Toutankhamon au regard de l'histoire

« Un récit dont l'ouverture ressemble à celle de la caverne d'Ali Baba et qui s'achève comme le mythe de Némésis ne peut manquer de captiver l'imagination de toutes et de tous. »

(Lady Burghckere – sœur de Lord Carnarvon – introduction de l'ouvrage de H. Carter et A.C. Mace, The Tomb of Tut.ankh.amen, Londres 1923-1933)
H Carter 2e cercueil
Howard Carter dégageant le deuxième cercueil de Toutankhamon

Survenue un siècle après l'acte fondateur de l'Égyptologie – lorsque Jean-François Champollion déchiffra en 1822 le système hiéroglyphique – la découverte de la tombe de Toutankhamon par Howard Carter et son mécène Lord Carnarvon, au début du mois de novembre 1922, synthétisait à elle seule les principaux fantasmes que le grand public nourrit à l'égard de l'archéologie égyptienne, et même de l'archéologie en général : l'exhumation hors des ténèbres du passé d'un jeune roi au destin dramatique, jusqu'alors presque totalement inconnu ; la mise au jour d'un fabuleux trésor qui dépassait les rêves les plus insensés ; et, enfin, une série de décès que l'on pouvait, semble-t-il, mettre en relation avec la tombe et une malédiction des pharaons. Cette prétendue malédiction était sans fondement rationnel mais, abondamment relayé et amplifié par la presse, le mythe était né et promis à un brillant avenir. Depuis lors, Toutankhamon, sujet de nombreux romans et fictions en tout genre, a toujours été entouré d'une aura de mystère et de malédiction et a ainsi accédé au statut de pharaon le plus célèbre auprès du grand public.

Outre la soi-disant malédiction qu'il aurait jetée à l'encontre des profanateurs de sa sépulture, on a souvent prétendu que, maudit lui-même, il aurait été assassiné par ses mentors et futurs successeurs, le vieil Ay et le général Horemheb – successeur du précédent. La théorie du meurtre de Toutankhamon repose sur l'interprétation de deux indices matériels : quelques lésions constatées sur sa momie et l'usurpation systématique des monuments du roi en dehors de sa tombe. Le récent examen de la momie, mené sous la direction de Zahi Hawass, le Secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes, a cependant permis de montrer de façon indiscutable que lesdites lésions furent occasionnées après la mort du jeune roi. Par ailleurs, il est assuré que Ay, le successeur direct de Toutankhamon, à qui le crime supposé aurait profité, témoigna un grand respect vis-à-vis de la mémoire de son prédécesseur – dont il pourrait, du reste, avoir été le grand-père maternel – puisqu'il se chargea de ses funérailles et qu'il lui fit construire un temple commémoratif. C'est seulement au cours du règne de Horemheb, qui succéda à Ay, que ce temple voué à la mémoire de Toutankhamon fut démantelé et que toutes les initiatives et les monuments du jeune roi furent usurpés, dans une vaste entreprise de suppression des traces du règne d'Akhénaton et de tous ceux qui lui étaient liés, entreprise dont pâtirent donc aussi bien Toutankhamon, son fils, que Ay, ancien proche du régime atoniste1. Le rejet de l'enfant-roi est donc bien postérieur à son décès et ne peut, par conséquent, servir à étayer l'hypothèse de l'assassinat. Les dernières études de la momie de Toutankhamon suggèrent d'ailleurs une mort à la suite de maladie(s) infectieuse(s).

Éclat dans la boîte crânienne de TAA
Photographie et vue aux rayons X du profil droit de la tête de la momie de Toutankhamon, montrant la présence d'un éclat d'os (A) dans la boîte crânienne, par dessus les zones de résine séchée, introduite lors de la momification (X)

Certes, même pour les spécialistes, l'histoire du règne de Toutankhamon reste encore obscurcie par plusieurs zones d'ombre, mais les éléments que l'on en connaît montrent qu'elle n'a aucun besoin d'être romancée pour présenter un caractère dramatique et attrayant pour l'égyptophile contemporain. La difficulté du puzzle historique du règne du jeune pharaon réside moins dans l'éloignement chronologique de la période à analyser que dans le fait que les Égyptiens de l'époque ont cherché à réécrire leur propre histoire, en transformant certains événements, voire en les occultant. Fort heureusement, diverses recherches, et en particulier la remarquable étude de l'égyptologue français Marc Gabolde, D'Akhénaton à Toutankhamon (1998), ont permis de clarifier cet épisode complexe de l'histoire pharaonique.

À sa naissance, Toutankhamon reçut le nom de Toutankhaton : « image vivante d'Aton ». Cet anthroponyme typiquement atoniste  s'explique par l'ascendance de l'enfant, qui est, on le sait aujourd'hui avec certitude, le fils d'Akhénaton et de Néfertiti. Comme tout enfant royal de la 18e dynastie, il fut confié aux soins d'une nourrice et d'un précepteur ; la tombe de sa nourrice, une certaine Maya, fut dégagée en 1996 par l'archéologue du CNRS Alain-Pierre Zivie, à Saqqarah, tandis que celle de son précepteur a été découverte au début de la même décennie dans la région d'Akhmim, en Haute-Égypte, par une mission australienne sous la direction de Boyo Ockinga. La naissance du jeune prince peut être située entre l'an 12 et l'an 14 du règne d'Akhénaton – soit aux alentours de 1339-8 avant notre ère –  très peu de temps avant que la famille ne soit accablée par les décès prématurés et successifs de trois princesses, puis par celui de la reine mère Tiy. Toutankhaton est en outre privé très tôt de sa propre mère, Néfertiti, que la mort emporte vraisemblablement en l'an 16. Akhénaton ne tarde pas à rejoindre son épouse et meurt dans le courant de sa dix-septième année de règne, laissant orphelin le petit prince, tout au plus âgé de cinq ans. La cause de cette subite série de décès est inconnue ; on sait seulement qu'à cette époque, une terrible épidémie de peste sévissait en Égypte et au Proche-Orient.

Nourrice Maya Saqqarah
Représentation de Toutankhamon sur le genoux de sa nourrice, la dame Maya,
dans la tombe de cette dernière à Saqqarah 

 
 
1 Akhénaton a  tenté de transformer la religion égyptienne en imposant le culte du dieu soleil unique, Aton et imposé sa nouvelle  théocratie pour légitimer son pouvoir, se présentant comme seul interlocuteur entre le dieu et les hommes.

 

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