Le TURLg aujourd'hui et demain

Une porte d'entrée...

Lorsque nous avons pour la première fois poussé la grande porte de la « Chimie » et que nous avons découvert les activités théâtrales à l'ULg dans ce qui était alors la salle de répétitions, le Théâtre Universitaire Liégeois avait (déjà ? seulement ?) 40 ans. Nous n'aurions jamais imaginé que nous allions grandir avec lui pendant trois décennies. Il est symbolique de remarquer que cette grande porte est toujours là ! Toujours la même, ni la couleur ni la serrure n'ont  changé ! Tout autour d'elle a été réaménagé, tout autour d'elle a évolué mais elle, elle est toujours là, identique, un peu comme l'emblème de la permanence de nos activités alors que le monde changeait tout autour.

Nous avons en effet vécu, depuis le début des années 80 jusqu'à aujourd'hui – c'est-à-dire pendant toute l'ère Germay  –, l'évolution exponentielle des activités de notre théâtre : le TLG et le TULg, puis un moment  les Théâtres Universitaires Liégeois – au pluriel – ou le « TULg/TLG united », puis le TURLg depuis une dizaine d'années ! Nous avons vécu comme partie prenante tous les moments marquants de l'histoire du TURLg de cette période : l'accession à la Présidence de Robert Germay ; l'extension de la Chimie à notre salle du Quai Roosevelt qui, pour nous, et sans nostalgie aucune, reste « la Chimie » ; la professionnalisation progressive de l'équipe administrative et technique ; l'augmentation des aides financières et subsides ;  la création des ateliers pour petits et grands et  l'évolution de celui destiné aux étudiants en Arts et Sciences de la Communication ;   la multiplication des productions et la liberté laissée aux Turlgiens plus aguerris de s'essayer à la mise en scène ; l'extension de notre réseau international par  l'accroissement de nos tournées et de nos participations à des festivals de TU ; le premier RITU en 1983 et ses éditions successives toujours plus étoffées avec dans la foulée, la tenue chez nous du  grand Congrès mondial  et fondateur de l'AITU en 1994...

Nous nous sommes personnellement impliqués, sans autre calcul que le plaisir qu'ils procuraient, dans tous ces  mouvements autour de l'axe Germay. Nous n'y étions nullement simples témoins ou simples spectateurs – on n'est jamais simple spectateur au TURLg ! – nous y avons tour à tour rempli nos rôles d'acteur,  pour commencer et comme il se doit,  puis de metteur en scène, d'objecteur de conscience, d'administrateur, de comptable, d'animateur d'atelier, de bénévoles aux RITUs ou au Congrès Mondial... aux côtés de beaucoup d'autres, car le TURLg ne serait pas ce qu'il est sans la participation active de tous ses membres ! Nous avons connu et construit la maison de l'intérieur au côté de son architecte. C'est dire que nous pouvons aujourd'hui en (re)dessiner les contours.

L'architecture du TURLg : « un tout qui ne se confond pas avec la somme de ses parties »

L'ossature du TURLg d'aujourd'hui n'est peut être pas toujours facile à déceler clairement quand on la regarde de l'extérieur... trop rapidement. Elle semble ne pas être d'équerre, les  lignes apparaissent fuyantes, divergentes, contradictoires... et pourtant. Il suffit d'y entrer comme nous l'avons fait et de pousser la porte.

Tout s'est construit finalement autour de ce qui est resté immuable : ce qui se passe dans la salle de répétitions, pendant le travail lent et patient – aujourd'hui il nous faut souvent deux saisons et encore ! – de nos productions. La méthode y est éminemment collective,  le projet se monte autour d'une personne qui prend un peu plus de responsabilités que les autres mais qui sait pertinemment qu'elle n'aboutira pas seule. Chez nous, le chef de projet – nous ne disons pas metteur en scène –, tel un autre architecte, n'est pas un maître qui vient dispenser, plein de certitudes,  une parole d'évangile, un dogme, une vérité théâtrale. C'est plus un guide qui conduit les participants à apprendre à se poser les (bonnes) questions et qui leur propose des outils pour qu'ils trouvent  eux-mêmes leurs réponses (au pluriel) scéniques, poétiques. C'est le chemin à parcourir, c'est le processus de création théâtrale et toutes ses étapes qui comptent  – « les chemins se font en marchant » dit le poète. Cela déroute parfois  les nouveaux arrivants qui préféreraient qu'on leur dise précisément ce qu'ils doivent faire sur le plateau et qui désirent aboutir vite à un résultat qui les rassure. Mais cela enthousiasme aussi ceux qui, arrivés avec l'envie de trouver "autre chose", découvrent justement une méthode différente.

Outre cette constante dans la méthode de travail, nous observons aussi une autre tradition : notre théâtre est ouvert. Toute personne qui désire pousser notre porte,  le peut. Nous ne travaillons jamais sur casting, nous n'exigeons ni pré-requis ni carte d'étudiant, il n'y a pas de limites d'âge ; nous travaillons avec ceux qui ont envie de participer avec nous à tel ou tel projet, c'est simple. Nous travaillons avec des gens  qui deviennent amateurs du TURLg. Nos  portes sont et restent grandes ouvertes. Cela provoque parfois des courants d'air, certains s'y enrhument puis quittent la maison mais au moins, il n'y a aucune exclusion, aucun ostracisme, aucun repli identitaire quel qu'il soit. À une époque où, partout, l'obsession sécuritaire reconstruit les frontières, nous voulons faire tomber les barrières. Les bons et les mauvais acteurs (mais qu'est-ce que cela veut dire ?) ont leur place chez nous.  Ce qui compte, c'est que nous offrions à tout un chacun la possibilité de venir poigner dans la matière théâtrale. Car « pour connaître l'acteur et donc le théâtre, il n'est rien de tel que de ‘faire' l'acteur », affirmait déjà Richard Monod en 19851. Apprendre le théâtre par le théâtre.

Si la méthode est constante, nos groupes, qui se constituent au gré des projets, sont aussi les plus divers. Ils produisent chacun des résultats différents mais toujours à leur mesure. De là – partie émergée de notre iceberg –, les propositions scéniques les plus variées, que nous présentons au public avec plus ou moins de bonheur. Mais le regard que nous demandons au spectateur est un regard qui va bien au-delà de ce qui apparaît au premier abord. Nous demandons au spectateur de faire aussi partie du processus...

Cette diversité de nos projets aux aspects de désordre, nous l'assumons totalement.  Et nous l'assumons d'autant mieux que c'est une diversité que nous rencontrons dans le monde des théâtres universitaires : ce monde est lui aussi façonné de choses si différentes, de conditions de production si disproportionnées,  d'approches si diverses, pour ne pas dire divergentes, de l'art théâtral ! Le TURLg, comme un microcosme, est bien à l'image du monde des TU.

Le TURLg : « un tout qui ne se confond pas avec la somme des parties ».


 

1 MONOD, Richard : « Faire jouer les non-acteurs », in Théâtre universitaires et Institutions, Actes du Colloque de Reims, 26 et 27 janvier 1985. Caen, Fédération Nationale du Théâtre Universitaire - Reims, Antigone, Théâtre Universitaire de Reims, 1985, p. 74. Cette citation ouvrait la communication d'Alain Chevalier : « Apprendre, c'est faire et vice-versa. La pratique théâtrale en amateur à l'université, une école du spectateur » in La médiation théâtrale. Actes du 5ème Congrès international de Sociologie du théâtre organisé à Mons (Belgique), mars 1997, s.l., Lansman Editeur, 1998, pp. 30-34. Le lecteur trouvera dans cette communication le développement de certains points abordés ici.     

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