Le tollé de L'Imitation du cinéma

L'Imitation du cinéma, de Marcel Mariën, sort de l'oubli et retrouve, grâce au DVD, un nouveau public. Comment le film fut-il accueilli à sa sortie ? Un aperçu des réactions et de la presse de l'époque.

Cinquante ans après le scandale de sa diffusion, le public belge se voit à nouveau confronté à ce que la critique a qualifié de seul film surréaliste, après L'Âge d'or et  Un chien andalou, de Luis Bunuel et Salvador Dali. L'histoire, qui nous semblera aujourd'hui simplement burlesque, provoqua à l'époque une vague de réactions en chaîne dans le chef de la presse, des intellectuels et des milieux catholiques. Un prêtre, se sentant porté par son devoir moral, remet dans le droit chemin un jeune homme qui se divertit de lectures galantes. Pour le guider dans sa repentance, il lui remet L'Imitation de Jésus-Christ. Par un zèle inexpliqué, le garçon décide d'appliquer à la lettre sa nouvelle religion et se prépare à sa propre crucifixion. Par l'utilisation cinématographique de la sainte croix, mise à toutes les sauces –  et c'est dire, même sous forme de frite –, par la présence d'une scène de sexe avec une prostituée, sans oublier le caractère cupide du prêtre qui monnaye son aide dans l'affaire, le scénario fit hurler le « Centre catholique d'action cinématographique ». Il jugea le film « ignoble et infâme » et qualifia son auteur de « psychopathe ». Il en référa même au Parquet, réclamant la mise « hors-circulation de cette pellicule indigne d'un pays civilisé ».

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Scène de tournage de « L'Imitation du cinéma ». Collection Province de Hainaut

La presse d'alors n'a pas manqué de saisir la balle au bond, se partageant entre indignation chrétienne, louange et méprise intellectuelle. La Gazet van Antwerpen, journal plutôt conservateur, relate notamment le refus d'un cinéma anversois de diffuser le film. Les spectateurs et le projectionniste s'en remirent alors au dancing du coin. Le quotidien anversois ne manque pas non plus d'incriminer le procureur du roi de Liège, qui, ayant été convié à assister à la première du film dans la Cité ardente, sur l'ordre du Parquet de Bruxelles, déclara avoir passé une excellente soirée. « Il nous est difficile, écrit la Gazet, d'avoir une haute opinion des règles morales de ce procureur et nous nous demandons ce qu'attendent les autorités pour lui laver la tête. » Le Peuple, quotidien d'opinion socialiste, appelle quant à lui à la tolérance des catholiques : « Il est évident que pour le non-croyant, la croix n'a aucune signification spirituelle, sinon... il serait croyant ! Les athées et les agnostiques se désintéressent totalement des films consacrés à la foi de Bernadette Soubirous ou de toute autre croyance. Ils demandent, en retour, qu'on en fasse autant à l'égard des œuvres qui ne se revendiquent pas de la religion. »

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Une satire des idées reçues

La critique cinématographique professionnelle est généralement sceptique. « Le pamphlet aussi est un art, du moment qu'il fasse preuve d'imagination, d'humour et de poésie, c'est-à-dire ce qui vous manque le plus, mon pauvre Mariën (...) Faire le chien qui lève la patte, c'est à la portée de tout le monde », écrit Paul Davay, professeur à l'ULB et critique averti du cinéma belge. Cependant, on reconnaît à Mariën une certaine audace, qui doit être prise en compte dans l'ambiance apathique du cinéma de l'époque. « Le fait est trop rare pour qu'on ne soit pas ravi de cette satire des « idées reçues », commente un autre critique de l'époque, Louis Ferrand. Si un film est jugé méchant, agressif, scandaleux, il faut bien croire qu'il est valable. »

Ce qui est certain, c'est que Marcel Mariën, se réjouissait de chaque coup pris par tête d'article. « Malheur à celui par qui le scandale arrive », avait-il déclaré avant une projection. Il parlait bien sûr de ses détracteurs qui, par leur bruyante indignation, n'ont fait qu'appâter le chaland ! Et qui plus est, ont reporté la critique ailleurs que sur le point qui lui, l'inquiétait le plus. « Car il est un autre scandale à propos de ce film (...), explique son réalisateur, (il) se situe sur le plan esthétique du cinéma ; il tient principalement à l'exceptionnelle pauvreté de la réalisation ». Ce film de 40 minutes, n'était pour lui que l'ébauche d'un chef d'œuvre irréalisable, auquel la critique n'aurait jamais accès.

Affiche pour la première à Liège de « L'Imitation du cinéma », le 17 mars 1960. Collection Province de Hainaut 

 

Valentine Defraigne
Mai 2011

crayongris


Valentine Defraigne est étudiante de 2e Master  en Information et Communication, orientation journalisme.