Jim Sumkay ou l'infini des instants

Le petit monde de Jim Sumkay

Constitué de marchés (la Batte du dimanche matin), d'églises (et de leurs sacristains, affichettes, cierges, carrelages cirés), de courses cyclistes, de politiciens (Édouard Close, Willy Demeyer, Michel Firket, Jean-Claude van Cauwenberghe, Philippe Monfils, Michel Daerden, Élio di Rupo, Laurette Onkelinx, Marie Arena, Fadila Laanan et les autres, ils sont tous là, de Liège et d'ailleurs), d'écrivains et d'artistes (Amélie Nothomb, Jacques Charlier, etc), de  cafés (leurs terrasses et leurs comptoirs), de devantures de magasin, d'échoppes de coiffeurs pour hommes, de milliers d'enfants et de vieillards, de chats, de cimetières, de bonnes sœurs et de curés, de fêtes foraines, de quelques agriculteurs largués par la PAC, de gares et de trains, de fanfares, kermesses et enterrement de Mati l'Ohé, de quelques paysages (la mer du Nord, l'Italie, les campagnes de France), et d'étonnantes incursions en Louisiane, à Cuba, en Serbie (où il retrouve aussitôt les mêmes gens), le petit monde de Jim Sumkay est comme un gigantesque défi au temps qui passe, jamais le photographe ne pourra donner autant de photographies que les clics des secondes écoulées, les minutes abolies, les heures passées.

20070423 arlon02
© Jim Sumkay, Jemelle, 2009

Ce qu'il n'y a pas dans les photos de Jim Sumkay : ni centres commerciaux, ni voitures (ni, généralement et sous réserve d'inventaire, aucun autre produit technologique de la société de consommation), ni stations-services, ni resto-routes, ni jeunes et jolies femmes nues (ce qui constitue cependant un des poncifs de l'image figurée occidentale, de la Vénus de Milo à Vanessa Beecroft), ni marques, ni produits ou « brands » que tout le monde connaît, décline et fréquente, ni avions ni tax-free-shops (même si quelques images d'aéroports se glissent çà et là), ni plages (ou alors, désertes dans un hiver italien, comme un écho à l'Amarcord de Fellini), ni ruralité wallonne, ... rien de ce qui fait le lit des images fantasmées ou dénonciatrices de la production photographique courante.

20080426 blato01
© Jim Sumkay, Blaton, 2008

Pour les universitaires en quête d'exemples à leurs gloses, pour les conservateurs de musées d'art contemporains et les exploitants de galeries d'art en quête de bêtes de spectacle à mettre en scène (comme un tigre dans la cage aux lions), pour les marchands en quête de tirages numérotés (et soucieux de la satisfaction du client, jusqu'à sa mort du moins, et soucieux de leur contentement lorsqu'ils contemplent leurs comptes en banque),  l'œuvre de Jim Sumkay reste un objet incertain : avec brio, le photographe évite les reflets qui le feraient sortir du hors-champ.

20110117 esneux01
© Jim Sumkay, Esneux, 2011

Willy Ronis (1910-2009), à qui Jim Sumkay avait envoyé quelques uns de ses clichés, écrivait en 2007 : « Ne proclamez pas avec ostentation votre mépris de la technique. Elle pourrait se venger cruellement. Bien sympathiquement, Willy Ronis5. »

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid
6

Les photographies de Jim Sumkay sont pleines de ces pauvres gens, et de leurs mots dits tout bas, comme un gigantesque monument au temps qui passe, qui les ensevelira, les ensevelit, les a déjà ensevelis, et ils sont encore là, demain, après-demain.

Alors les photographies de Sumkay, c'est un peu comme la chanson de Brassens :

« Embrasse-les tous,
Embrasse-les tous,
Dieu reconnaîtra le sien ! »

Jean Housen
Mars 2011

icone crayon

Jean Housen est historien de l'art. Il est conservateur du  Musée en Plein Air de l'Université de Liège au Sart-Tilman et collaborateur d'Art&fact.

 


 

5 http://www.museepla.ulg.ac.be/opera/sumkay/archives.html
6 Léo Ferré, Avec le temps, 1969-1970.

Page : précédente 1 2