Les discours qui ont marqué l'Histoire

Que faut-il pour qu'un discours s'impose et reste ?

Les cas peuvent être très variables. Certains discours, au moment même où ils sont prononcés, marquent un tournant dans l'Histoire et dans l'imaginaire collectif parce qu'ils sont prononcés par la bonne personne au bon moment. Par le fond, par la forme, parce qu'ils sont bien construits ou grâce à une formule qui va frapper les esprits, on pressent qu'ils vont rester. C'est le cas, par exemple, du discours de Churchill qui, en 1940, promet à l'Angleterre « du sang, de la sueur et des larmes ». Il galvanise les Britanniques sans cacher que ça va être rude, compliqué, tout en affirmant, qu'au final, ils gagneront car, de cette victoire, dépend leur survie. Ce discours a fondé sa personnalité et sa légende. Il a fait de lui, aux yeux de ses compatriotes, le personnage le plus important de leur Histoire.

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Winston Churchill

En revanche, d'autres discours ne prennent toute leur signification qu'à moyen voire à long terme parce qu'ils apparaissent a posteriori comme visionnaires. C'est le cas, par exemple, du discours de Léon Blum au Congrès de Tours en 1920. Il explique aux membres de la SFIO qui vont aller fonder le Parti communiste de quelle manière, à un certain moment, ils se retrouveront piégés par l'idéologie communiste, par l'application qui en est faite en Russie, sans avoir ni liberté de penser, ni marge de manœuvre. Il leur dit qu'un jour, ils reviendront et lance cette phrase qui est restée: « Je garde la vieille maison ».

Justement, quelle est l'importance de la formule-choc dans la pérennité d'un discours ?

Elle est primordiale sans être forcément indispensable. Dans un grand nombre de cas, on désigne effectivement le discours par sa formule. Parfois, cela peut être réducteur mais résume parfois ce que l'orateur voulait faire passer. C'est le cas de « Ich bin ein Berliner », le discours prononcé par Kennedy à Berlin en juin 1963. Le reste du texte est important mais la formule en est la quintessence. Certaines formules sont, au contraire, ambiguës. Par exemple le « Je vous ai compris » lancé en 1958 par de Gaulle à Alger devant une foule majoritairement acquise à l'Algérie française. Au final et a posteriori, on ne sait plus exactement ce qu'il avait compris. Même si on sait, par les témoignages de proches, qu'intellectuellement, il était déjà entré dans le processus qui allait conduire à l'indépendance de l'Algérie.

Certaines formules disent-elles autres chose que le discours lui-même, comme c'est parfois le cas de phrases extraites de leur contexte ?

Autre chose, je ne crois pas. Mais le contexte peut évoluer. Quand on fait d'Aristide Briand et de l'Allemand Stresemann les précurseurs de l'Europe dans l'entre-deux guerres, il faut préciser que leur idée d'une Europe fédérale n'est plus la nôtre aujourd'hui. Ils parlent beaucoup plus d'Europe économique que politique et la notion de souveraineté nationale a fortement évolué. De manière générale, si on ne connaît pas précisément le contexte dans lequel un discours a été prononcé, on peut faire dire à certains extraits, même de bonne foi, le contraire de ce qu'ils signifiaient. C'est pourquoi nous avons veillé à contextualiser chaque texte.

La majorité des grands discours sont-ils des discours de résistance ou de lutte ?

Ils sont généralement liés à des grands moments historiques. Ils s'inscrivent souvent dans des périodes de crise au sens large. Ce peut être une guerre, un conflit, mais aussi la volonté de prendre à bras le corps une crise économique, comme le New Deal de Roosevelt. Plus l'instant est crucial et risque de conduire à un basculement, plus on peut s'attendre à avoir des discours qui cherchent soit à convaincre, soit à expliquer, soit à mobiliser. Ou même qui menacent, comme celui de Kennedy au moment de la crise des missiles à Cuba en 1962.

Mais il existe aussi des discours plus pédagogiques. Je pense à celui de Senghor sur son attachement à une certaine forme de francité et sur la manière dont, culturellement, peut se définir l'Afrique francophone postcoloniale. Ou des discours d'explication, de valorisation d'un projet ou d'un idéal. Les discours des Prix Nobel notamment. Dans notre livre, nous en avons aussi choisi illustrant des interrogations importantes du 20e siècle, telle la réaction de l'Église face à la Shoah. Ou des textes qui n'apparaissent peut-être pas comme des discours marquants mais qui illustrent la réaction d'un pays ou d'une institution face à un problème.

Le lieu où est prononcé le discours peut avoir une grande importance ?

Totalement. Par exemple, le fait qu'Arafat prononce son discours à la tribune de l'ONU implique une forme de reconnaissance, de légitimation de sa personne. De même Sadate à la Knesset. Le fait qu'il parle devant les parlementaires israéliens, en termes de reconnaissance, de relation diplomatique symbolique entre les deux pays, c'est extrêmement important. Quand Jean-Paul II vient parler des liens entre l'Église catholique et les juifs au Mémorial de Yad Vashem, le lieu est quasiment aussi important que ce qui est dit.

Un discours peut-il révéler son auteur ?

Un discours peut propulser un inconnu sur la scène que l'on dirait aujourd'hui médiatique. Certaines personnalités, et de Gaulle en est un bon exemple avec son appel du 18 juin et ceux qui ont suivi, peuvent se révéler et se créer par une prise de parole qui va marquer l'opinion. Mais je ne vois pas de discours prononcé par quelqu'un qui n'aurait joué aucun rôle par la suite mais qui serait resté dans l'Histoire.

Vous pensez qu'Obama a été forgé par son « Yes we can » ?

Cela y a contribué. Mais son histoire personnelle et sa personnalité ont également beaucoup joué pour son image. Autant que les phrases qu'il a pu prononcer dans ses discours de campagne, On a d'ailleurs mis en parallèle ce qu'il disait avec l'idée de la Nouvelle Frontière avancée par Kennedy.

Existe-t-il des spécialistes du discours ?

Au 20e siècle, il y a deux personnalités vraiment incontournables, de Gaulle et Churchill. Ils ont tous les deux un rapport à la langue, à la parole, à l'écriture très spécifique. De Gaulle était un bon écrivain et Churchill a reçu le Prix Nobel de Littérature. Mais pour qu'un discours marque, un bon texte ne suffit pas, il faut aussi un bon orateur qui parvienne à convaincre. Et l'un et l'autre avaient ce charisme.

Propos recueillis par Michel Paquot
Mai 2011


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Michel Paquot est journaliste indépendant.

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Catherine Lanneau  enseigne l'histoire de la Belgique et de ses relations internationales. Ses principales recherches portent sur l’histoire politique de la Belgique et de l'Europe au 20e siècle.

 
 

 

Ouvrages concernant les grands discours :
-          Les 100 discours qui ont marqué le XXe siècle, sous la direction d'Hervé Broquet, Simon Petermann et Catherine Lanneau, André Versaille Editeur, 824 pages, 35 €.
-          Des grands discours qui ont marqué l'Histoire, Points, 3 € chaque volume
-          Les grands discours du XXe siècle, présentés par Christophe Boutin, Champs/Flammarion,   368 pages, 8 €

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