Théâtre universitaire vs. théâtre professionnel : une question de méthode

Ce fut aussi notre démarche par rapport à un autre Grand de la littérature dramatique, un Français cette fois : Molière.

Il revient aussi au théâtre universitaire de présenter un répertoire peu joué par les grands théâtres ; de pêcher, même chez les auteurs à succès, – pour ne pas dire rabâchés –, des œuvres moins- ou mé-connues. C'est le cas de L'Impromptu de Versailles, qui par sa forme même de « théâtre dans le théâtre » rejoignait parfaitement nos préoccupations dans les années 80 : influence du post-modernisme ambiant oblige.

On connaît l'argument de la pièce : le Roi va venir (« dans deux heures », dit le texte), assister à un nouveau spectacle de la troupe de Molière... et rien n'est prêt ! Panique ! Que faire ?

Ce thème, et, comme souvent, le nombre important de comédiens disponibles qu'il fallait employer sous peine de graves déceptions, ont inspiré notre réflexion dramaturgique. Et si le lieu de l'action n'était pas la cour de Louis XIV, mais un théâtre d'aujourd'hui ? Et si, dès lors, la troupe des comédiens aux prises avec le texte de Molière et voulant le « moderniser » dans le jeu (costumes modernes, diction, scénographie...), étaient harcelés par leurs doubles, fantômes de  la troupe des comédiens de Molière, en habits d'époque, qui hantent, physiquement, ces lieux destinés à la représentation ? Et si c'était le concierge dudit théâtre et non le roi, qui, finalement, manipulait (ou rêvait) toute l'affaire, comme seul personnage « vrai », hic et nunc du spectacle ?

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L'Impromptu de Versailles

Nous avions l'effectif nécessaire en l'occurrence, et notre Impromptu  mit donc en scène deux « troupes » dont les interventions, tantôt alternées, tantôt collectives mettaient le spectateur en demeure de réfléchir sur une manière pertinente de jouer Molière aujourd'hui. Notre spectacle fut présenté en Belgique, en France et au Maroc, pays parlant français, mais aussi en Allemagne, en Lituanie et en Bulgarie, pays non-francophones, avec un égal franc succès.

Dans les deux exemples plus haut, les comédiens étaient de jeunes adultes, âgés de 18 à 35 ans.

Voici, pour terminer, un dernier exemple qui concerne cette fois un groupe d'adolescents (12-16 ans) avec lequel nous avons présenté Roméo et Juliette du grand William S., sous le titre Roméo, Juliette, William, les autres... et moi (En effet, le TURLg organise également des ateliers hebdomadaires avec des jeunes, groupés par tranches d'âge de 6 à 8, 8 à 12, 12 à 16 ans... Et quelques fois, ces ateliers mènent à la création d'un « vrai » spectacle).

Dans ce cas-ci encore, plusieurs obstacles devaient être franchis : la jeunesse et l'inexpérience de ces ados face à sa Majesté Shakespeare, d'une part; le nombre de comédiens/ennes à impliquer dans l'aventure (une petite vingtaine), autrement qu'à titre de figurants faisant la foule ici ou là dans la pièce, d'autre part. Ces deux contraintes nous amenèrent, cette fois encore, à des options dramaturgiques essentielles et déterminantes.

Plutôt que de jouer la pièce intégralement, ce qui aurait demandé un travail quasi insurmontable en quelques mois au rythme d'une répétition par semaine, eu égard à l'état de formation théâtrale de ces jeunes, nous décidions de montrer en scène des ados d'aujourd'hui se questionnant sur le sens et la portée de ce chef d'œuvre de la fin du 16e siècle dans leur vie aujourd'hui : les rapports aux parents et au(x) pouvoir(s), les conflits de toutes sortes qui fracturent notre société, l'amour, la vie, la mort... Présenter en les jouant des scènes choisies de la pièce faisait partie de cette réflexion « jouée », et cela permettait d'utiliser, selon les cas, plusieurs personnages (et surtout les deux principaux) en plusieurs exemplaires. Cela permettait aussi d'utiliser des moyens audio-visuels, tantôt en projetant sur un écran faisant partie du décor des extraits de vidéos d'adaptations magistrales de la pièce (Zefirelli, Baz Luhrman, la BBC...), tantôt en se filmant eux-mêmes en train de choisir leurs costumes d'époque dans les réserves de l'Opéra Royal de Liège, tantôt en réalisant, dans les rues de la ville, des interviews filmées de passants pris au hasard, que nos jeunes acteurs interrogeaient à brûle-pourpoint sur l'œuvre et son auteur. (Avouons-le, le remarquable Looking for Richard d'Al Pacino n'est pas tout à fait étranger à notre démarche).

Cette manière d'aborder une œuvre aussi complexe en la questionnant « ici et maintenant » et par fragments, plutôt qu'en essayant – mission quasi impossible dans ces circonstances – de la « représenter » de manière conventionnelle, n'eut que des résultats positifs, tant sur le plan du spectacle même (et de son succès : il fut même très applaudi par de jeunes collégiens allemands), que sur celui de la formation tous azimuts des participants : en découvrant Shakespeare, ils se découvraient eux-mêmes, en réfléchissant aux thèmes éternels qu'évoque le grand Will dans son drame.

Là où les théâtres professionnels ont coutume de choisir et d'adapter la distribution et la dramaturgie aux exigences de la pièce, nous, nous adaptons plutôt la pièce et la dramaturgie aux contraintes d'une distribution "volontaire", imposée par la nature même de notre travail en milieu universitaire amateur.

L'adaptation aux qualités, mais aussi aux besoins de la troupe, effective et particulière, fait partie intégrante de notre méthode.

Ceci n'est évidemment qu'un préalable : encore faut-il la faire jouer, dans une production "montrable", cette troupe singulière. Nous l'avons dit plus haut : les portes du TURLg sont ouvertes, chaque nouvelle saison, à quiconque (même non-universitaire) veut s'engager sur un projet de spectacle. Et il y a du monde devant la porte ! Les candidats se divisent généralement en deux catégories : ceux qui ne connaissent rien au théâtre ; et ceux qui en ont des images stéréotypées, qu'ils ne demandent qu'à reproduire au plus vite. La deuxième catégorie est, généralement, la plus difficile à (ré)éduquer.

Sur ce plan-là aussi, une méthode s'impose : le travail collectif, excluant tout star-system. C'est un moyen sûr pour mettre à niveau les talents si variés au départ.

C'est pourquoi nous consacrons de longs moments à chaque répétition (traditionnellement, elles durent 3 heures/semaine) à des exercices basiques de l'apprentissage de l'acteur, touchant au corps, à la voix, à l'espace, à la concentration/relaxation, bien avant d'"attaquer" la pièce proprement dite. Le travail sur celle-ci se fera alors régulièrement à travers de multiples improvisations en différents groupes présentant leur vision de tels personnages ou de telles scènes. On n'en gardera, en fin de compte, que les propositions les plus solides.

Ce travail collectif ne porte pas que sur le jeu : il implique aussi tout le groupe dans les réflexions portant sur la dramaturgie, la scénographie, le son et l'éclairage, et jusqu'à la mise en scène proprement dite. La mise en forme finale reste bien entendu l'apanage du metteur en scène, chef du projet. (Remarquons ici que nous n'employons pas de metteurs en scène professionnels, mais des membres qui, après avoir joué dans quelques spectacles chez nous, évoquent le désir de s'essayer à leur tour à la mise en scène.)

Cette démarche de mise en commun dirigée et sélective des propositions des participants est évidemment la règle de base surtout pour les spectacles de « création collective » qui s'élaborent, non pas à partir d'une pièce existante, mais plutôt à partir d'un thème ou d'un sujet choisi par le groupe et/ou le chef de projet. C'est un genre de productions auquel il nous arrive de nous livrer ( Quand je serai grand, L'Amour en noir et blanc,...)

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Quand je serai grand

Le travail collectif tel que nous le pratiquons est une méthode assez efficace pour que nos débutants ne le restent pas trop longtemps : sans être une école, le TURLg assure une formation. C'est aussi un moyen éprouvé pour concilier, autant que faire se peut, notre position d'amateur et nos exigences de qualité... "professionnelle".

On nous a souvent dit qu'on reconnaissait un style Turlgien dans nos productions, et nous le croyons volontiers. En ajoutant : « si nous avons en effet notre style, il vient tout droit de notre méthode. »

Mais ceci est une autre histoire.

Robert Germay
Mai 2011

crayongris

Retraité comme chargé de cours de théâtre à l'ULg, Robert A. Germay reste Président du TURLg et Président fondateur de l'AITU (Association Internationale du Théâtre à l'Université) .


 

(Texte publié – en anglais – dans le livre de John Freeman, « Blood, Sweat & Theory », Libri Publishing, Faringdon, 2009, pp.70-76)                                                                                                             

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