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Toutankhamon au regard de l'histoire

26 avril 2011
Toutankhamon au regard de l'histoire

« Un récit dont l'ouverture ressemble à celle de la caverne d'Ali Baba et qui s'achève comme le mythe de Némésis ne peut manquer de captiver l'imagination de toutes et de tous. »

(Lady Burghckere – sœur de Lord Carnarvon – introduction de l'ouvrage de H. Carter et A.C. Mace, The Tomb of Tut.ankh.amen, Londres 1923-1933)
H Carter 2e cercueil
Howard Carter dégageant le deuxième cercueil de Toutankhamon

Survenue un siècle après l'acte fondateur de l'Égyptologie – lorsque Jean-François Champollion déchiffra en 1822 le système hiéroglyphique – la découverte de la tombe de Toutankhamon par Howard Carter et son mécène Lord Carnarvon, au début du mois de novembre 1922, synthétisait à elle seule les principaux fantasmes que le grand public nourrit à l'égard de l'archéologie égyptienne, et même de l'archéologie en général : l'exhumation hors des ténèbres du passé d'un jeune roi au destin dramatique, jusqu'alors presque totalement inconnu ; la mise au jour d'un fabuleux trésor qui dépassait les rêves les plus insensés ; et, enfin, une série de décès que l'on pouvait, semble-t-il, mettre en relation avec la tombe et une malédiction des pharaons. Cette prétendue malédiction était sans fondement rationnel mais, abondamment relayé et amplifié par la presse, le mythe était né et promis à un brillant avenir. Depuis lors, Toutankhamon, sujet de nombreux romans et fictions en tout genre, a toujours été entouré d'une aura de mystère et de malédiction et a ainsi accédé au statut de pharaon le plus célèbre auprès du grand public.

Outre la soi-disant malédiction qu'il aurait jetée à l'encontre des profanateurs de sa sépulture, on a souvent prétendu que, maudit lui-même, il aurait été assassiné par ses mentors et futurs successeurs, le vieil Ay et le général Horemheb – successeur du précédent. La théorie du meurtre de Toutankhamon repose sur l'interprétation de deux indices matériels : quelques lésions constatées sur sa momie et l'usurpation systématique des monuments du roi en dehors de sa tombe. Le récent examen de la momie, mené sous la direction de Zahi Hawass, le Secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes, a cependant permis de montrer de façon indiscutable que lesdites lésions furent occasionnées après la mort du jeune roi. Par ailleurs, il est assuré que Ay, le successeur direct de Toutankhamon, à qui le crime supposé aurait profité, témoigna un grand respect vis-à-vis de la mémoire de son prédécesseur – dont il pourrait, du reste, avoir été le grand-père maternel – puisqu'il se chargea de ses funérailles et qu'il lui fit construire un temple commémoratif. C'est seulement au cours du règne de Horemheb, qui succéda à Ay, que ce temple voué à la mémoire de Toutankhamon fut démantelé et que toutes les initiatives et les monuments du jeune roi furent usurpés, dans une vaste entreprise de suppression des traces du règne d'Akhénaton et de tous ceux qui lui étaient liés, entreprise dont pâtirent donc aussi bien Toutankhamon, son fils, que Ay, ancien proche du régime atoniste1. Le rejet de l'enfant-roi est donc bien postérieur à son décès et ne peut, par conséquent, servir à étayer l'hypothèse de l'assassinat. Les dernières études de la momie de Toutankhamon suggèrent d'ailleurs une mort à la suite de maladie(s) infectieuse(s).

Éclat dans la boîte crânienne de TAA
Photographie et vue aux rayons X du profil droit de la tête de la momie de Toutankhamon, montrant la présence d'un éclat d'os (A) dans la boîte crânienne, par dessus les zones de résine séchée, introduite lors de la momification (X)

Certes, même pour les spécialistes, l'histoire du règne de Toutankhamon reste encore obscurcie par plusieurs zones d'ombre, mais les éléments que l'on en connaît montrent qu'elle n'a aucun besoin d'être romancée pour présenter un caractère dramatique et attrayant pour l'égyptophile contemporain. La difficulté du puzzle historique du règne du jeune pharaon réside moins dans l'éloignement chronologique de la période à analyser que dans le fait que les Égyptiens de l'époque ont cherché à réécrire leur propre histoire, en transformant certains événements, voire en les occultant. Fort heureusement, diverses recherches, et en particulier la remarquable étude de l'égyptologue français Marc Gabolde, D'Akhénaton à Toutankhamon (1998), ont permis de clarifier cet épisode complexe de l'histoire pharaonique.

À sa naissance, Toutankhamon reçut le nom de Toutankhaton : « image vivante d'Aton ». Cet anthroponyme typiquement atoniste  s'explique par l'ascendance de l'enfant, qui est, on le sait aujourd'hui avec certitude, le fils d'Akhénaton et de Néfertiti. Comme tout enfant royal de la 18e dynastie, il fut confié aux soins d'une nourrice et d'un précepteur ; la tombe de sa nourrice, une certaine Maya, fut dégagée en 1996 par l'archéologue du CNRS Alain-Pierre Zivie, à Saqqarah, tandis que celle de son précepteur a été découverte au début de la même décennie dans la région d'Akhmim, en Haute-Égypte, par une mission australienne sous la direction de Boyo Ockinga. La naissance du jeune prince peut être située entre l'an 12 et l'an 14 du règne d'Akhénaton – soit aux alentours de 1339-8 avant notre ère –  très peu de temps avant que la famille ne soit accablée par les décès prématurés et successifs de trois princesses, puis par celui de la reine mère Tiy. Toutankhaton est en outre privé très tôt de sa propre mère, Néfertiti, que la mort emporte vraisemblablement en l'an 16. Akhénaton ne tarde pas à rejoindre son épouse et meurt dans le courant de sa dix-septième année de règne, laissant orphelin le petit prince, tout au plus âgé de cinq ans. La cause de cette subite série de décès est inconnue ; on sait seulement qu'à cette époque, une terrible épidémie de peste sévissait en Égypte et au Proche-Orient.

Nourrice Maya Saqqarah
Représentation de Toutankhamon sur le genoux de sa nourrice, la dame Maya,
dans la tombe de cette dernière à Saqqarah 

 
 
1 Akhénaton a  tenté de transformer la religion égyptienne en imposant le culte du dieu soleil unique, Aton et imposé sa nouvelle  théocratie pour légitimer son pouvoir, se présentant comme seul interlocuteur entre le dieu et les hommes.

 

À la mort d'Akhénaton, l'Égypte se trouve dans une situation de politique extérieure particulièrement délicate, qui nécessite la présence d'un roi fort : une expédition punitive contre un vassal récemment passé à l'ennemi, c'est-à-dire du côté des Hittites, vient de se solder par une défaite militaire et, en retour, les Hittites cherchent à profiter de l'événement pour justifier une invasion des territoires sous contrôle égyptien dans l'actuelle Syrie. Le trop jeune Toutankhaton est alors mis de côté par sa sœur aînée, Méritaton, âgée d'environ treize ans, mais associée par son père à la gestion de l'État depuis quelque temps. La princesse tente d'abord de berner les Hittites, qui menacent les frontières de l'empire, en leur proposant une alliance, qui est en réalité un piège. Ensuite, ayant affermi sa position, tant en Égypte qu'à l'étranger, elle prend le pouvoir seule, en tant que pharaon, sous le nom de Néfernéférouaton. Dans le courant de sa troisième année de règne, les circonstances l'incitent à abandonner la nouvelle capitale et la nouvelle idéologie de son père, pour engager un retour à l'orthodoxie et à la tradition. Ce processus à peine entamé, la souveraine décède, laissant enfin son jeune frère faire valoir ses droits d'héritier au trône. Toutankhaton, qui prend rapidement le nom de Toutankhamon, – abandonnant ainsi le patronage du dieu Aton pour se placer sous la protection du dieu traditionnel de la royauté légitime, Amon, – se venge alors de sa sœur, en s'appropriant son initiative de restauration de l'ancien régime théologico-politique et en la dépouillant de son matériel funéraire royal – qu'il récupérera plus tard pour sa propre inhumation – sans doute afin de la rétrograder du rang de pharaon à celui de princesse royale et de reine. L'enfant-roi, âgé au maximum de huit ans, se marie (ou plutôt est marié) avec la dernière sœur qui lui reste, Ankhesenpaaton, l'ancienne alliée de Méritaton, qui prend également un nom moins atoniste et devient Ankhesenamon. Ce mariage consanguin, comme les rares autres qui eurent lieu précédemment, est certainement motivé par la volonté d'affermir la légitimité du couple et de prévenir d'éventuelles querelles de succession en unissant les descendants légitimes de la dynastie.

Usurpation mobilier Néfernéférouaton
Éléments du trousseau funéraire de Toutankhamon usurpé à sa sœur, le pharaon Néfernéférouaton : le deuxième cercueil du roi ; la deuxième chapelle entourant le sarcophage ; le dispositif dit « canope », destiné à la conservation des viscères du souverain ; un pectoral en or.

Toute l'histoire du court règne de Toutankhamon sera ensuite conditionnée par sa politique de renouement avec le passé antérieur à la période atoniste, ce qui imposera au jeune roi de renier ses propres parents et leur œuvre, pour se rattacher à son grand-père, Amenhotep III, qu'il n'a en fait jamais connu. Toutankhamon meurt après seulement neuf années de règne, sans avoir atteint ses vingt ans. Il est enterré dans une petite tombe de la Vallée des Rois, dont la typologie montre qu'elle ne lui était assurément pas destinée à l'origine, mais qu'elle fut adaptée en conséquence, à la hâte. Sa sœur et épouse semble lui survivre bien que le trône soit désormais occupé par Ay, un proche de la famille, l'ancien confident d'Akhénaton et de son fils, mari de la nourrice de Néfertiti et peut-être père de celle-ci. Dans sa tombe, Toutankhamon est accompagné de deux enfants mort-nés – deux fœtus de cinq et sept à neuf mois – assurément les siens. Comme l'écrivit Howard Carter, « Si l'un des enfants avait vécu, il n'y aurait peut-être jamais eu de Ramsès. »

Foetus KV 62
Légende : Les deux enfants mort-nés retrouvés dans la tombe de Toutankhamon

L'œuvre de restauration de l'ancien régime théocratique effectuée par Toutankhamon, même s'il n'en fut pas le réel instigateur, sombre alors dans l'oubli volontaire de la part des anciens Égyptiens, qui cherchent à effacer tout souvenir de l'épisode atoniste du règne d'Akhénaton. Il faudra attendre près de 33 siècles pour que l'enfant-roi soit restitué dans son véritable rôle historique, grâce à la ténacité de l'archéologue Howard Carter et de son mécène, Lord Carnarvon.

Dimitri Laboury
Avril 2011

icone crayon

Dimitri Laboury est égyptologue, maître de recherches du F.R.S.-FNRS à l'ULg.


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