Surréalisme au cinéma : le sexe, la punition et la mort

Deux films essentiels, L'Imitation du cinéma et Un chien andalou. Trois artistes incontournables : Marcel Mariën, Luis Buñuel et Salvador Dali. Et quatre repères pour aborder le surréalisme porté à l'écran : la sexualité, la punition, la mort, et l'objet fétiche qui fait le lien dans le scénario. 

N'importe quel cinéphile a essayé, au moins une fois dans sa vie, d'interpréter l'une de ces  œuvres et de décrypter la signification profonde de leurs images subversives. Mais après avoir tenté de déchiffrer l'indéchiffrable, tous sont sans doute tombés sur ces paroles de génie qui invitaient le spectateur à fuir la raison, et à laisser place au surréalisme de l'image associée : « Dali et moi choisissions les gags, les objets qui nous venaient à l'esprit et nous rejetions impitoyablement tout ce qui pouvait signifier quelque chose », disait en raillant Luis Buñuel.  Malgré l'absence volontaire de signification unique et absolue dans ces deux films, on peut évidemment relever l'utilisation de sujets controversés, également présents dans d'autres oeuvres surréalistes : la sexualité exacerbée, la punition et la mort. Ce « trio infernal » fait sans doute aucun référence à la religion et aux contraintes qui sont imposées à la société de l'époque. Dans la conception religieuse catholique, la sexualité est sévèrement contrôlée, voire réprimée, et la punition capitale viendra ultérieurement, avec la mort. La boucle est bouclée.  

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Le jeune homme (Tom Gutt) lisant « L'Imitation de Jésus-Christ »
dans « L'Imitation du cinéma ». Collection Province de Hainaut

Des similitudes se dégagent ainsi entre Un chien andalou et L'Imitation du cinéma. L'évocation de la sexualité, dans ces deux diamants cinématographiques, se présente de manière abrupte et très évidente. Les images de poitrines et de fesses sont largement exploitées par les surréalistes, ce qui ne manque pas de scandaliser le public et de le confronter aux interdits religieux encore très présents dans la société de la première moitie du 20e siècle. L'apparition de la sexualité dans les films de Buñuel et Mariën est annonciatrice de la punition qui suivra ces « actes impudiques » stigmatisés par la religion. Dans L'Imitation du cinéma, l'expiation apparaît clairement avec la crucifixion du jeune homme, qui doit obtenir le pardon pour le péché commis, tel que l'a fait Jésus-Christ. Dans le cas d'Un chien andalou, la pénitence est représentée d'une manière plus subtile, mais pas moins évidente. Par exemple, un homme se tient face au mur avec ses bras en forme de croix : un rappel de la punition courante pour les enfants, dans les écoles religieuses espagnoles. Autre image, celle de l'homme qui pousse les deux pianos à queue, avec les deux frères maristes qui invoquent la religion.   

La mort comme libération

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Scène de tournage de « L'Imitation du cinéma ». Collection Province de Hainaut

Mariën et Buñuel intègrent la mort à leur récit, de façon tout à fait différente, mais ils se rejoignent au moins sur l'idée de la mort comme symbole de libération. En ce qui concerne le personnage du film Un chien andalou, la mort le libère de son autre « soi-même ». Selon les mots de Buñuel, son film va plus loin encore, il constitue une apologie de l'acte de tuer : « La foule imbécile a trouvé beau ou poétique ce qui, au fond, n'est qu'un désespéré, un passionné appel au meurtre ». Pour Mariën, le suicide du jeune homme dégage celui-ci de tout sentiment de culpabilité. Autre point commun entre ces deux créations cinématographiques, les objets « fétiches » qui les envahissent. Le livre L'Imitation de Jésus-Christ  ponctue comme un leitmotiv tout le court-métrage de Mariën et sert de fil conducteur en reliant chaque événement à celui qui le précède ou le suit. Dans Un chien andalou, une boîte mystérieuse se manifeste régulièrement comme point d'appui au scénario. D'autres objets du quotidien sont ainsi réinventés  pour donner du sens au « non-sens » surréaliste du film. Au fond, dans la manière dont ces auteurs envisagent le cinéma, se dessinent des expériences divergentes. Au point de vue onirique adopté par Buñuel et Dali correspond une création cinématographique déstructurée, tandis que chez Mariën, au contraire, le scénario est en synchronie avec une construction narrative plus classique, plus linéaire, telle qu'on l'utilise fréquemment au cinéma.

Marta Luceño Moreno
Mai 2011

crayongris


Marta Luceno Moreno est étudiante de 2e Master en Information et Communication, orientation journalisme.