Toutankhamon au regard de l'histoire

À la mort d'Akhénaton, l'Égypte se trouve dans une situation de politique extérieure particulièrement délicate, qui nécessite la présence d'un roi fort : une expédition punitive contre un vassal récemment passé à l'ennemi, c'est-à-dire du côté des Hittites, vient de se solder par une défaite militaire et, en retour, les Hittites cherchent à profiter de l'événement pour justifier une invasion des territoires sous contrôle égyptien dans l'actuelle Syrie. Le trop jeune Toutankhaton est alors mis de côté par sa sœur aînée, Méritaton, âgée d'environ treize ans, mais associée par son père à la gestion de l'État depuis quelque temps. La princesse tente d'abord de berner les Hittites, qui menacent les frontières de l'empire, en leur proposant une alliance, qui est en réalité un piège. Ensuite, ayant affermi sa position, tant en Égypte qu'à l'étranger, elle prend le pouvoir seule, en tant que pharaon, sous le nom de Néfernéférouaton. Dans le courant de sa troisième année de règne, les circonstances l'incitent à abandonner la nouvelle capitale et la nouvelle idéologie de son père, pour engager un retour à l'orthodoxie et à la tradition. Ce processus à peine entamé, la souveraine décède, laissant enfin son jeune frère faire valoir ses droits d'héritier au trône. Toutankhaton, qui prend rapidement le nom de Toutankhamon, – abandonnant ainsi le patronage du dieu Aton pour se placer sous la protection du dieu traditionnel de la royauté légitime, Amon, – se venge alors de sa sœur, en s'appropriant son initiative de restauration de l'ancien régime théologico-politique et en la dépouillant de son matériel funéraire royal – qu'il récupérera plus tard pour sa propre inhumation – sans doute afin de la rétrograder du rang de pharaon à celui de princesse royale et de reine. L'enfant-roi, âgé au maximum de huit ans, se marie (ou plutôt est marié) avec la dernière sœur qui lui reste, Ankhesenpaaton, l'ancienne alliée de Méritaton, qui prend également un nom moins atoniste et devient Ankhesenamon. Ce mariage consanguin, comme les rares autres qui eurent lieu précédemment, est certainement motivé par la volonté d'affermir la légitimité du couple et de prévenir d'éventuelles querelles de succession en unissant les descendants légitimes de la dynastie.

Usurpation mobilier Néfernéférouaton
Éléments du trousseau funéraire de Toutankhamon usurpé à sa sœur, le pharaon Néfernéférouaton : le deuxième cercueil du roi ; la deuxième chapelle entourant le sarcophage ; le dispositif dit « canope », destiné à la conservation des viscères du souverain ; un pectoral en or.

Toute l'histoire du court règne de Toutankhamon sera ensuite conditionnée par sa politique de renouement avec le passé antérieur à la période atoniste, ce qui imposera au jeune roi de renier ses propres parents et leur œuvre, pour se rattacher à son grand-père, Amenhotep III, qu'il n'a en fait jamais connu. Toutankhamon meurt après seulement neuf années de règne, sans avoir atteint ses vingt ans. Il est enterré dans une petite tombe de la Vallée des Rois, dont la typologie montre qu'elle ne lui était assurément pas destinée à l'origine, mais qu'elle fut adaptée en conséquence, à la hâte. Sa sœur et épouse semble lui survivre bien que le trône soit désormais occupé par Ay, un proche de la famille, l'ancien confident d'Akhénaton et de son fils, mari de la nourrice de Néfertiti et peut-être père de celle-ci. Dans sa tombe, Toutankhamon est accompagné de deux enfants mort-nés – deux fœtus de cinq et sept à neuf mois – assurément les siens. Comme l'écrivit Howard Carter, « Si l'un des enfants avait vécu, il n'y aurait peut-être jamais eu de Ramsès. »

Foetus KV 62
Légende : Les deux enfants mort-nés retrouvés dans la tombe de Toutankhamon

L'œuvre de restauration de l'ancien régime théocratique effectuée par Toutankhamon, même s'il n'en fut pas le réel instigateur, sombre alors dans l'oubli volontaire de la part des anciens Égyptiens, qui cherchent à effacer tout souvenir de l'épisode atoniste du règne d'Akhénaton. Il faudra attendre près de 33 siècles pour que l'enfant-roi soit restitué dans son véritable rôle historique, grâce à la ténacité de l'archéologue Howard Carter et de son mécène, Lord Carnarvon.

Dimitri Laboury
Avril 2011

icone crayon

Dimitri Laboury est égyptologue, maître de recherches du F.R.S.-FNRS à l'ULg.

Page : previous 1 2