Marcel Mariën, un scandale éternel

L'Imitation du cinéma, seul film du surréaliste belge Marcel Mariën, fut, au début des années 60, à l'origine d'un scandale retentissant. Les éditions La maison d'à côté en proposent pour la première fois une version DVD, augmentée d'un entretien avec le réalisateur, au soir de sa vie.

Le « Centre catholique d'action cinématographique » titrait : « Un film ignoble et infâme vient d'être présenté au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles [...] On espère que le Parquet prendra les mesures nécessaires pour mettre hors de circulation cette pellicule indigne d'un pays civilisé ». Un jugement très acerbe pour le film de Marcel Mariën qui, aujourd'hui, demeure malgré tout assez anecdotique tant les parodies sont devenues monnaie courante dans notre paysage cinématographique. Parsemé d'impertinences à l'égard des ecclésiastiques et de farces métaphoriques, ce film raconte l'histoire d'un jeune homme qui, pour avoir trop lu L'Imitation de Jésus-Christ, choisit de se faire crucifier, par imitation. Aux antipodes des œuvres de l'époque, L'Imitation du cinéma s'affiche comme une caricature décomplexée dont l'humour va très – trop ? –  loin pour l'époque. Tellement loin, que le film fut censuré pendant de  longues années tant en Belgique qu'en France. Ainsi, ce film reste l'un des plus beaux éclats que le surréalisme belge ait connu dans l'après-guerre. Bien que tardif – la période phare du surréalisme au cinéma se situant dans les années 30 –, L'Imitation du cinéma réussira malgré tout à redonner le parfum des grands scandales surréalistes d'antan.

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Photogramme extrait de « L'Imitation du cinéma ». Collection Province de Hainaut

Proche de René Magritte, son réalisateur, Marcel Mariën, né à Anvers en 1920, mort à Bruxelles en 1993, était un surréaliste accompli. Outre sa brève carrière de cinéaste, il est également connu pour ses talents de poète et d'écrivain. Photographe à ses heures, essayiste, historien et éditeur, Mariën demeure une valeur sûre du surréalisme belge. Cette passion pour ce mouvement, il l'acquiert très jeune. C'est en effet à l'âge de 15 ans qu'il découvre pour la première fois un tableau de René Magritte. Cette découverte va être l'élément déclencheur de l'intérêt qu'il porte au surréalisme et coïncide avec le début de son parcours au sein du mouvement. Très vite, il va se lancer dans l'écriture de poèmes. Il s'en suit une très longue collaboration avec René Magritte, sorte de mentor pour Mariën, qui teintera solidement son œuvre, l'association des deux hommes demeurant assez régulière. Cependant, de nombreuses divergences apparaitront entre eux lorsque Marcel Mariën lancera en 1954 sa revue Les Lèvres nues. Cet événement marquera le début de la fin, tant dans leur amitié que dans leur collaboration.

Un classique du cinéma surréaliste

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Si L'Imitation du cinéma est un des rares films belges à pouvoir se targuer de faire partie de l'histoire du surréalisme, il n'en demeure pas moins unique en son genre, les tentatives de longs-métrages dans ce domaine restant anecdotiques dans notre pays. Ce film rejoint ainsi des classiques du cinéma surréaliste tel que Un chien andalou ou L'Âge d'or de Bunuel et Dali. Bien que l'interdiction qui le frappa lui confère un aspect mythique, L'Imitation du cinéma était avant tout pour Mariën, l'expression du surréalisme au travers d'un nouvel outil. En plus d'être un artiste jouant sur plusieurs tableaux – tel un acteur qui, aujourd'hui, chanterait, réaliserait, scénariserait ou encore produirait –, il était en effet un créateur d'objets et de collages insolites. Mariën ambitionnait ainsi de renouveler sans cesse sa vision du monde par divers modes d'expression, à la recherche de formes inédites qui parfois suscitèrent polémiques et scandales.

La méconnaissance de l'œuvre de Mariën étant à la hauteur du scandale que son film avait produit dans les sixties, l'éditeur du DVD a donc prévu le coup et mis les petits plats dans les grands, pour nous faire redécouvrir cet artiste aux mille et une facettes. Ainsi, outre le film dans sa version intégrale et non censurée, une série de bonus nous sont offerts, dont un entretien largement inédit avec le réalisateur, mené par le journaliste Dominique Rabourdin quelques semaines avant la mort de Mariën, en 1993. Cette première édition en DVD est agrémentée d'un livret contenant une analyse du film ainsi qu'une poignée de textes, documents et archives. Si Marcel Mariën n'est plus, son génie et son insolence ne sont pas prêts de s'éteindre....

Marcel Mariën et Ulysse Pétiau (le prêtre), scène de tournage. Collection Province de Hainaut 

Raphael Pèrez
Mai 2011

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Raphael Pèrez est étudiant en 2e Master en Information et Communication, orientation journalisme.


 

Marcel Mariën, L'Imitation du cinéma. Histoire d'un film ignoble. Un coffret DVD avec le film de Marcel Mariën et un livret contenant des textes de P. Dupont, X. Canonne, N. Casielles, P.-O. Rollin, M. Mariën, D. Rabourdin. Ed. La Maison d'à côté.
Fiche technique de L'Imitation du cinéma :
Film N&B, 40 minutes, 1959. Avec Tom Gutt, Ulysse Pétiau, Suzanne Bourgoignie, Wout Hoeboer, Josette Brunet... Scénario et réalisation : Marcel Mariën. Assistants : Jane Graverol, Léo Dohmen et Gilbert Senecaut. Musique : André Souris. Production : Les Lèvres nues.
Le film et ses archives sont conservés au Fonds Mariën de la Province de Hainaut. Infos : http://bps22.hainaut.be