Certes, on fait du théâtre à l'université depuis la naissance de celle-ci, mais une comète appelée Théâtre Universitaire a illuminé le ciel du théâtre des années 60. Des troupes de jeunes, en France (Mnouchkine), à l'Est (les STU), aux États-Unis (Living Theatre et autres produits des campus en rébellion), à Erlangen (1e Festival International de Théâtre Universitaire dès 1946 jusqu'en 1968), à Nancy (Jack Lang, 1963), marquant fortement leur territoire dans le paysage théâtral, se revendiquaient du théâtre universitaire... tout en manifestant leur ferme intention de sortir des murs de l'université ! Le beau paradoxe : combien de jeunes compagnies se sont-elles alors professionnalisées ? Cette explosion a marqué à jamais l'esthétique théâtrale de la seconde moitié du 20e siècle, tant du point de vue des producteurs (troupes et même auteurs) que de celui des consommateurs, le public. Le théâtre « off » (alternativ en Allemagne) était né.
Reste aujourd'hui la queue de la comète, et elle est de taille, car le « phénomène » a secoué aussi l'université elle-même, qui s'est mise à donner au théâtre une place nouvelle dans ses cursus. Et la vieille Europe de vouloir rattraper les pays anglo-saxons avec leurs fameux Drama Departments, répandus depuis belle lurette d'Australie au Royaume-Uni, en passant par les « States ».
L'Association Internationale du Théâtre à l'Université (fondée à Liège en 1994 ; AITU : www.aitu-iuta.org) recense trois types de théâtre à l'université :
- le théâtre spontané : des étudiants se groupent pour « faire théâtre » entre eux, souvent naïvement et peu préparés, mais toujours avec cœur ;
- le théâtre encadré, où des professeurs et/ou des professionnels mènent la barque : le niveau d'exigence est souvent plus élevé ;
- le théâtre pré-professionnel, qui prépare à une carrière au théâtre, comme dans tant d'universités anglo-saxonnes.
Dans le premier cas, le public est sensiblement le même depuis la naissance des pratiques théâtrales à l'université. Quand, sous Shakespeare, à Vilnius, Coïmbra ou Paris, des étudiants montaient sur les planches, c'était sans doute devant leurs professeurs et leurs pairs. Un théâtre de lettrés pour des lettrés. Le théâtre universitaire spontané joue, aujourd'hui encore, comme tout théâtre amateur qui se respecte, pour les parents, amis, connaissances et autres sympathisants.
Le théâtre universitaire encadré se retrouve un peu partout en Europe, de l'Espagne à l'Estonie, de la Bulgarie à la France, mais un pays n'est pas l'autre, et la place de la culture est très différente d'une université à l'autre. Sait-on par exemple que nos voisins français ont inscrit dans la loi que la culture est une des trois missions de l'université avec la recherche et l'enseignement. En Belgique, seules sont prises en compte pour la subsidiation les deux dernières. Avec pour conséquence que les campus français offrent, à charge de l'État, une infrastructure quasi professionnelle à leurs théâtres étudiants : de Lille à Bordeaux, de Lyon à Metz. Le corollaire en est une bien plus grande visibilité. Idem pour l'Allemagne, où les activités culturelles étudiantes reçoivent des aides importantes du Fédéral et/ou des Länder. Chez nous, le soutien aux théâtres universitaires relève du seul bon vouloir des autorités académiques ou autres, et la lutte est âpre.
Quant à l'ex-Est, on sait la place que la culture y a toujours tenue, ne fût-ce que comme métalangage contestataire. D'autre part, il n'est pas rare de voir en France ou en Allemagne, des campus de quelque 40.000 étudiants, vivant majoritairement à plus de 500 km de chez eux : de vraies villes, où les habitudes des habitants n'ont rien à voir avec nos universités belges, où la majorité des étudiants passent rarement une semaine loin de la maison, les « Érasmus » mis à part : ceux-ci sont, à Liège, plus nombreux que les autres à venir au théâtre le week-end...
Autre particularité : la structuration même des études à l'université. En quarante ans de théâtre universitaire, j'ai, hélas, pu constater une plus grande scolarisation des études, avec une multiplication de contrôles, tests ou autres examens réguliers qui laissent de moins en moins de place à une organisation personnelle du temps de travail et du temps libre. On sait, en tout état de cause, que le fait théâtral ne concerne qu'un faible pourcentage de la population – variant aussi de pays à pays. La population étudiante ne fait pas exception : pour fuir le stress ambiant, on peut préférer la guindaille, un tournoi de belote ou des heures de trottinette, à l'atmosphère d'une salle de théâtre.