Catherine de Médicis à la base de la gastronomie française

Un rapide aperçu d'un certain nombre de sites internet dévoués à l'histoire de la cuisine nous permet d'appréhender la place occupée par Catherine de Médicis dans l'imaginaire collectif. Le mythe qu'elle incarne comprend les ingrédients classiques du genre, déjà évoqués dans le dossier Marco Polo. Catherine de Médicis (1519-1589), probablement la plus célèbre des reines de France, rapporte de sa Florence natale une ribambelle de cuisiniers italiens qui enseignent aux rustres françois l'art du raffinement de la table. Ces derniers, sur base de cet apprentissage, élaborent la cuisine classique qui connaîtra son apogée avec le génial Antonin Carême (1784-1833). Ainsi, l'élève a surpassé le maître et la célèbre reine a servi de médiatrice entre les civilisations italienne et gauloise.

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Catherine de Médicis (1519-1589)

Le rôle de Catherine de Médicis, nous dit-on, est primordial dans l'histoire de la gastronomie. On lit qu'elle a ramené de Florence le goût pour les légumes et pour les sauces. Ce sont ses cuisiniers qui auraient enrichi la cuisine française de brocolis, d'artichauts, de haricots, de quenelles de volaille, de crêtes de coq, de crépines de foie de veau ou de cervelles, contrastant avec les énormes rôtis servis sur tranchoir, les fèves et les pois en vogue dans le royaume de France. Sans parler de la pâtisserie qui devrait tout aux artisans florentins, maîtres dans l'art de confectionner des confitures, des gelées, des massepains, des pains d'épices, du nougat, des marrons glacés, des macarons ou de la frangipane, confiée à Catherine par le comte Desare Frangipani. Cerise sur le gâteau, elle serait également l'importatrice des fameuses glaces italiennes, ramenées de Chine deux siècles plus tôt par Marco Polo. D'un mythe à l'autre, la boucle est bouclée.

La naissance du mythe

Paradoxalement, le mythe culinaire de Catherine de Médicis est né dans un contexte très peu élogieux pour la reine noire. En effet, cette dernière a alimenté de nombreux fantasmes pendant des siècles. Reine étrangère, machiavélique, mais tentant désespérément de maintenir l'unité de la France, elle a essuyé les critiques de tous les clans, catholique comme protestant. De son vivant, les pamphlets ne l'ont pas épargnée. Après sa mort, on garde d'elle l'image d'une reine empoisonneuse et cruelle, responsable du massacre de la Saint-Barthélemy. Parmi les griefs qu'on lui incrimine, l'italianisation de la cour n'est pas le moindre. Ainsi, l'arrivée de cuisiniers italiens à la cour française n'est probablement pas un argument plaidant en la faveur de sa mémoire.

Parallèlement, un débat fait rage parmi les lettrés français. Les uns, partisans de la bonne chère et les autres, adeptes de la frugalité, se déchirent sur le sujet de la gourmandise en mêlant médecine, économie politique et philosophie morale.1 Les moralistes s'appuient surtout sur les sources antiques et font un amalgame entre gourmandise et débauche. Ils admirent particulièrement les lois somptuaires réglant les dépenses de luxe. Ces lois, d'abord grecques, puis romaines, sont remises au goût du jour par Philippe le Bel. Elles persistent par intermittence, mais sans grande efficacité, jusqu'au règne de Louis XIV. Entre temps, elles sont abrogées par Henri II. Bien entendu, les moralistes regrettent amèrement l'abandon de la part de l'état de ces freins à la débauche. Catherine de Médicis, n'est pas épargnée dans cette affaire. Son goût pour la bonne chère et le luxe la désigne comme incitatrice à la dépravation de la jeune noblesse française.

L'article « cuisine » de l'Encyclopédie synthétise parfaitement les deux réputations de Catherine de Médicis. Son auteur, le protestant Louis de Jaucourt (1704-1779), condamne fermement les délicatesses de la table, véritables poisons pour l'homme, et accable la reine d'origine italienne.

Sans surprise, on s'aperçoit que l'article offre une vision linéaire de l'histoire de la gastronomie, dans laquelle Catherine occupe un rôle important. Il vise avant tout à blâmer les progrès des arts de la bouche, si néfastes pour la santé. Au début de l'humanité, Le laitage, le miel, les fruits de la terre, les légumes assaisonnées de sel, les pains cuits sous la cendre nourrissent sans autre raffinement les peuples qui n'en étoient que plus forts, plus robustes, & moins exposés aux maladies. Mais, hélas pour lui, l'homme finit par se lasser de manger toujours la même chose et diversifie son alimentation au point d'en faire un art. Ce sont les peuples asiatiques qui excellent les premiers dans cet art délicat consistant à changer une simple & bonne nourriture en d'autres plus abondantes, plus variées, plus sensuellement apprêtées, & par conséquent plus nuisibles à la santé. Ce dernier se répand dans les autres peuples, puis à la Grèce, où les sages spartiates légifèrent pour s'en préserver. Même les Romains, respectant une saine vie frugale, se laissent séduire par la bonne chère que la richesse et la puissance nouvellement acquises mettent à leur portée, jusqu'à les perdre dans les excès tant dénoncés par Sénèque. C'est à cette époque, nous dit l'Encyclopédie, que les cuisiniers deviennent des gens importans, recherchés, considérés, gagés à proportion de leur mérite, c'est-à-dire de leur prééminence dans cet art flateur & pernicieux, qui bien loin de conserver la vie, produit une source intarissable de maux. Avant de poursuivre :

Les Italiens ont hérité les premiers des débris de la cuisine romaine ; ce sont eux qui ont fait connoître aux François la bonne chere, dont plusieurs de nos rois tenterent de réprimer l'excès par des édits ; mais enfin elle triompha des lois sous le regne d'Henri II. Alors les cuisiniers de de-là les monts vinrent s'établir en France, & c'est une des moindres obligations que nous ayons à cette foule d'Italiens corrompus qui servirent à la cour de Catherine de Médicis2.

Louis de Jaucourt
Louis de Jaucourt (1704-1779)
 

 
 
1 Frédéric Charbonneau, L'école de la gourmandise, Paris, Editions Desjonquères, 2008, p. 15.
2 Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, t. 4, Paris, 1754, p. 537, col. 2, 538, col. 1.

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