutôt que ceux d'autres qui doutent de l'existence d'un tel effet.

Propos recueillis par Grégory Piet
Mai 2011

 

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Grégory Piet est politologue, attaché au laboratoire «Gouvernance et Société» (SPIRAL, Département de Science politique). Ses recherches doctorales, sous la direction de Sébastien Brunet, portent sur l'étude des controverses.

 

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Jean-Louis Lilien enseigne les comportements électromagnétiques des réseaux d'énergie et les effets indirects des champs électromagnétiques. Il est membre du Belgian BioElectroMagnetic Group (BBEMG).

 


 


 
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