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Les discours qui ont marqué l'Histoire

31 mai 2011
Les discours qui ont marqué l'Histoire

En août 2009, la collection de livres de poche Points a lancé une nouvelle série, « Des grands discours qui ont marqué l'Histoire ». Chaque volume réunit, autour d'une thématique commune, deux ou trois de ces moments uniques ancrés dans la mémoire collective. Le catalogue compte aujourd'hui une vingtaine de titres bilingues. Pour parler de ce sujet, nous avons interrogé Catherine Lanneau, chargée de cours à l'ULg et co-directrice de l'ouvrage « Les 100 plus grands discours ».

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La série de livres consacrés aux grands discours qui ont marqué l'Histoire balaie les 19e et 20e siècles, et même parfois au-delà, et s'inscrit dans une perspective mondiale, avec la volonté de toucher à des domaines différents. De grandes fractures historiques sont présentes, telles la Deuxième Guerre mondiale – les appels à la lutte de Churchill et de De Gaulle, d'une part, Thomas Mann saluant le courage des résistants allemands et André Malraux accueillant Jean Moulin au Panthéon, d'autre part –, la Guerre l'Algérie – le « Je vous ai compris » de De Gaulle, la déclaration du gouvernement provisoire algérien ou Le Manifeste des 121 – et la Commune de Paris défendue par Louise Michel, Jules Vallès et Karl Marx. Les douloureuses et épineuses questions de l'esclavage, du colonialisme et de l'émancipation de l'Afrique sont posées dans deux recueils où résonnent les voix parfois discordantes de Jules Ferry, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Danton et Léopold Sédar Senghor. La non-violence est également au menu avec Gandhi et le Dalaï-Lama, de même que la tyrannie contre laquelle se sont élevés Dolores Ibarruri, Salvatore Allende et Victor Hugo. Figurent encore dans cette collection les appels au renouveau de Nehru en 1947 et de Mandela en 1994 ou à la résistance lancés par Trotsky en 1906, ou Aung San Suu Kyi en 1994.

L'Europe est abordée grâce à Stefan Zweig, Robert Schuman et Jacques Chirac, de même que le Proche-Orient via Ben Gourion proclamant la naissance de l'État d'Israël en 1948, Yasser Arafat annonçant la création d'un État palestinien en 1988 et Itzhak Rabin donnant sa chance à la paix en novembre 1995, quelques minutes avant son assassinat. Les États-Unis ne sont pas en reste avec un face-à-face John Kennedy-Malcolm X autour de la discrimination raciale et de la place des Noirs, le discours de Roosevelt en 1933 ou les célèbres « I have a dream » de Martin Luther King et « Yes, we can » d'Obama. Ou avec la démission de Nixon rattrapé par l'affaire du Watergate en août 1974, qui voisine avec l'enterrement de l'URSS en novembre 1991 par Gorbatchev et l'annonce par de Gaulle de son départ de la direction du gouvernement provisoire en janvier dans une allocution jamais diffusée.

Et puis sont évoqués des sujets de société comme la peine de mort, avec le pour de Barrès et le contre de Badinter, la pilule (Lucien Neuwirth), l'avortement (Simone Veil) et le féminisme (Théroigne de Méricourt, George Sand).

Chargée de cours, à l'ULg, au département des Sciences Historiques (Service d'Histoire de Belgique et de ses relations internationales 19e-21e siècles), Catherine Lanneau a codirigé avec Hervé Broquet et Simon Petermann, Les 100 discours qui ont marqué le 20e siècle, un ouvrage collectif associant politologues et historiens paru en 2008 chez André Versaille Éditeur. Cette somme permet de parcourir le siècle à travers les discours de Gandhi, Churchill, De Gaulle, Arafat, Mandela, Luther King, Jean-Paul II, Gorbatchev et bien d'autres replacés à chaque fois dans leur contexte historique, politique ou culturel. Nous l'avons interrogée sur leur importance dans l'Histoire.

Comme historienne, quel intérêt portez-vous aux discours ?

Les discours m'intéressent en tant que tels comme outils de communication destinés à faire passer un message. Et d'autant plus s'il s'agit de textes ayant influencé plus ou moins directement l'Histoire du 20e siècle, en particulier politique, qui reste mon domaine de prédilection.

Le discours a-t-il toujours eu une grande importance ?

Oui, sous différentes formes, il joue depuis toujours  un grand rôle. S'adresser aux foules en public a toujours été important. Mais il a vu sa portée démultipliée par les médias. On remarque que des orateurs très brillants face à une salle, dans un meeting ou devant un hémicycle parlementaire peuvent l'être nettement moins à la télévision ou devant un micro. Si de Gaulle a très vite maîtrisé l'outil télévisuel, ce n'est pas, par exemple, le cas de Mitterrand qui, en 1965, lors de la première élection d'un président de la République au suffrage universel, est complètement dépassé par ce nouveau média. Aurait-il eu le discours le plus achevé, il ne serait parvenu à rien faire passer tant il était visiblement mal à l'aise.

Peut-on raconter l'histoire du 20e siècle à partir de ces discours ?

Ce serait, je pense, trop restrictif. Les discours que nous avons choisis pour l'ouvrage, nous les remettons dans leur contexte, les relions à leur époque dans une causalité à la fois directe et à long terme. Cela permet de parcourir le 20e siècle à travers eux mais il est clair, alors, qu'il existe des sociétés moins présentes parce que leur histoire peut moins aisément se parcourir à travers de grands moments oratoires. Toute une série de réalités mondiales ne sont pas abordées par le biais des discours politiques. Mais nous avons néanmoins veillé à prendre en compte chaque continent.

Que faut-il pour qu'un discours s'impose et reste ?

Les cas peuvent être très variables. Certains discours, au moment même où ils sont prononcés, marquent un tournant dans l'Histoire et dans l'imaginaire collectif parce qu'ils sont prononcés par la bonne personne au bon moment. Par le fond, par la forme, parce qu'ils sont bien construits ou grâce à une formule qui va frapper les esprits, on pressent qu'ils vont rester. C'est le cas, par exemple, du discours de Churchill qui, en 1940, promet à l'Angleterre « du sang, de la sueur et des larmes ». Il galvanise les Britanniques sans cacher que ça va être rude, compliqué, tout en affirmant, qu'au final, ils gagneront car, de cette victoire, dépend leur survie. Ce discours a fondé sa personnalité et sa légende. Il a fait de lui, aux yeux de ses compatriotes, le personnage le plus important de leur Histoire.

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Winston Churchill

En revanche, d'autres discours ne prennent toute leur signification qu'à moyen voire à long terme parce qu'ils apparaissent a posteriori comme visionnaires. C'est le cas, par exemple, du discours de Léon Blum au Congrès de Tours en 1920. Il explique aux membres de la SFIO qui vont aller fonder le Parti communiste de quelle manière, à un certain moment, ils se retrouveront piégés par l'idéologie communiste, par l'application qui en est faite en Russie, sans avoir ni liberté de penser, ni marge de manœuvre. Il leur dit qu'un jour, ils reviendront et lance cette phrase qui est restée: « Je garde la vieille maison ».

Justement, quelle est l'importance de la formule-choc dans la pérennité d'un discours ?

Elle est primordiale sans être forcément indispensable. Dans un grand nombre de cas, on désigne effectivement le discours par sa formule. Parfois, cela peut être réducteur mais résume parfois ce que l'orateur voulait faire passer. C'est le cas de « Ich bin ein Berliner », le discours prononcé par Kennedy à Berlin en juin 1963. Le reste du texte est important mais la formule en est la quintessence. Certaines formules sont, au contraire, ambiguës. Par exemple le « Je vous ai compris » lancé en 1958 par de Gaulle à Alger devant une foule majoritairement acquise à l'Algérie française. Au final et a posteriori, on ne sait plus exactement ce qu'il avait compris. Même si on sait, par les témoignages de proches, qu'intellectuellement, il était déjà entré dans le processus qui allait conduire à l'indépendance de l'Algérie.

Certaines formules disent-elles autres chose que le discours lui-même, comme c'est parfois le cas de phrases extraites de leur contexte ?

Autre chose, je ne crois pas. Mais le contexte peut évoluer. Quand on fait d'Aristide Briand et de l'Allemand Stresemann les précurseurs de l'Europe dans l'entre-deux guerres, il faut préciser que leur idée d'une Europe fédérale n'est plus la nôtre aujourd'hui. Ils parlent beaucoup plus d'Europe économique que politique et la notion de souveraineté nationale a fortement évolué. De manière générale, si on ne connaît pas précisément le contexte dans lequel un discours a été prononcé, on peut faire dire à certains extraits, même de bonne foi, le contraire de ce qu'ils signifiaient. C'est pourquoi nous avons veillé à contextualiser chaque texte.

La majorité des grands discours sont-ils des discours de résistance ou de lutte ?

Ils sont généralement liés à des grands moments historiques. Ils s'inscrivent souvent dans des périodes de crise au sens large. Ce peut être une guerre, un conflit, mais aussi la volonté de prendre à bras le corps une crise économique, comme le New Deal de Roosevelt. Plus l'instant est crucial et risque de conduire à un basculement, plus on peut s'attendre à avoir des discours qui cherchent soit à convaincre, soit à expliquer, soit à mobiliser. Ou même qui menacent, comme celui de Kennedy au moment de la crise des missiles à Cuba en 1962.

Mais il existe aussi des discours plus pédagogiques. Je pense à celui de Senghor sur son attachement à une certaine forme de francité et sur la manière dont, culturellement, peut se définir l'Afrique francophone postcoloniale. Ou des discours d'explication, de valorisation d'un projet ou d'un idéal. Les discours des Prix Nobel notamment. Dans notre livre, nous en avons aussi choisi illustrant des interrogations importantes du 20e siècle, telle la réaction de l'Église face à la Shoah. Ou des textes qui n'apparaissent peut-être pas comme des discours marquants mais qui illustrent la réaction d'un pays ou d'une institution face à un problème.

Le lieu où est prononcé le discours peut avoir une grande importance ?

Totalement. Par exemple, le fait qu'Arafat prononce son discours à la tribune de l'ONU implique une forme de reconnaissance, de légitimation de sa personne. De même Sadate à la Knesset. Le fait qu'il parle devant les parlementaires israéliens, en termes de reconnaissance, de relation diplomatique symbolique entre les deux pays, c'est extrêmement important. Quand Jean-Paul II vient parler des liens entre l'Église catholique et les juifs au Mémorial de Yad Vashem, le lieu est quasiment aussi important que ce qui est dit.

Un discours peut-il révéler son auteur ?

Un discours peut propulser un inconnu sur la scène que l'on dirait aujourd'hui médiatique. Certaines personnalités, et de Gaulle en est un bon exemple avec son appel du 18 juin et ceux qui ont suivi, peuvent se révéler et se créer par une prise de parole qui va marquer l'opinion. Mais je ne vois pas de discours prononcé par quelqu'un qui n'aurait joué aucun rôle par la suite mais qui serait resté dans l'Histoire.

Vous pensez qu'Obama a été forgé par son « Yes we can » ?

Cela y a contribué. Mais son histoire personnelle et sa personnalité ont également beaucoup joué pour son image. Autant que les phrases qu'il a pu prononcer dans ses discours de campagne, On a d'ailleurs mis en parallèle ce qu'il disait avec l'idée de la Nouvelle Frontière avancée par Kennedy.

Existe-t-il des spécialistes du discours ?

Au 20e siècle, il y a deux personnalités vraiment incontournables, de Gaulle et Churchill. Ils ont tous les deux un rapport à la langue, à la parole, à l'écriture très spécifique. De Gaulle était un bon écrivain et Churchill a reçu le Prix Nobel de Littérature. Mais pour qu'un discours marque, un bon texte ne suffit pas, il faut aussi un bon orateur qui parvienne à convaincre. Et l'un et l'autre avaient ce charisme.

Propos recueillis par Michel Paquot
Mai 2011


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Michel Paquot est journaliste indépendant.

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Catherine Lanneau  enseigne l'histoire de la Belgique et de ses relations internationales. Ses principales recherches portent sur l’histoire politique de la Belgique et de l'Europe au 20e siècle.

 
 

 

Ouvrages concernant les grands discours :
-          Les 100 discours qui ont marqué le XXe siècle, sous la direction d'Hervé Broquet, Simon Petermann et Catherine Lanneau, André Versaille Editeur, 824 pages, 35 €.
-          Des grands discours qui ont marqué l'Histoire, Points, 3 € chaque volume
-          Les grands discours du XXe siècle, présentés par Christophe Boutin, Champs/Flammarion,   368 pages, 8 €


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