Le Théâtre à l'Université : « Un Théâtre Spécifique »

Il n'y a pas lieu ici de (re)dire en détail toutes les réflexions menées sur la définition, le positionnement, la valeur et les enjeux d'un théâtre universitaire comme le nôtre et sur toutes les questions qu'il soulève. Ces points sont pleinement et longuement débattus par les responsables des activités théâtrales universitaires qu'ils soient directeurs, professeurs, chercheurs, praticiens... qui se réunissent régulièrement au sein de l'AITU. Nous pouvons reprendre ce qu'ils en disaient déjà en 1994 lors du Congrès de Liège² :

• le théâtre en université est un outil éducatif au sens large [...]. Le théâtre est éducatif au niveau personnel et académique (au sens anglais de « academic ») ; le théâtre en université est un outil de pédagogie et de citoyenneté, un outil de développement culturel, [...] un outil de développement personnel au sein d'une communauté où on suit des études universitaires ;
• le théâtre en université est un instrument à la fois social et artistique propre à développer des relations communautaires et ludiques ;
• le théâtre universitaire s'affiche donc comme un moyen d'éducation populaire, ouvert à tous, que ce soit au niveau du public ou au niveau de ses acteurs directs ;
• le théâtre universitaire est un lieu d'expérimentation (d'avant-garde ?) et d'expérience de la liberté créatrice qui n'est pas seulement esthétique mais aussi sociale et politique ; le théâtre universitaire est à côté, contre, en marge. Il se démarque du théâtre en général ;
• c'est l'exercice de la théorie et/ou de la pratique théâtrale à l'intérieur d'une institution vouée à la recherche. Il s'agit là en fait de focaliser la définition sur le fait que le théâtre à l'université établit des ponts entre recherche, théorie et pratique, ce que peu d'institutions peuvent faire en même temps ;
• le théâtre universitaire est à la croisée des chemins ; il est la caisse de résonance de tous les problèmes socio-culturels qui traversent le milieu étudiant et la société en général ;
• la chance du théâtre universitaire dans ses relations avec le théâtre en général (et vice-versa) est de pouvoir proposer des pistes de renouvellement, de formuler des propositions neuves...

Ces réflexions, nous les faisons nôtres ou ce sont les nôtres : c'est que, entre l'AITU et nous, c'est un peu comme entre l'œuf et la poule et... vice versa.

Nos perspectives : une tradition qui bouge

Alain Chevalier, Dominique Donnay et un comédien du Togo lors de RITU 27

Comme toutes les activités artistiques, celles que le TURLg propose et continuera à proposer à l'avenir, offrent à tout un chacun l'occasion de se confronter à ses propres capacités, intellectuelles et poétiques, et à ses propres limites, individuelles ou collectives.  Il offre à chacun l'occasion de s'investir dans une activité de développement, qu'il soit culturel ou  personnel, qu'il évaluera pour lui même. Chacun a sa place chez nous et nous laissons la place à chacun. Une liberté qui ne va pas sans sa contrepartie : elle aiguise le sens des responsabilités. Bref, une formation à la fois autonome et collective,  pour apprendre à devenir ce que nous aimons appeler un « spect-acteur ». Comme nous le disons souvent : on arrive au TURLg pour une série de raisons (se faire des amis, vaincre sa timidité, échapper à une routine trop banale...) mais on n'y reste que pour une seule : faire du théâtre.

Nous définissons aussi notre position de théâtre universitaire comme un carrefour au croisement de tout ce qui se fait en matière théâtrale et universitaire. Le théâtre universitaire est un creuset où peuvent au mieux se fondre, au pire s'estomper, les clivages qui séparent de manière stérile : théâtre amateur versus théâtre professionnel, recherche et formation versus production; théorie versus pratique... La position médiane qu'occupe assurément le TURLg entre ces pôles lui permet de développer, avec les autres institutions du domaine (théâtres amateurs, écoles de théâtre, universités), des liens productifs.

Il nous faut aussi continuer à rester ce lieu universitaire public, ouvert à tous, que nous sommes devenus, que ce soit sur le plan de nos productions et de leur public ou sur celui de nos ateliers enfants, adolescents et adultes.  Il nous plait de penser que grâce à nous, beaucoup, et notamment des enfants dès l'âge de 6 ans,  ont l'occasion de connaître les lieux de notre Alma Mater et de s'y familiariser déjà... pour plus tard, qui sait ?...Bien loin de l'image, certes surannée aujourd'hui, des universitaires dans leur « Tour d'ivoire »,

Enfin, si notre ancrage local à l'ULg et à Liège s'est intensifié de plus en plus ces dernières années  – nos  salles permanentes au centre-ville et au Sart Tilman, l'organisation de nos ateliers ainsi que le développement des politiques culturelles de la Ville et de la Province y sont pour beaucoup –, nous devons continuer à maintenir, à son niveau actuel, notre rayonnement international qui s'est affirmé  ces trente dernières années. Avec celui-ci, qui  se traduit par nos innombrables échanges,  représentations en tournée et RITU, la vision que nous portons sur nous-mêmes prend de la hauteur : dès que l'on se donne la peine de voir le TU, tout comme le théâtre tout court, à l'échelle mondiale pour ne pas dire universelle, les querelles de clochers et les étroitesses d'esprit perdent de facto leur brillance. L'international nourrit le local et vice-versa (encore une fois !). Notre TURLg occupe sur ce point, une sorte de loge royale : tenons-là en état ! 

Plus avant, nous pourrions aussi contribuer à notre manière à tout le mouvement d'harmonisation et de fusion des institutions d'enseignement universitaire – Région, Grande Région³ et autre Europe –, en y apportant notre déjà longue expérience internationale. Celle-ci  nous a appris, en rencontrant nos pairs de par le monde,  à travailler en commun tout en veillant aux particularités ou singularités (un concept fort dans le domaine de l'art qui ne peut aujourd'hui s'en passer !) de chacun. Pour une harmonisation respectueuse de la diversité et... si on nous y invite.

70 ans : un long cheminement pour notre TURLg qui s'est construit lentement, patiemment, solidement sans jamais se figer, toujours en phase avec son temps.  C'est bien dans cette tradition que nous nous inscrivons.

Rien n'est jamais acquis...

Alain Chevalier et Dominique Donnay
Mai 2011

Alain Chevalier est Directeur du TURLg et Maître de conférence au Département des Arts et Sciences de la Communication. Il prépare également une thèse de doctorat sur l'histoire des instituts supérieurs de formation de l'acteur en Belgique francophone.  

Dominique Donnay est Directrice du TURLg et Maître de conférence. En collaboration avec Alain Chevalier, elle chargée du cours pratique d'atelier de théâtre au Département d'Arts et Sciences de la Communication.