Le véritable visage de Toutankhamon

En ce qui concerne Toutankhamon, la confrontation de la momie de l'enfant-roi à ses effigies artistiques – statues, masque, cercueils... – révèle sans le moindre doute possible que celles-ci ne reproduisent pas exactement la physionomie véritable de leur modèle mais offrent plutôt une image compatible avec ce dernier, et avec son jeune âge. En effet, les proportions du visage et de la bouche de Toutankhamon étaient assez différentes, de même que la forme de son menton. Il y a donc assurément une interprétation plastique du visage véritable du modèle dans son portrait officiel.

Comparaison momie - sculptures TAA
Comparaison en vue de face du visage de la momie de Toutankhamon et de diverses effigies artistiques du souverain provenant de sa tombe

Par ailleurs, les recherches menées sur l'évolution de l'iconographie royale durant le siècle auquel vécut Toutankhamon permettent de reconstituer l'origine précise du visage qu'il chercha à donner à son pouvoir. À l'instar de son prédécesseur direct, le pharaon Néfernéférouaton, qui n'est autre que sa sœur aînée – qui l'écarta du trône pour régner à sa place pendant trois ans2 – Toutankhamon adopte un portrait officiel qui apparaît comme le produit d'une combinaison de traits physionomiques reconnus comme ceux d'Akhénaton et de Néfertiti, ses parents. On a longtemps cru que le visage prêté par l'art atoniste à chacun des membres de ce célèbre couple royal traduisait, par son caractère assez singulier, la véritable physionomie des deux personnages historiques concernés. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. Ainsi, en cherchant à aborder la question de la fascinante impression de beauté et de perfection qui se dégage du modèle d'atelier connu sous le nom moderne de buste de Néfertiti de Berlin (parce qu'il est actuellement conservé à l'Ägyptisches Museum de Berlin), Rolf Krauss a reconstitué la vision originale du sculpteur en appliquant sur un relevé photogrammétrique – donc parfaitement objectif et sans déformation perspective – de ce buste une grille graduée en unités métriques de l'époque, soit en doigts égyptiens (1,875 cm), suivant en cela le processus de conception des statues tel que le pratiquaient les artistes pharaoniques sur le bloc parallélépipédique à tailler. Il est ainsi apparu que chacun des traits déterminants du visage de la superbe reine se trouve sur une ligne ou à une intersection de deux lignes de ce quadrillage, démontrant combien ce portrait qui passe généralement pour ce que l'art égyptien a produit de plus réaliste est artificiellement construit. Néfertiti, ne fut-ce que parce qu'elle était la reine, devait être très belle, mais il est certain que sa physionomie n'était pas aussi parfaite ; c'est une impossibilité statistique. En outre, suivant le même principe d'analyse, R. Krauss a également mis en évidence que la partie supérieure du visage d'Akhénaton et de Néfertiti, depuis la base du nez jusqu'au départ de la coiffure sur le front, est exactement identique, tant en dimensions qu'en morphologie. Dans ces conditions, même s'il est tentant d'imaginer une certaine convergence entre le visage véritable d'Akhénaton et de Néfertiti et leurs portraits sculptés, en apparence si individualisés, force est de conclure que leur image officielle les a, sans nul doute possible, idéalisés. Il s'agit donc de portraits largement conventionnels3.

Néfertiti R Krauss
Projection d'une grille graduée en doigts égyptiens (1,875 cm) sur un relevé photogrammétrique du buste de Néfertiti Berlin 21.300 (d'après R. Krauss, « 1913-1988. 75 Jahre Büste der NofretEte/ Nefret-iti in Berlin. Zweiter Teil », Jahrbuch Preußischer Kulturbesitz 28 (1991), p. 148-9)
 
Portraits famille royale amarnienne
Comparaison du profil du buste de Néfertiti, de son profil tracé et projeté sur une reproduction photogrammétrique du tour de tête en plâtre d'Akhénaton Berlin 21.351 (d'après R. Krauss, « Les représentations de Néfertiti et d'Akhénaton sont-elles réalistes ? », dans Akhénaton et l'époque amarnienne, Paris, 2005, p. 142), du buste modèle de Néfernéférouaton Berlin 20.496 et du masque funéraire de Toutankhamon.

Le fait que les deux enfants d'Akhénaton et Néfertiti qui leur succédèrent et qui, suivant l'idéologie pharaonique, tiraient leur légitimité de cette filiation royale aient produit une image de leur pouvoir qui combine les traits de l'un et de l'autre n'est évidemment pas innocent d'un point de vue politique. L'évolution du portrait royal depuis le début du règne de Néfernéférouaton jusqu'à celui de Toutankhamon révèle d'ailleurs une référence assez nette à l'effigie canonique d'Akhénaton, avec une atténuation progressive des éléments très spécifiquement « akhénatoniens » (notamment l'allongement caractéristique de son visage et de son menton), ce qui correspond précisément à l'évolution de leur politique de légitimation.

D'Akhénaton à ToutankhamonComparaison des portraits - vus de face - d'Akhénaton, de Néfernéférouaton au début de son règne,
de Néfernéférouaton à la fin de son règne et de Toutankhamon

Dans ce contexte, ce n'est pas non plus un hasard si le portrait politique conçu pour le roi adolescent que fut Toutankhamon sera réutilisé comme une sorte de masque de légitimité par les trois pharaons qui lui succèderont, Ay, Horemheb et Ramsès Ier, qui tous, sans exception, accéderont au trône d'Égypte après une longue carrière civile et sans la moindre goutte de sang royal dans leurs veines. Il faudra attendre le règne du fils de Ramsès Ier, Séthi Ier, qui trouve désormais à nouveau son droit à régner dans sa relation biologique avec son prédécesseur, pour que l'on s'émancipe de ce modèle physionomique qui soulignait un lien avec la prestigieuse 18e dynastie, afin d'inventer un autre portrait royal, avec un visage plus mature, qui deviendra celui de la double dynastie des Ramsès, et de Ramsès II en particulier.

Portrait royal post-amarnien
Comparaison le masque funéraire de Toutankhamon, une statue d'Ay, une statue de l'époque de Horemheb et un relief de Ramsès Ier à Karnak

En définitive, on l'aura compris, la physionomie véritable de l'individu Toutankhamon nous échappe largement, et sans doute à jamais. Mais l'étude de son portrait officiel, de l'image qu'il a voulu donner de son pouvoir, nous en apprend bien davantage sur son visage politique, lui qui, ne l'oublions pas, était un roi, c'est-à-dire un individu qui incarne avant tout l'état et son idéologie.

Dimitri Laboury
Avril 2011

icone crayon

Dimitri Laboury est égyptologue, maître de recherches du F.R.S.-FNRS à l'ULg.






2 Son très jeune âge n'était pas en soi un obstacle à son couronnement. Il y a eu des rois plus jeunes durant la 18e dynastie.  Mais Toutankhamon a été parqué en province et Néfernéférouaton  a tenté de faire croire aux Hittites qu'il n'y avait pas d'héritier de la couronne en Égypte afin de gagner du temps sous le prétexte d'un projet de mariage avec un prince hittite.
3 Pour les portraits sculptés d'Akhénaton, le lecteur pourra également se reporter à l'article http://culture.ulg.ac.be/jcms/prod_197790/les-deformations-des-colosses-du-gem-pa-aton-une-question-de-perspective

 

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