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Léon Wuidar ou les hiérophanies ludiques

14 mars 2011
Léon Wuidar ou les hiérophanies ludiques

Le début de cette année 2011 permet de découvrir et redécouvrir quelques-uns des multiples aspects de l'œuvre de Léon Wuidar, l'un des plus remarquables et tenaces poètes belges de notre temps.

Depuis plus de 40 ans, Léon Wuidar s'est fait une place unique dans l'histoire des arts plastiques en Belgique ; plasticien, assurément et essentiellement, il est cependant difficilement classable. Les expositions qui le mettent à l'honneur ces jours-ci témoignent de la diversité des facettes de Léon Wuidar : « Léon Wuidar, reliures et emboîtages » à la Maison des Métiers d'Arts de Liège, « Léon Wuidar - Gilbert Decock », à la Galerie Monos à Liège, et « Léon Wuidar - les collages » à Bruxelles. Artisan soigneux, Wuidar est peintre, dessinateur, graveur, illustrateur de livres...

À n'en percevoir que cet aspect, l'œuvre de Wuidar pourrait être considérée comme une énième version, moderne, abstraite et de très haute qualité, de ces plasticiens qui marquent de leur empreinte de multiples supports et moyens d'expression, dans une optique d'art total, que l'on retrouve chez de nombreux créateurs depuis le 19e siècle et la naissance des grands courants artistiques contemporains. Depuis l'émergence du mouvement Art & Crafts en Angleterre dans la deuxième moitié du 19e siècle, l'histoire de l'art nous a donné quelques remarquables exemples d'œuvres dont la cohérence plastique se décline sur des supports diversifiés (Fernand Léger, Henri Matisse, Raoul Dufy, ....).

Les nombreuses œuvres monumentales d'intégration à l'architecture que Léon Wuidar a conçues seraient, dans cette optique d'un art décoratif abstrait total, la preuve finale de la fantastique maîtrise de l'artiste.

Composition monumentale

En 1977, Léon Wuidar conçoit pour la façade du restaurant de l'Université de Liège au Sart Tilman un bas relief : Composition monumentale est la première œuvre intégrée à l'architecture que l'artiste réalise. À cette époque, Léon Wuidar a abandonné depuis longtemps la figuration pour explorer les méandres d'un répertoire formel abstrait ; l'œuvre obéit à des règles de composition et d'agencement stricts : « C'est le motif supérieur gauche qui fut conçu le premier de façon symétrique comme la plupart des dessins de cette époque. Pour relier cette partie au reste, j'utilisai en bas une composition également symétrique dont les axes de certaines formes correspondaient au prolongement de verticales de quelques formes de la partie supérieure. La suite de la composition s'élabora d'elle-même, selon ce principe ».1 La Composition monumentale, sur la façade du restaurant dessiné par l'architecte André Jacqmain, est caractéristique de la démarche que Wuidar poursuit depuis une cinquantaine d'années, avec patience, ténacité, humour, une extrême sensibilité aux frémissements du réel et le détachement qui sied à ceux qui savent où ils vont. Comme de nombreux artistes « abstraits », Léon Wuidar laisse fréquemment ses œuvres sans titre. Le spectateur est dès lors libre de laisser courir ses yeux sur la rigueur des formes, les rimes et rythmes des lignes, les agencements simples ou complexes des aplats de couleurs.

composition
Étudiant devant le restaurant B8

Mais, derrière cette rigueur toute « mathématique », ou « architecturale », Wuidar donne à voir, avec une pudeur et une sincérité évidente, une poétique extrêmement vivante, un rapport fécond avec la « réalité », telle que l'homme peut la voir, et la restituer par des formes et des mots. L'abstraction, s'il s'agit de cela, n'a chez Wuidar rien de platonicien ; le choix des formes géométriques me paraît manifester davantage une sensibilité esthétique première qu'une volonté de traduire en formes épurées la supposée complexité de la vision figurative. Le regard que Léon Wuidar porte sur le monde va à l'essentiel, non par une opération de filtrage, ou de décantation : il n'y a pas chez lui d'algorithmes dont les enchaînements conduisent à une forme prévisible. Le monde qu'il élabore a l'évidence et la clarté des jeux d'enfants, l'appréhension immédiate d'un ensemble que les doigts et les yeux saisissent sans réfléchir : « Les jeux de construction de formes géométriques, en bois peint imitant des détails d'architecture, restent parmi les agréables souvenirs de mon enfance. L'apparence de ces images désuètes m'est devenue tout à fait inutile sinon insupportable, mais j'ai conservé le goût pour les organisations formelles, qui me vient de ces jeux de construction et dont le résultat se suffit à lui-même et s'impose par son contenu et sa propre existence2 ».

Le Jeu de Marelle

L'œuvre de Léon Wuidar a plus à voir avec les comptines et les ritournelles, les jeux de marelle, le « Palais des Glaces » des fêtes foraines, et le « T'en fais pas » qu'avec les digressions philosophiques et les essais littéraires ; ce n'est apparemment pas sorcier, cela n'a apparemment pas de sens profond, mais cela fascine, séduit et on recommence.

Avec tout le sérieux de l'humour, les œuvres de Wuidar offrent l'une après l'autre la même leçon : l'art est simple, gratuit et sacré.

ULG psycho
La faculté de psychologie et des Sciences de l'Éducation accueille Le Labyrinthe

Le Labyrinthe créé en 1987 pour la liaison entre la place du Rectorat et l'entrée du bâtiment de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation (domaine de l'Université de Liège au Sart Tilman) est exemplaire de ce lien de l'œuvre de Wuidar avec les formes les plus anciennes de définition d'un parcours sacré. Évocation libre du labyrinthe de la cathédrale d'Amiens, la terrasse de Léon Wuidar abrite en son centre un cube noir, marqué du Ψ de Ψυχή (le souffle, l'anima, l'âme), on l'on pourra voir un écho tant de la Ka'aba de la Mecque que des monolithes noirs de 2001 : A Space Odyssey (2001, Odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick, 1968). Le labyrinthe possède deux accès, reliés entre eux, par lesquels on peut entrer et sortir. Le cube central n'est accessible qu'à sa périphérie ; on ne l'atteint jamais. Pierre-Olivier Rollin souligne à quel point le labyrinthe est le paradigme de l'œuvre de Léon Wuidar : « En outre, le labyrinthe n'est jamais pur exercice formel. Sa complexité répond à une intention, souvent dissimulée, de révélation, voire d'initiation secrète. Sa résolution obligatoirement lente est synonyme d'accession à des connaissances et savoirs insoupçonnés du commun. (...) Nulle possibilité de brûler les étapes du labyrinthe au risque de se perdre et de tout perdre ! Tel est aussi l'art de Léon Wuidar3 ».

Les grilles-écrans inventées en 1999 par Wuidar pour l'entrée des bâtiments du Ministère de l'Équipement et des Transports (MET) de la Région wallonne à Namur constituent une des multiples déclinaisons de la même métaphore : obstacles, elles sont cependant, par la fente qui s'immisce entre elles, l'entrée d'un dédale pressenti, celui de l'administration, à l'agencement que l'on suppose aussi orthogonal que les milliers de petits carrés, comme la promesse d'un parcours de case en case.

Ne bougeons plus, Plus moyen d'avancer, Sous le ciel, Labour, Que s'est-il passé là-haut ?, ... les titres des œuvres (quand il y a des titres) renvoient  fréquemment à un même univers sémantique, celui du cheminement, du parcours, qu'il soit en droite ligne ou en boustrophédon ; que ce soient des intégrations à l'architecture, des linogravures, dessins ou tableaux, les œuvres de Léon Wuidar, par leur structure, apparaissent, pour une part, comme autant d'étapes de délimitation d'un espace sacré dont la forme et la couleur sont le principal enjeu. Nulle mystique là-dedans ; les hiérophanies ludiques de Wuidar se suffisent à elles-mêmes.

Jean Housen
Mars 2011

icone crayon

Jean Housen est historien de l'art. Il est conservateur du  Musée en Plein Air de l'Université de Liège au Sart-Tilman et collaborateur d'Art&fact.


 
 
Œuvres de Léon Wuidar au Musée en Plein Air du Sart-Tilman
Composition monumentale, acrylique sur asbeste, 290 cm x 487 cm x 6 cm, 1977, dépôt de la Communauté française, sur la façade du B8 (Ancien restaurant universitaire, architecte André Jacqmain, 1968).
Labyrinthe, marbre et granit, cube de  80 x 80 x 80 cm sur une terrasse diamètre : 700 cm, 1987, devant le B31 (Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education).
Deux et deux quatre / quatre et quatre huit /huit et huit font seize... / Répétez! dit le maître, dans le patio du B37 (Institut de Mathématique).
La Joséphine, 2003, pipe peinte (dans le cadre de l'exposition « Simenon d'une pipe »), à proximité des serres de l'Observatoire du Monde des Plantes.
 

Repères biographiques
Léon Wuidar est né le 18 août 1938, à Liège. Il vit et travaille à Esneux. Régent en Arts plastiques (1959), puis diplômé de l'Académie des Beaux-Arts de Liège (1963), Léon Wuidar est professeur de dessin dans l'enseignement normal de 1959 à 1980, et professeur d'arts graphiques à l'Académie des Beaux-Arts de Liège de 1976 à 1998.
Léon Wuidar est l'auteur de nombreuses intégrations artistiques ; il a notamment collaboré avec les architectes Bruno Albert, Roger Bastin, André Jacqmain, Philippe Samyn, Claude Strebelle, Charles Vandenhove.
Léon Wuidar est membre de la Classe des Beaux-Arts de l'Académie Royale de Belgique.
 
Liens
Le site internet de Léon Wuidar : http://www.wuidar.be/
Léon Wuidar (sur le site de l'Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique) : 4 entretiens vidéo, 1 fichier audio : http://www.academieroyale.be/n143/Léon.Wuidar
Léon Wuidar au Musée en Plein Air du Sart-Tilman : http://www.museepla.ulg.ac.be/opera/wuidar

 
 
1 Parcours d'art public. Sart-Tilman, coffret de 144 fiches édité par la Ville de Liège. Echevinat de l'Environnement et du Cadre de Vie et Musée en Plein Air du Sart-Tilman, 1997-1999.
2 Léon Wuidar, dans Autour de l'architecture, Bruxelles, 1987, pp. 50-52.
3 Pierre-Olivier Rollin, « Léon Wuidar, l'architecte des labyrinthes », dans Léon Wuidar, catalogue d'exposition, Musée Félicien Rops, Namur, 1999.


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