Faut-il interdire le Bisphenol A dans les récipients destinés à contenir des aliments ?

Différents pays prennent actuellement des mesures pour interdire l'utilisation de bisphenol A dans les biberons ou plus largement dans les plastiques destinés à être en contact avec des denrées alimentaires. Se penchant sur les mêmes études scientifiques, différents comités d'experts arrivent à des conclusions différentes quant à la toxicité du BPA. Marie-Louise Scippo, spécialiste de l'analyse des denrées alimentaires, fait le point sur cette controverse.   

logo bisphenol a

Le bisphenol A (BPA) [2,2-bis-(4-hydroxyphenyl) propane, CA n° 80-05-7] est un composé chimique industriel utilisé comme monomère de départ pour la fabrication de polymères comme le polycarbonate ou les résines dites "epoxy". Le polycarbonate est utilisé dans de nombreux récipients destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, comme certaines bouteilles en plastique réutilisables (par exemple les fontaines d'eau), les biberons et autres récipients en plastique (à l'exclusion des bouteilles en PET), tandis que les résines dites "epoxy" sont utilisées pour le revêtement interne des boîtes de conserve.  Notons que seulement 3% de tout le polycarbonate produit en Europe et 10% des résines dites "epoxy" sont utilisés dans des matériaux destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires (Plastics Europe, 2007). Le reste est utilisé pour la fabrication d'objets tels que les lunettes de soleil, les CD-ROMs, le matériel médical ou encore les matériaux de construction.

Il est bien connu que des substances chimiques peuvent migrer des récipients en plastique vers les denrées alimentaires qu'ils contiennent, et la législation européenne prévoit une quantité maximale de migration dans les aliments, pour toute une série de substances chimiques autorisées, dont le bisphénol A1.

Le BPA est décrit comme un perturbateur endocrinien (de nombreuses études ont montré que cette molécule présente une activité hormonale de type œstrogénique).

Le BPA est également classé comme repro-toxique de catégorie 3 (substance inquiétante pour la fertilité de l'Homme).

À cause de cette propriété de perturbateur endocrinien, le BPA s'est taillé une très mauvaise réputation. Le BPA a été souvent évoqué dans les médias ces derniers temps, le plus fréquemment au sujet des biberons en polycarbonate, qui peuvent relarguer du BPA dans le lait après chauffage, en quantité d'autant plus importante que la température est élevée, quel que soit le mode de chauffage (micro-onde ou bain-marie), les quantités relarguées restant toutefois inférieures à la limite légale de migration (De Coensel et al, 2009). Il s'ensuit donc que le bébé ou le jeune enfant est exposé à un perturbateur endocrinien, ce qui n'a bien sûr rien de rassurant pour la mère.

Une controverse existe depuis 2008 au sujet de la bonne décision à prendre au sujet du BPA dans les biberons : faut-il l'interdire ou non ?

Le Canada, tout comme certains états d'Amérique du Nord, interdisent le BPA dans les biberons depuis 2008, tandis qu'en Union Européenne, ce n'est que tout récemment que la même décision vient d'être prise. Depuis le 1er mars 2011, il est désormais interdit d'utiliser du BPA dans la fabrication de biberons.  L'interdiction de mise sur le marché de biberons contenant du BPA est, elle, d'application au 1er juin.

Les dossiers d'évaluation du risque lié au BPA dans les aliments sont nombreux à travers le monde (fournis par les différentes autorités scientifiques) et sont tous basés sur les mêmes études toxicologiques publiées dans la littérature internationale. On constate cependant que les décisions de gestion du risque sont différentes d'un pays à l'autre, alors que les conclusions de l'évaluation du risque sont comparables.

Les différents dossiers disponibles sont rapidement évoqués ci-dessous.

L'avis de l'EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments)

L'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et avant elle, le comité scientifique de l'alimentation humaine, a, à de nombreuses reprises, évalué le risque associé à une exposition au BPA via l'alimentation. Dans son dernier avis (septembre 2010), l'EFSA a présenté les conclusions de ses experts concernant trois analyses :

  1. L'évaluation d'une étude scientifique récente qui avait montré que le BPA était neurotoxique. Après une analyse statistique poussée, le panel d'experts a conclu que ces effets n'étaient pas significatifs.
  2. L'examen des données récentes de la littérature scientifique, pour une éventuelle réévaluation à la baisse la dose journalière acceptable (DJA) établie dans les avis précédents. Les experts n'ont pas jugé nécessaire de modifier les chiffres. Mais ils ont toutefois recommandé des études sur le rôle favorisant que pourrait jouer le BPA dans le développement d'un cancer, quand il y a co-exposition à une substance cancérigène (le BPA, en tant que tel,  n'est pas cancérigène).
  3. L'évaluation de l'argumentation des autorités danoises qui ont interdit le BPA pour la fabrication des biberons en 2010. Comme le Danemark se fondait essentiellement sur l'étude évoquée au point 1, qui avait été « invalidée » par l'EFSA, l'EFSA n'a pas jugé pertinente la décision danoise.

Notons que cet avis de l'EFSA mentionne qu'un membre du panel d'experts ne partage pas l'opinion du reste du panel en ce qui concerne la non-réévaluation de la dose journalière acceptable du BPA, en raison des incertitudes apportées par les nouvelles études toxicologiques.

Avis de l'ANSES (ex-AFSSA : Agence française de sécurité sanitaire des aliments)

L'ANSES a publié un avis en octobre 2009, qui répond  à 3 questions :

  1. L'étude du Conseil de Chimie Américain (American Chemistry Council, 2009), concernant l'effet toxique du BPA sur le développement du système nerveux, montre-t-elle un effet négatif sur la descendance d'animaux de laboratoire exposés au BPA pendant la gestation et la lactation ?

    Les experts de l'ANSES concluent que le BPA ne présente pas un tel effet, à la dose correspondant à la dose sans effet observé qui a servi à établir la DJA.
  2.  Les études récemment publiées permettent-elles de conclure à une absence d'effet néfaste du BPA à faible dose ? Faut-il réexaminer la dose toxicologique de référence qui est utilisée pour établir la DJA ?

    Les effets observés avec de faibles doses de BPA sont des signaux d'alarme dont il faut tenir compte en terme de santé publique. Les études récentes présentent cependant des biais, ce qui ne permet pas d'émettre une conclusion ferme et définitive.
  3. La méthodologie d'évaluation du risque basée sur la DJA est-elle bien adaptée au cas des perturbateurs endocriniens, comme le BPA ?

    La réponse est non, car dans le cas des perturbateurs endocriniens, la toxicité varie en fonction du stade de développement de l'individu exposé.

Page : 1 2 next