Focus sur le film policier : Interview de Dick Tomasovic

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Avec l'édition d'avril 2011, le Festival du film policier fête sa cinquième année d'existence dans la Cité Ardente. Avec des affiches disséminées un peu partout dans le centre ville et à l'Université,  une excitation est d'ores et déjà palpable des plus cinéphiles au grand public. Et pour cause, le programme de ces quatre jours est ambitieux voire vertigineux.  Malgré des débuts un peu tâtonnants, le festival a véritablement connu un grand envol ces deux dernières années. On estime que cette dernière édition accueillera jusqu'à près de 15000 visiteurs cette saison. Afin de mieux comprendre l'intérêt du public pour cet événement, mais aussi plus largement pour le polar, le genre policier en littérature ou dans les médias, on pensera évidemment à ces téléfilms et séries qui ne cessent de courtiser nos chaînes de télévision en prime time presque tous les soirs, nous avons recueilli les propos de Dick Tomasovic, Professeur à l'Université de Liège dans le département des Arts et Sciences de la Communication, en Théorie et Pratique du Spectacle.

Voir la présentation du Festival 2011

C'est tout naturellement que l'avis de Dick Tomasovic nous intéresse, car, comme il l'a dit lui-même au cours de notre entretien : «Je connais assez bien ce festival, car j'y collabore depuis des années. J'y ai envoyé des étudiants pour commenter les séances de projections et y ai moi-même organisé une conférence. Il y a deux ou trois ans, un de mes films a été sélectionné dans la catégorie courts-métrages, et actuellement, je suis dans le jury de littérature présidé par le romancier et éditeur, Jean-Baptiste Baronian. Le samedi 09 avril, je proposerai une conférence autour de Claude Chabrol. Finalement, j'ai connu ce festival à travers tous les circuits possibles et imaginables. »

C'est donc à une histoire de cœur que l'on a affaire car pour Dick Tomasovic, « L'important est que le festival devienne cher au cœur des liégeois.» Il reconnait cependant que faire émerger un festival de cinéma à Liège n'était pas chose aisée. «  C'est difficile d'imposer un festival, ça prend du temps. C'est un public qui est moins défini que ce qu'on ne croit et le festival est tenté de l'attirer  par des formules de pré-achat d'entrées pour être sûr de sa sauvegarde, mais, ce faisant, il ne rencontre pas vraiment le public. L'enjeu majeur est alors de s'ouvrir au public [...] »

En effet, le festival ne cache pas cette volonté d'atteindre le grand public, comme le montre cette phrase du porte-parole de Didier Reynders, le président d'honneur, « Nous voulons conserver la convivialité bien liégeoise, l'ouverture à tous les publics et garder une programmation diversifiée pour constituer la vitrine d'un festival à Liège. S'internationaliser.»  Et Dick Tomasovic de commenter cette phrase: « Le côté convivial, avoir une programmation ouverte au public, être international, c'est effectivement la volonté de tous les festivals du monde ».

Cette « convivialité liégeoise » avec sa volonté de s'adresser au plus grand nombre est pourtant matière à controverse. Les uns la voient sous les meilleures auspices; les autres craignent qu'à force de vouloir ménager la chèvre et le chou, le festival ne perde de la cohérence, de la pertinence, mais aussi de la qualité dans ses choix.

Dick Tomasovic le confirme: « Dans le milieu intellectuel, il y a une méfiance par rapport au festival. Premièrement, c'est un festival de film de genre et les intellectuels se méfient de la notion de genre. Deuxièmement, il y a également une méfiance à l'égard du festival, car c'est un événement récent et très politisé. Pourtant, un festival, ce n'est pas qu'une communication, c'est aussi une progammation de films, différente chaque année, et si l'on ne s'y confronte pas, on ne sait pas quelle est l'identité du festival

Parmi ces facteurs nuisant à son image, le principe de compétition entre les films des différentes catégories de la programmation du festival pourrait lui aussi contribuer à décrédibiliser ce dernier pour des cinéphiles avertis, férus de films en tant qu'œuvres d'art jugées sur leur seule valeur intrinsèque et impossibles à comparer ou à mettre en concurrence.

« D'un point de vue personnel, je n'apprécie pas vraiment ce côté compétitif... Néanmoins, je sais que le festival a besoin de cette impulsion pour que les distributeurs s'y intéressent et qu'il existe sur la scène internationale. La remise de prix aux réalisateurs et aux auteurs est une manière de les vendre aux distributeurs [...]. Il y a une nécessité de donner une carrière aux films. »
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Quant à la question du genre des films proposés au festival, Dick Tomasovic est sans doute la personne la plus à même de pouvoir nous éclairer. En effet, parmi ses multiples activités, notre interlocuteur est attaché scientifique au Centre Steeman (bibliothèque spécialisée en romans policiers et littérature d'aventures) et auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma, dont Le Palimpseste noir. Notes sur l'Impétigo, la Terreur et le Cinéma américain contemporain (Yellow Now, 2002) et Kino-Tanz. L'Art chorégraphique du Cinéma (PUF, 2009).

Pour notre interlocuteur, choisir d'axer un festival autour du film policier, mais aussi de la littérature et de la bande dessinée polar est un choix judicieux: « Le mérite de ce genre est de pouvoir être identifié très facilement par le public, tandis que, décliné dans d'autres formes d'art, il peut toucher d'autres publics plus spécifiques [...]. Un festival qui se détermine "du film policier", ça a du sens.   Ça en avait d'autant plus y a quelques années, au moment où beaucoup de festivals choisissaient de se définir par genre. Toutefois, les festivals vraiment portés sur des genres précis ont un peu de mal à exister sur la longueur, comme c'est le cas d'Avoriaz, disparu aujourd'hui. Ils sont dès lors condamnés à s'ouvrir, à se décliner sous plusieurs formes. Voilà pourquoi, je pense que le Festival du Film policier a fait un bon choix en multipliant les activités autour du film policier de fiction et en s'élargissant au cinéma documentaire, aux courts-métrages, tout en essayant de trouver des activités liées au policier en général ou dans d'autres médias fédérés. »

Lorsqu'il s'agit de parler, non plus seulement du nombre de visiteurs prévus à cette édition, mais d'un engouement généralisé pour le genre policier, Dick Tomasovic préfère l'idée de « déplacement » car pour lui, le genre se renouvelle et on ne peut pas vraiment dire que le public s'entiche plus de ce genre qu'auparavant, le succès de la littérature policière de gare à une époque l'attestant. Il y a effectivement des redéfinitions du genre en télévision, avec de grands succès populaires comme Les Experts, Esprits criminels, etc.

Parmi ces renouveaux, on redécouvre l'expertise policière déclinée à différents niveaux, dans tous les aspects – expertise scientifique, expertise psychologique – tandis que les personnages sont un peu réinventés, comme Dexter, The Mentalist, Monk, etc. Ces nouvelles intrigues tournent autour de la police scientifique, du personnage du détective, avec des élucidations de différents types.

Le succès de ce genre à la télévision, dans les programmes des chaînes en prime time quasiment chaque soir, est dû, selon Dick Tomasovic, aux avantages des récits policiers qui, pour reprendre ses termes,  « sont vraiment populaires, c'est-à-dire qu'ils ont vraiment des accroches et des personnages assez simples. En tant que récits retraçant des faits divers, intégrant parfois le spectateur à la narration, ils génèrent une passion potentielle de ce dernier, mû par une curiosité naturelle pour le morbide et la disparition. »

Qu'il soit diffusé en télévision quotidiennement ou projeté dans les salles de cinéma au cours d'un festival, le polar n'a pas fini de faire parler de lui et augure au Festival du Film Policier de Liège une longue vie. Un comble pour un genre mettant à l'honneur le meurtre et la mort !

 

 Arianne Detilleux
Avril 2011

 

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  Arianne Detilleux est étudiante en 1re année de master en Arts du Spectacle

 

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Dick Tomasovic enseigne au Département des Arts et Sciences de la communication -  Théories et pratiques du spectacle (vivant ou enregistré).