Le « trésor » de Toutankhamon

Contrairement à l'opinion la plus répandue, le trésor funéraire du jeune pharaon, qui émerveille et fait alors tourner toutes les têtes, ne fut pas découvert intact. Avant même de pénétrer dans l'hypogée, Howard Carter en était déjà parfaitement conscient : « la tombe avait été pillée », « des voleurs y étaient entrés, et ce, à plusieurs reprises ». De nombreux indices en attestent très clairement. Ainsi, la porte scellée à l'entrée du couloir, tout comme le comblement de ce dernier, comporte des traces évidentes de re-fermeture, à deux reprises, durant l'Antiquité, ce qui implique nécessairement deux intrusions successives. Chacun des scellements entre les différentes pièces du tombeau a d'ailleurs été fracturé et bon nombre d'objets furent retrouvés déplacés, jetés sur le côté ou cassés. La plupart des coffres à bijoux avaient été vidés de leur contenu (parfois détaillé en écriture cursive – le hiératique – sur le coffre lui-même ou sur une étiquette en bois qui l'accompagnait) et une sorte de grande écharpe en lin dans laquelle un pillard avait emballé huit bagues en or massif fut découverte à l'entrée de l'antichambre, abandonnée là par le voleur qui dut être pris sur le fait – et subir, en conséquence, d'atroces et mortelles punitions, comme celles décrites dans les papyrus judiciaires de la fin du Nouvel Empire qui évoquent les procès des pilleurs de tombes de la Vallée des Rois, au tournant des 22e et 21e siècles avant notre ère. Plusieurs indices permettent de penser que ces deux pillages eurent lieu assez rapidement après l'inhumation de l'enfant-roi, tels des récipients d'onguents ou de cosmétiques précieux, qui rancissaient assez rapidement et furent néanmoins dérobés. Par la suite, le tombeau dut être oublié dans la mesure où son entrée fut recouverte par les déchets du creusement de la tombe voisine de Ramsès V, juste au-dessus, vers 1145 avant J.-C., ce qui le protégea jusqu'en novembre 1922 de notre ère.

Pillages KV 62
Traces de pillages dans les dispositifs de scellement de la tombe de Toutankhamon, d'après N. Reeves, A la découverte de Toutankhamon (Paris, 1995)
Indices de pillage

Indices de pillage dans la tombe de Toutankhamon : inscription mentionnant des bracelets en or sur un coffre retrouvé vide ; inscription sur des étiquettes de coffre découvertes sur le sol de la tombe ; linge contenant des bagues en or massif retrouvé dans le couloir d'accès à la tombe ; traces de doigts dans un vase à onguent (photos H. Burton, photographe officiel de la mission).

La question du pillage de la tombe eut des implications politiques importantes car la décision d'affirmer que la sépulture avait été retrouvée intacte joua un rôle non négligeable dans la décision de conserver l'ensemble du trésor en Égypte et de ne pas partager la trouvaille, suivant les dispositions légales qui avaient alors cours, en deux lots, dont l'un serait choisi par le Service des Antiquités de l'Égypte pour le Musée du Caire et l'autre pourrait être emporté par le bailleur de fonds de la fouille . Même s'il est aujourd'hui établi que quelques pièces ont été récupérées par les deux découvreurs, la totalité du trousseau funéraire de Toutankhamon fut déclarée propriété exclusive  de l'État égyptien et la loi sur le partage des antiquités fut par la suite modifiée, en 1936, en partie à cause des circonstances politiques de la découverte de la tombe de l'enfant-roi.

Il faut en outre savoir que la tombe n'était, à l'origine, pas destinée à l'inhumation d'un souverain d'Égypte. En effet, contrairement à ce que son nom moderne semble indiquer, la Vallée des Rois (en arabe d'Égypte Biban el Molouk) ne contient pas que des sépultures royales. On y dénombre plusieurs hypogées destinés à des proches de Pharaon, qui reçurent l'insigne honneur de se faire enterrer à ses côtés. Ainsi, Amenhotep II, l'arrière-arrière-grand-père de Toutankhamon, fit-il réaliser à proximité de sa propre tombe une série de puits complétés par une chambre funéraire pour son vizir ou premier ministre, qu'il connut durant son enfance, pour sa nourrice favorite, pour son garde du corps personnel, et aussi... pour ses animaux de compagnie, chien et singes. Un peu plus tard, le grand-père de Toutankhamon, Amenhotep III, commandita dans la vallée une sépulture pour ses beaux-parents, le chef de la charrerie Youya et la noble dame Touyou, dont la tombe constitue en réalité la seule de la Vallée des Rois retrouvée véritablement intacte à ce jour. La typologie de la tombe de Toutankhamon, par sa forme comme par ses dimensions, particulièrement modestes pour une sépulture royale à cette époque, révèle sans nul doute possible qu'il s'agit d'une tombe de particulier aménagée à la hâte pour l'ensevelissement d'un souverain dont la mort était inopinée. L'identité de celui à qui profite ce crime de lèse-majesté, en quelque sorte, est tout aussi facile à déterminer : il ne peut s'agir que du successeur direct de Toutankhamon, Ay – peut-être le grand-père maternel de l'enfant-roi – qui, malgré son règne d'à peine trois années, sera enterré dans une grande tombe de la vallée dite de l'ouest (à l'ouest de la Vallée des Rois, non loin de la tombe d'Amenhotep III, l'ancêtre légitimateur de la royauté de Toutankhamon) et qui se fit représenter, de manière tout à fait exceptionnelle, dans la tombe de son jeune prédécesseur, en train d'effectuer les derniers rites funéraires sur sa momie.

Youya Touyou
Momies de Youya et Touyou, arrières-grands-parents de Toutankhamon, masque funéraire de Touyou, cercueil externe de Youya, élément de leur mobilier funéraire et schéma axonométrique de la tombe avec son contenu
Opening of the Mouth - Tutankhamun and Aja
Scène du décor de la tombe de Toutankhamon, montrant le pharaon Ay en train d'effectuer
le rituel d'ouverture de la bouche sur la momie du jeune souverain défunt

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