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Peut-on repiquer les posidonies ?

25 mai 2011
Peut-on repiquer les posidonies ?

Les posidonies qui colonisent les fonds marins et y sont indispensables sont malheureusement menacées par l'activité humaine. Les tentatives de transplantations ont abouti à des échecs. Cependant, on continue à avancer cette solution. Sylvie Gobert, spécialiste des écosystèmes marins nous explique cette controverse.

Identifier la controverse

Je suis océanographe et travaille en écologie sur les Phanérogames. Ces phanérogames sont des plantes à fleurs qui colonisent les fonds marins depuis la surface jusqu'à 80 mètres de profondeur sous forme de grande étendue verte appelée herbier.

posidonies

En Méditerranée, elles sont représentées par les posidonies (Posidonia oceanica L. Delile) qui sont l'unité de base d'un écosystème très important. En effet, les posidonies jouent, en Méditerranée, les mêmes rôles qu'une forêt en milieu terrestre : production d'oxygène, stabilisation du sédiment, source de nourriture, de frayère, de nurseries, d'abris pour une multitude d'organismes (bactéries, crustacés, mollusques, poissons, tortues marines...), de protection du littoral contre les tempêtes, etc. Malheureusement, cet écosystème est menacé par les activités humaines (pollution, destruction), ce qui met en péril l'équilibre écologique mais aussi économique (tourisme, pêche) de la Grande Bleue.

Depuis plusieurs années, suivant les exemples de l'Amérique et de l'Australie, certaines associations de bénévoles et même certains chercheurs ont proposé de "repiquer" les posidonies sur des sites où elles avaient disparu. Or, quand on connait P. oceanica, on sait que sa transplantation est impossible.

Contrairement aux espèces américaines, australiennes qui vivent dans la zone des marées, la posidonie est une espèce strictement infralittorale et elle ne supporte pas d'être exondée. Les bénévoles américains et australiens enfilent une paire de botte en caoutchouc pour devenir jardiniers de la mer. Pour la posidonie, tous les travaux doivent se réaliser en plongée.

À cette première difficulté de travail s'ajoute celle de la physiologie de notre posidonie (Gobert et al., 2002). La posidonie est une plante à croissance très lente (la plus lente de toutes les phanérogames marines). Un herbier compte 200 à 1200 posidonies par mètre carré. Pour repiquer un mètre carré d'un herbier de 100 posidonies, il faut les fixer sur un support qu'on attache sur le fond.

Ce travail d'installation nécessite l'intervention de deux personnes pendant plusieurs heures (récolte des posidonies, fixation, plongée).

Ensuite viennent les étapes de suivi durant lesquelles le taux de mortalité est élevé (impossibilité de pomper les éléments nutritifs, arrachage par les courants). Après 25 ans, aucune zone transplantée ne constitue un véritable herbier. Même à petite échelle, la transplantation des posidonies est impossible d'autant que si vous désirez transplanter, vous devez éliminer la cause de la disparition de la plante (pollution, activités humaines).

Il est évident que la transplantation ne constitue pas un outil pertinent de gestion du littoral méditerranéen et la priorité doit être donnée à d'autres approches pour la préservation de la qualité des eaux.

Depuis quelques années, des mots comme écologie, gestion du littoral, biodiversité, développement durable sont  fréquemment utilisés par les médias et dans des univers aussi différents que le milieu scientifique, économique, juridique ou politique.

Les besoins de chacun sont différents : restauration d'un site portuaire, protection sur le long terme ou beauté paysagère d'un site, tourisme, connaissance du fonctionnement d'un écosystème, etc. La posidonie, unité de base en Méditerranée, est devenue un enjeu économique, social, politique et écologique. Malheureusement, le rapport financier sur le court terme prévaut souvent à la gestion durable sur le long terme ; dans ce cadre, il est évidemment intéressant de laisser croire que la destruction entière « MAIS temporaire » de surface d'herbier de posidonies pour l'aménagement d'infrastructures à usages humains est possible.

S'impliquer et prendre la mesure des enjeux de la controverse

L'origine de la controverse apparaît double. Elle provient tout d'abord d'un public qui est mal ou pas informé (plongeur sportif, amoureux de la nature, etc.), ou bien d'un public, conscient de l'importance de cet écosystème, qui aimerait intervenir de manière positive dans la protection et la conservation du milieu marin. La controverse peut également émerger au départ de certains scientifiques qui continuent de proposer des (mauvais) articles aux titres alléchants mais dont le contenu n'apporte pas la solution miracle annoncée.

Partant, notre implication, en tant que scientifiques, dans la controverse est remarquée. Dans le cadre d'un projet européen (EVK3-CT2000-00033), par exemple, nous avons pu étudier les effets de la transplantation sur les posidonies. Grâce à ce projet, nous avons pu identifier les causes de l'échec de sa transplantation. En effet, nous avons commencé en 2000 des expériences de transplantation en Baie de Calvi en face de la station océanographique de l'Université de Liège (STARESO). En plus des paramètres classiques comme la croissance, le taux de survie des plantes qui avaient été mesuré lors de travaux précédents, nous avons suivi les dynamiques des éléments essentiels comme le carbone, l'azote et le phosphore dans les feuilles, les racines et les rhizomes ; ceci afin de comprendre pourquoi les posidonies transplantées ne poussent pas (croissance) et meurent (mortalité). Nos résultats montrent que la posidonie doit faire face à un problème double : produire des racines pour se fixer dans le sédiment et absorber les éléments nécessaires à sa maintenance et à sa croissance. La comparaison des bilans de carbone, azote, phosphore entre des posidonies contrôles et des posidonies transplantées est claire : les teneurs en carbone, en azote, en phosphore sont significativement plus faibles dans les transplants. Après trois ans, les transplants survivants avaient pourtant produit des racines qui fixent la plante et permettent de pomper des éléments nutritifs dans le sédiment mais le bilan carbone, azote, phosphore continue d'être insuffisant, ce qui induit un taux élevé de mortalité et une impossibilité de pousser. Ces résultats ont été publiés  (voir, par exemple, Vangeluwe et al., 2004 ; Lepoint et al., 2004) et présentés à la communauté scientifique (voir, par exemple, Gobert 2002, 2005, 2007), qui était satisfaite d'avoir l'explication de ce que tous observaient. Ceci n'empêche pas la question de revenir « sur le tapis ».

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Posidonies transplantées à 17m de profondeur (Photo prise lors de l'installation)
 
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État des grilles après trois ans

Mais le scientifique n'a pas le monopole de l'implication dans la controverse ; le public s'y intéresse également. La question de la possibilité de transplanter les posidonies revient pratiquement systématiquement quand nous rencontrons des écoliers, des étudiants ou des gestionnaires du littoral lors de conférences ou durant des cours. Avoir la possibilité de rencontrer le public et de l'entretenir de la controverse est une très bonne chose, étant donné que celle-ci part le plus souvent d'un manque de connaissance ou de mauvaises sources d'information. Heureusement, après une explication des causes de l'impossibilité de transplanter, la majorité du public se dit convaincue que la protection est la seule solution.

Enfin, autour de cette controverse, les enjeux économiques sont importants car la Méditerranée est une des zones les plus touristiques au monde et le kilomètre de côte rapporte beaucoup d'argent. Or, la posidonie est une espèce protégée, il est donc interdit de poser un égout, construire un port, aménager une plage sans une étude préalable qui démontre qu'aucun herbier ne sera détruit durant les travaux et suite aux modifications engendrées par les nouvelles installations (pollution, mouvements sédimentaires, etc.). Un des enjeux majeurs de la controverse reste bien entendu la transplantation. Partant, dans le cas où quelqu'un trouverait une technique de transplantation efficace de la posidonie, il suffirait alors de prévoir les financements et, une fois les travaux terminés, toutes les zones endommagées seraient transplantées. Dès lors, pour l'heure, la controverse n'est pas close.

Il y a quelques semaines, un professeur d'un Lycée privé de Paris a pris contact avec moi pour que je fournisse l'ensemble de mes données sur la posidonie afin que ses étudiants puissent réaliser un travail. Après quelques secondes de conversation, ce professeur a expliqué que pour répondre à la demande d'une association de plongeurs, lui et ses élèves allaient mettre au point un protocole de culture de posidonie en aquarium en vue d'une transplantation. Je lui ai confirmé que la posidonie peut être maintenue en aquarium mais que la transplantation en mer n'était pas réalisable. Le programme des étudiants a pourtant été maintenu.

Stimuler la recherche et enseigner la controverse

Selon nous, ce type de controverse peut stimuler le développement de la recherche. En effet, pour répondre clairement à une question, il faut connaître tous les aspects de la réponse, sinon vous prenez le risque de ne pas être convaincant. De plus, les discussions entre partisans et antagonistes amènent souvent des nouvelles questions et donc de nouvelles recherches.

Enfin, dans nos enseignements, nous mobilisons volontairement cette controverse et d'autres en océanographie car elles nous permettent de faire intervenir les étudiants.

Sylvie Gobert
(En réponse aux questions de Grégory Piet)

Mai 2011

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Sylvie Gobert est biologiste spécialiste d'océanologie et biologie sous-marine et d'écologie marine qu'elle enseigne à l'Université de Liège, où elle est responsable du laboratoire d'océanographie.

 

Grégory Piet est politologue, attaché au laboratoire «Gouvernance et Société» (SPIRAL, Département de Science politique). Ses recherches doctorales, sous la direction de Sébastien Brunet, portent sur l'étude des controverses.

 

Voir aussi l'article du site Reflexions : Les vigies de l'environnement côtier


 

Gobert (2002) Variation spatiale et temporelle de l'herbier à P.oceanica 226pp www2.ulg.ac.be/oceanbio/memoire/SGthesis.pdf
Gobert, N. Laumont and J.-M. Bouquegneau (2002) Posidonia oceanica meadow: a low nutrient high chlorophyll (LNHC) system ? BMC Ecology, 2: 9 (Highly accessed article).
Gobert, M.L. Cambridge, B. Velimirov, G. Pergent, G. Lepoint, J. M. Bouquegneau, P. Dauby, C. Pergent-Martini, and D. I. Walker. (2006) Biology of Posidonia p 387- 408 in « Seagrasses: Biology, Ecology and Conservation » Larkum, Anthony W.D.; Orth, Robert J.; Duarte, Carlos M. (Eds.)  XVI, Hardcover  ISBN: 1-4020-2942-X, 691 pp.
Lepoint, D. Vangeluwe, M. Eisinger, M. Paster, P van Treeck, J. M. Bouquegneau and S. Gobert (2004) Nitrogen dynamics in Posidonia oceanica cuttings : implications for transplantation expriments. Mar. Pollut. Bull. 48: 465-470.
Vangeluwe, G. Lepoint, J. M. Bouquegneau and S. Gobert (2004) Effect of experimental transplanting on the biomass, growth and C, N, P contents in Posidonia oceanica (L.) Delile Vie et Milieu  54: 223-230.
Gobert 2002 Rehabilitation and restoration of degraded Posidonia oceanica seagrass beds - Preliminary results of Calvi (Corsica).
5th International Seagrass Biology Workshop. Ensenada, Baja California México,.
Gobert 2005 Restoration of seagrass meadows: means and limitations. The Mediterranean coastal environment, 25-29 October (2005), Kusadasi, Turkey Medcoast 2005, The seventh international conference on the Mediterranean coastal environment.
Gobert 2007 Transplantation effects on Posidonia oceanica (L.) Delile. Mediterranean. Marseille Action Plan  Regional Activity Centre for Specially Protected Areas. Third Mediterranean Symposium on Marine Vegetation.
 
 
La bibliographie de Sylvie Gobert est disponible sur ORBI.
 


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