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Le « trésor » de Toutankhamon

26 April 2011
Le « trésor » de Toutankhamon

« Au début je ne vis rien, la flamme de ma bougie vacillait sous l'effet d'un souffle d'air chaud provenant de la chambre, mais peu après, tandis que ma vue s'habituait à la lumière, des détails se détachèrent lentement du brouillard, d'étranges animaux, des statues, et l'or, partout, le lustre de l'or. » (Howard Carter, extrait de sa relation de l'ouverture du premier orifice dans le mur qui scellait l'antichambre de la tombe de Toutankhamon)

Funeral Mask of Tutankhamen
Détail du visage du masque en or de Toutankhamon

Comme le précise Marc Gabolde, égyptologue à l'Université de Montpellier III, le contenu de la tombe de Toutankhamon découvert dans la célèbre Vallée des Rois en novembre 1922 par l'archéologue britannique Howard Carter et son mécène Lord Carnarvon correspond à « une année entière de livraison d'or nubien » sous la 18e dynastie pharaonique (1550-1295 av. J.-C.) : environ 250 kg d'or (au cours actuel, cela représenterait plus de 8 000 000 d'euros !), dont 110 pour le seul cercueil en or massif du jeune roi, sans compter les quelque 2000 bijoux ou objets de luxe, en matériaux de prestige, pierres semi-précieuses, lapis lazuli et bois précieux de toutes sortes... Le « trésor » de Toutankhamon a effectivement de quoi faire rêver tout archéologue ou amateur d'antiquité(s) et sa découverte est d'ailleurs aujourd'hui reconnue comme la plus fabuleuse de toute l'histoire de l'archéologie.

Carter Carnarvon
Howard Carter, le gouverneur de Qéna, lady Evelyn Herbert et son père, Lord Carnarvon, le 23 novembre 1922

Même si Howard Carter et Lord Carnarvon recherchaient la tombe de l'éphémère souverain d'Égypte Toutankhamon depuis 1917, persuadés par divers indices archéologiques qu'elle devait se trouver dans la Vallée des Rois, en face de l'actuelle ville de Louqsor, ils ne s'attendaient assurément pas à mettre la main sur une découverte aussi riche et spectaculaire. Carnarvon ne participera qu'à une seule saison d'étude de la sépulture, emporté le 5 avril 1923 par un décès qui défrayera la chronique, suscitant la légende de la malédiction de Toutankhamon, mais il faudra près de 10 ans à Howard Carter pour vider la petite tombe et en inventorier tout le contenu. Comme l'écrivit Lord Carnarvon, le 28 novembre 1922, le surlendemain de l'ouverture officielle de la tombe, au célèbre égyptologue anglais Sir Alan H. Gardiner : « Mon cher Gardiner, (...) La découverte est extraordinaire (...). Il y a amplement de quoi remplir l'ensemble de la section égyptienne au premier étage du B[ritish] M[useum]. Je crois que c'est la plus grande trouvaille jamais réalisée ». Deux jours plus tard, l'annonce de celle-ci paraît dans la presse et déclenche une effervescence immédiate et presque frénétique. Le Times, auquel Carnarvon cèdera les droits d'exclusivité du suivi médiatique de la fouille le 16 février 1923, titre : « la découverte égyptologique la plus sensationnelle de ce siècle » ; on parle de « trésors pharaoniques » ou encore de « nouvelle caverne d'Aladin », et le Yorkshire Post du 12 janvier 1923 évoque plus de 10 000 touristes qui se pressent à Louqsor pour venir visiter les alentours de la tombe de Toutankhamon. Toutes les personnalités importantes se bousculent alors pour obtenir le privilège d'une courte visite guidée des lieux par Carter et Carnarvon.

Capart Reine Élisabeth Louqsor 1923

C'est dans ce contexte que survient, le 18 février 1923, une visite très attendue par les deux découvreurs et les autorités égyptiennes : celle de la reine des Belges, Élisabeth, épouse d'Albert Ier, et de leur héritier, le prince Léopold, futur Léopold III de Belgique, alors âgé de 21 ans. La reine protectrice des arts et des sciences est reçue avec tous les honneurs et, à sa sortie du tombeau, elle se déclare « confondue par la beauté de ces trésors ». Elle est accompagnée de son guide personnel, le père fondateur de l'égyptologie belge, Jean Capart, membre de l'Académie royale de Belgique, conservateur et secrétaire du Musée royal du Cinquantenaire et professeur d'égyptologie à la seule Université belge qui dispense alors des enseignements en cette matière : l'Université de Liège, qui avait créé dès 1902 une chaire pour ce brillant bruxellois dont elle avait pressenti tout le potentiel scientifique. Capart écrira plus tard : « La nouvelle de la découverte de Tout-Ankh-Amon m'avait tellement impressionné que j'avais décidé de venir en Égypte au mois d'octobre prochain, quelles que soient les difficultés, financières ou autres, qui pourraient s'opposer à mon voyage. Il me paraissait impossible de continuer à étudier l'art égyptien et, plus encore, de vouloir l'enseigner, sans avoir vu personnellement les merveilles que les journaux décrivaient sommairement ». La visite royale dont il put bénéficier, contre toute attente, dès le mois de février 1923 le marqua profondément et eut des répercussions conséquentes pour l'égyptologie belge, puisqu'elle fut l'occasion de créer la très importante Fondation Égyptologique Reine Élisabeth (devenue aujourd'hui l'Association Égyptologique Reine Élisabeth).

Jean Capart, professeur à l'ULg, la comtesse de Caraman-Chimay et sa Majesté la Reine Élisabeth, à Louqsor en février 1923
 

Contrairement à l'opinion la plus répandue, le trésor funéraire du jeune pharaon, qui émerveille et fait alors tourner toutes les têtes, ne fut pas découvert intact. Avant même de pénétrer dans l'hypogée, Howard Carter en était déjà parfaitement conscient : « la tombe avait été pillée », « des voleurs y étaient entrés, et ce, à plusieurs reprises ». De nombreux indices en attestent très clairement. Ainsi, la porte scellée à l'entrée du couloir, tout comme le comblement de ce dernier, comporte des traces évidentes de re-fermeture, à deux reprises, durant l'Antiquité, ce qui implique nécessairement deux intrusions successives. Chacun des scellements entre les différentes pièces du tombeau a d'ailleurs été fracturé et bon nombre d'objets furent retrouvés déplacés, jetés sur le côté ou cassés. La plupart des coffres à bijoux avaient été vidés de leur contenu (parfois détaillé en écriture cursive – le hiératique – sur le coffre lui-même ou sur une étiquette en bois qui l'accompagnait) et une sorte de grande écharpe en lin dans laquelle un pillard avait emballé huit bagues en or massif fut découverte à l'entrée de l'antichambre, abandonnée là par le voleur qui dut être pris sur le fait – et subir, en conséquence, d'atroces et mortelles punitions, comme celles décrites dans les papyrus judiciaires de la fin du Nouvel Empire qui évoquent les procès des pilleurs de tombes de la Vallée des Rois, au tournant des 22e et 21e siècles avant notre ère. Plusieurs indices permettent de penser que ces deux pillages eurent lieu assez rapidement après l'inhumation de l'enfant-roi, tels des récipients d'onguents ou de cosmétiques précieux, qui rancissaient assez rapidement et furent néanmoins dérobés. Par la suite, le tombeau dut être oublié dans la mesure où son entrée fut recouverte par les déchets du creusement de la tombe voisine de Ramsès V, juste au-dessus, vers 1145 avant J.-C., ce qui le protégea jusqu'en novembre 1922 de notre ère.

Pillages KV 62
Traces de pillages dans les dispositifs de scellement de la tombe de Toutankhamon, d'après N. Reeves, A la découverte de Toutankhamon (Paris, 1995)
Indices de pillage

Indices de pillage dans la tombe de Toutankhamon : inscription mentionnant des bracelets en or sur un coffre retrouvé vide ; inscription sur des étiquettes de coffre découvertes sur le sol de la tombe ; linge contenant des bagues en or massif retrouvé dans le couloir d'accès à la tombe ; traces de doigts dans un vase à onguent (photos H. Burton, photographe officiel de la mission).

La question du pillage de la tombe eut des implications politiques importantes car la décision d'affirmer que la sépulture avait été retrouvée intacte joua un rôle non négligeable dans la décision de conserver l'ensemble du trésor en Égypte et de ne pas partager la trouvaille, suivant les dispositions légales qui avaient alors cours, en deux lots, dont l'un serait choisi par le Service des Antiquités de l'Égypte pour le Musée du Caire et l'autre pourrait être emporté par le bailleur de fonds de la fouille . Même s'il est aujourd'hui établi que quelques pièces ont été récupérées par les deux découvreurs, la totalité du trousseau funéraire de Toutankhamon fut déclarée propriété exclusive  de l'État égyptien et la loi sur le partage des antiquités fut par la suite modifiée, en 1936, en partie à cause des circonstances politiques de la découverte de la tombe de l'enfant-roi.

Il faut en outre savoir que la tombe n'était, à l'origine, pas destinée à l'inhumation d'un souverain d'Égypte. En effet, contrairement à ce que son nom moderne semble indiquer, la Vallée des Rois (en arabe d'Égypte Biban el Molouk) ne contient pas que des sépultures royales. On y dénombre plusieurs hypogées destinés à des proches de Pharaon, qui reçurent l'insigne honneur de se faire enterrer à ses côtés. Ainsi, Amenhotep II, l'arrière-arrière-grand-père de Toutankhamon, fit-il réaliser à proximité de sa propre tombe une série de puits complétés par une chambre funéraire pour son vizir ou premier ministre, qu'il connut durant son enfance, pour sa nourrice favorite, pour son garde du corps personnel, et aussi... pour ses animaux de compagnie, chien et singes. Un peu plus tard, le grand-père de Toutankhamon, Amenhotep III, commandita dans la vallée une sépulture pour ses beaux-parents, le chef de la charrerie Youya et la noble dame Touyou, dont la tombe constitue en réalité la seule de la Vallée des Rois retrouvée véritablement intacte à ce jour. La typologie de la tombe de Toutankhamon, par sa forme comme par ses dimensions, particulièrement modestes pour une sépulture royale à cette époque, révèle sans nul doute possible qu'il s'agit d'une tombe de particulier aménagée à la hâte pour l'ensevelissement d'un souverain dont la mort était inopinée. L'identité de celui à qui profite ce crime de lèse-majesté, en quelque sorte, est tout aussi facile à déterminer : il ne peut s'agir que du successeur direct de Toutankhamon, Ay – peut-être le grand-père maternel de l'enfant-roi – qui, malgré son règne d'à peine trois années, sera enterré dans une grande tombe de la vallée dite de l'ouest (à l'ouest de la Vallée des Rois, non loin de la tombe d'Amenhotep III, l'ancêtre légitimateur de la royauté de Toutankhamon) et qui se fit représenter, de manière tout à fait exceptionnelle, dans la tombe de son jeune prédécesseur, en train d'effectuer les derniers rites funéraires sur sa momie.

Youya Touyou
Momies de Youya et Touyou, arrières-grands-parents de Toutankhamon, masque funéraire de Touyou, cercueil externe de Youya, élément de leur mobilier funéraire et schéma axonométrique de la tombe avec son contenu
Opening of the Mouth - Tutankhamun and Aja
Scène du décor de la tombe de Toutankhamon, montrant le pharaon Ay en train d'effectuer
le rituel d'ouverture de la bouche sur la momie du jeune souverain défunt

Il s'agit donc, à l'analyse, d'une tombe de fortune pour un roi éphémère, une tombe trop petite et, de surcroît, pillée dès l'Antiquité. Dans ces conditions, le fascinant « trésor » de Toutankhamon a-t-il quelques chances d'être représentatif du trousseau funéraire qui devait accompagner dans l'autre monde les grands pharaons du Nouvel Empire égyptien (1550-1080 av. J.-C.), qui régnèrent plus longtemps, dominèrent le Proche-Orient et la Nubie de l'époque et se firent inhumer dans des sépultures gigantesques ? Cette question fut abordée dans le cadre de la précédente exposition consacrée au célèbre trésor du jeune pharaon : Tutanchamun. Das goldene Jenseits. Grabschätze aus dem Tal der Könige – dans sa version française Toutankhamon. L'or de l'Au-delà. Trésors funéraires de la Vallée des Rois – organisée en 2004 à l'Antikenmuseum de Bâle – et depuis itinérante à travers le monde. L'un des deux commissaires de l'exposition, André Wiese, a montré à cette occasion que les maigres vestiges qui subsistent des pillages systématiques dont pâtirent les tombes de la Vallée des Rois à la fin du 2e millénaire avant notre ère permettent d'établir que, dans son ensemble et dans ses principes de constitution, le trésor de Toutankhamon peut effectivement nous servir à imaginer, à lever un coin du voile qui obscurcit aujourd'hui le faste extraordinaire qui devait caractériser l'équipement funéraire de grands souverains de l'Égypte comme Thoutmosis III, Amenhotep III, Séthi Ier ou Ramsès II.

Axonométrie KV 62
Schéma axonométrique de la tombe de Toutankhamon avec son contenu

Et, en définitive, au-delà de la fascination que suscitent – immanquablement, semble-t-il – de telles quantités d'or, le trésor de Toutankhamon se révèle avant tout un véritable trésor en tant que témoignage de son temps. Témoignage, certes, du luxe et du raffinement sans précédent qui régnaient à la cour d'Égypte durant la fin de la 18e dynastie, lorsque l'empire des Pharaons était au sommet de sa puissance. Un trésor artistique donc, assurément. Mais surtout, en dépit des craintes qu'eurent un moment Howard Carter et Lord Carnarvon, un trésor historique, car la découverte de la tombe de Toutankhamon a permis d'exhumer de l'oubli un souverain de l'Égypte antique dont l'importance aux yeux de l'Histoire ne saurait être négligée, tout en fournissant des informations capitales pour comprendre la période qui précéda directement le règne de l'enfant-roi : le fascinant épisode atoniste instauré par son propre père, le pharaon Akhénaton. En cela, le trésor de Toutankhamon illustre à merveille un principe fondamental de l'archéologie moderne telle qu'elle a été inventée à la fin du 19e siècle par celui qui initia Howard Carter à cette discipline, Sir William Matthew Flinders Petrie (1853-1942) : loin de la chasse au bel objet pour les Musées ou le collectionneur, l'archéologie, en tant que discipline scientifique, trouve son véritable trésor dans l'information historique que renferment les vestiges du passé.

Dimitri Laboury
Avril 2011

icone crayon

Dimitri Laboury est égyptologue, maître de recherches du F.R.S.-FNRS à l'ULg.

 


 

Pour aller plus loin :
Nicholas Reeves, À la découverte de Toutankhamon (Paris, 1995)
Thomas Hoving, Tout-Ankh-Amon. Histoire secrète d'une découverte (Paris, 1979)


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