1941-2011 : 70 ans de Théâtre Universitaire à Liège

L'ère François DUYSINX, 1963-1982

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Le Dyscolos avec François Duysinx

Comme pour bien signifier la transition, la mise en scène du spectacle de 1963 fut confiée au même Jean Daulnoye, mais il s'agissait cette fois d'une adaptation par François Duysinx du Dyscolos ou Père Grognon de Ménandre, avec des interventions musicales originales de l'adaptateur et des chorégraphies de Fanny Thibout. Avec cette comédie d'un auteur du 4e siècle avant Jules César, on ne peut nier que le classique effectuait sa rentrée en fanfare. Le Moyen Âge n'allait pas tarder non plus à rentrer en lice avec une adaptation par Jeanne Wathelet-Willems de La Condamnation de Banquet de Nicolas de la Chesnaye. Ainsi se reconstituait, en force, une solide équipe de base qui renouait avec la tradition tulgienne des origines. Ce noyau, Duysinx le renforca aussi de sa propre famille avec, à la confection - très soigneuse - des costumes, son épouse, Dame « Gudule », et, à la composition musicale, aux instruments, voire à la mise en scène, l'un ou l'autre de ses fils, Robert et Marc.

Nous ne détaillerons pas ici le répertoire de la quarantaine de pièces - souvent des créations mondiales, toujours des pièces rares - créées sous la présidence Duysinx.2 Notons seulement que le classique (Médée, Prométhée enchaîné...) ou le médiéval (La Farce de Maître Mimin, Le Monde et Abus, Le Lazare, L'Empereur et la fille violée, La Farce du meunier, Vices-Vertus...) n'en furent jamais absents. Toutefois, le théâtre contemporain allait prendre le dessus, d'une part, et d'autre part, ces années allaient voir une belle diversification de genres et de styles.

Par exemple, on expérimente un concept de spectacles courts, montés en parallèle avec une œuvre plus importante, et destinés à répondre à des demandes d'animations particulières. Citons, en 1964-65, L'Intruse de Maeterlinck (mise en scène de François Duysinx), Les Fourberies de Nérine de Théodore de Banville (mise en scène de Robert Duysinx) et Les Solliciteurs de Mathieu Falla (mise en scène de l'auteur)... 

Ces courtes pièces à la distribution réduite et au décor minimaliste facilitaient les déplacements, ce qui permit à ces équipes « légères » d'écumer plus d'une quarantaine de localités différentes en Belgique, de La Panne à Wegnez, de Welkenraedt à Mont-sur-Marchienne en passant par Pepinster, Brustem, La Reid, etc., le plus souvent dans des salles ou des lieux improbables, voire en plein air... Aujourd'hui, c'est près d'une centaine de communes belges qui ont, un jour au moins, reçu la visite du TU(R)Lg.

Des spectacles de marionnettes (L'Intruse en 1964 , Prométhée enchaîné en 1966) furent aussi réalisés avec la collaboration de Claude Vandeloise, étudiant en maths à l'ULg, fondateur de la compagnie Bergamasque (à l'ex- « Lion s'envoile » en Roture), où on retrouve aussi les noms d'autres tulgiens comme Christian Crahay ou Alain-Guy Jacob.

Le wallon ne fut pas non plus oublié. En hommage à son père Joseph Duysenx, auteur dialectal bien connu des Liégeois pour ses opérettes, ses opéras bouffe ou ses cabarets, François Duysinx mit en scène Vîx sot et Amoûrs di Prince et un cabaret, qui tourneront, de 1972 à 1979, une trentaine de fois dans toute la Wallonie, de Trois-Pont à Retinne, de Gouvy à Winanplanche, Plainevaux ou Chevron. Ça bougeait chez les Duysinx !

Ce grand dynamisme ne pouvait que stimuler des plus jeunes à s'impliquer de plus en plus dans le processus de création. Certains s'exprimèrent dans l'écriture d'œuvres dramatiques confiées au TULg, par exemple Mathieu Falla (Les Solliciteurs en 1964, L'Intrus en 1966, Médée en 1966, La Rose et le chardon en 1979), Louis-Alexis Dubois (Un Chagrin d'amour, L'Otage), Jacques van de Weerdt (L'Usine bleue est fermée), Yvette Lecomte (Il était une fois des enfants placés, casés, cassés en 1977), Jean-Claude Bologne (adaptation de Vices-Vertus en 1980)...

D'autres se lancent dans la mise en scène, comme Michel Demblon, Vivienne Martin, Albert Dardenne, Christian et Simone Capelle, Georges Koussantas, Marcos Portnoy (réfugié du Chili de Pinochet), Max Parfondry et Alain-Guy Jacob. Ces deux derniers, après leur passage au TULg, ont fait une brillante carrière de pédagogues au Conservatoire de Liège, comme Chargés de cours de René Hainaux, un autre grand ancien du Théâtre Universitaire Liégeois.

Ce foisonnement d'activités  demandait évidemment de plus en plus de moyens. En dépit du bon soutien que prodiguait l'Alma Mater sur le plan moral, son aide financière restait un peu maigre eu égard au développement du TULg : il fallait trouver d'autres sources de financement, notamment du côté de l'État. C'est ainsi que le TULg, alors Association de fait, se constitua en Association sans but lucratif (asbl) dont les statuts parurent au Moniteur belge le 6 mai 1971. Le premier Conseil d'administration se composait de François Duysinx, Jeanne Wathelet-Willems, Max Parfondry, Alain-Guy Jacob (un bel équilibre entre l'ancien et le nouveau), mais aussi de Marcelle Régibeau, épouse Hentjens, secrétaire générale du Service des étudiants, ce qui montrait bien l'intérêt que portait l'Université au fonctionnement de son Théâtre (aujourd'hui, c'est le Doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres qui siège au Conseil d'administration). Le siège de l'asbl était alors fixé à... Stavelot.

Ce nouveau statut permit d'obtenir de nouveaux subsides récurrents qui aidèrent notamment à acquérir du matériel technique (son, lumière, pendrillons...) devenu indispensable pour assurer une bonne qualité aux représentations de plus en plus itinérantes.

Les deux décennies de cette « époque Duysinx » furent aussi marquées par un événement lié à la vie même de l'Université : le déménagement au Sart Tilman, et l'installation sur le domaine universitaire, au bâtiment B8, du Foyer culturel du Sart Tilman au début des années 70. Créé pour dynamiser le campus et offrir un espace culturel aux communes avoisinantes (Angleur, Tilff, Ougrée), doté d'une remarquable salle de théâtre (dont les plans scénographiques sont de Jacques Deck), cet outil allait se révéler bien utile au TULg aussi. La salle n'était même pas encore terminée, sans scène ni sièges, que Michel Demblon, issu de l'IAD et premier gestionnaire du lieu, y mettait en scène La Nuit des visiteurs de Peter Weiss, en 1971, suivi de La Famille Tot d'Istvan Orkeni, mis en scène par Max Parfondry, et, dans la foulée, Wie dem Herrn Mockinpott das Leiden ausgetrieben wird de Peter Weiss, mis en scène par Robert Germay, y fut aussi présenté par le Théâtre des Germanistes Liégeois en 1973. La gestion du Foyer culturel fut bientôt reprise par Yvette Lecomte - une autre tulgienne -, et le « Foyer Cul » accueillit ainsi encore bien des représentations du TULg (et du TLG des Germanistes) jusqu'à la fin des années 80, où la faillite de Canal Emploi, la télé locale de l'époque qui y était associée, causa sa disparition. La salle, gérée alors par le TULg lui-même, continua pourtant de bien servir les troupes universitaires jusqu'à aujourd'hui. Rajeunie en 2010, elle porte désormais le nom d' « Exèdre Dick Annegarn », régie par la Faculté des Sciences.

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Autre effet du déménagement dans les bois du Sart Tilman, l'Institut Walthère Spring du quai Roosevelt, en plein centre ville donc, était déserté par les chimistes, libérant ainsi des locaux délabrés, certes, mais aussi vastes et donc propices à des répétitions du théâtre. Dès 1980, sous l'impulsion de Robert Germay et du Théâtre des Germanistes, le TULg s'installait donc avec armes et bagages à « la Chimie ». Il n'est pas interdit de penser que ce « squattage » des lieux a aidé à leur préservation jusqu'à la rénovation du A4 en 1997, où le théâtre pouvait - enfin - non seulement y exploiter une belle nouvelle salle, mais aussi y installer ses bureaux et son administration.

C'est précisément en 1980 que des étudiants, peu attirés par le spectacle médiéval Vices-Vertus (Jean-Claude Bologne) mis en chantier cette année-là à l'occasion du Millénaire de la Principauté de Liège, et désireux de travailler plutôt sur une pièce contemporaine, s'adressèrent à Robert Germay pour monter ensemble une pièce. Avec l'accord de Duysinx, Germay accepta et créa aux Chiroux Berthe de Michel Tremblay et Le Bouc de Rainer Werner Fassbinder, avec une quinzaine d'étudiants. L'année suivante, en 1981, il allait assurer la mise en scène d'Indians d'Arthur Kopitt (avec un François Duysinx en Buffalo Bill plus vrai que nature). En 1983, à la demande conjointe du Recteur E.-H. Betz et de François Duysinx lui-même, Robert Germay devenait le 4e Président du Théâtre universitaire.

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La retraite officielle de Duysinx ne signifiait pas, loin de là, sa retraite théâtrale, puisqu'il continuera à jouer régulièrement au TULg jusqu'à et y compris l'année de sa mort, en 2003, un mois avant son 90e anniversaire. On n'oubliera pas les rôles remarquables qu'il presta dans Le Gardien de Harold Pinter (1984) ou Sadi Hozètes d'Albert Maquet en wallon (1993), sans oublier Velleÿtar de Witkiewicz (1983), Fiesta chez Abdellah du  Grips Theater (1998) ou Adormir et Gazoline, un de ses propres opus (2001)...

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Adormir et Gazoline avec François Duysinx

 
 
2 Voir la liste des pièces en annexe

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