« Malentendus » d'Anne Staquet : bouleverser les perspectives

Premier roman d'Anne Staquet, Malentendus, paru en janvier 2011 chez Édilivre, est déjà un texte d'une grande maturité, d'une grande maîtrise, du sujet comme de la forme.

Avec Malentendus, Anne Staquet nous entraîne dans l'univers du visuel, celui des peintures, anonymes ou célèbres, exposées au Louvre ou dans un salon vide d'un appartement chic. Et c'est autour de ces tableaux qu'apparaissent les prémisses d'une histoire dont on ne soupçonne pas encore la teneur. Car, d'emblée, le roman hésite entre différents chemins thématiques. Roman sur la peinture ? Roman sur l'amour ? Roman sur l'art ? Roman sentimental ? Le texte hésite, tout comme le lecteur. Et qui est vraiment cette héroïne, Mado ? Une restauratrice de tableaux. Mais pas seulement. Pas uniquement, tant la relation qu'elle entretient avec les tableaux est  particulière : « caresser, au lieu de regarder, écouter à défaut de juger, vivre avec eux, le temps d'une commande ».

 Régulièrement, voire quotidiennement, Mado se rend dans une salle du Louvre où est exposée une peinture de La Tour, Le Tricheur à l'as de Trèfle. Seule, elle s'évade devant cette toile, s'y perd. C'est dans cette salle qu'elle rencontre Laurent, un jeune homme, guide touristique à ses heures :

C'est donc vers la fin de son parcours qu'il croise souvent une grande dame brune s'éloignant visiblement irritée quand il pénètre accompagné dans la salle numéro trente. Il n'a pas remarqué immédiatement son manège, ou du moins il n'en a pas pris conscience. Mais il a un jour eu l'impression d'un vide en pénétrant dans la salle une fois qu'elle n'y était pas. (p. 23)

Un jeu de cache-cache se crée, au fil des pages entre Marie-Madeleine et Laurent. Une relation amoureuse difficile, compliquée qu'ils semblent avoir du mal à accepter. Ou peut-être cette histoire n'existe-t-elle pas? On n'en est pas sûr. Car le roman joue aussi, dans sa forme, à créer une certaine incertitude. Les courts chapitres s'enchaînent, rompant la chronologie, passant du présent au passé, du réel au fictif, de la réalité humaine à la scène du célèbre tableau de La Tour, le tout contrôlé par un narrateur omniscient :

Est-ce parce que je suis moi-même en train d'attendre que la phrase qui me permettra de donner l'impulsion de vie à mes personnages et à leur histoire que mon héroïne est, elle aussi, en train d'attendre ? Je la vois chez elle. Elle est plutôt grande, brune, les doigts un peu noueux. Elle allume une cigarette, se sert un verre de vin et  revient à la fenêtre. Visiblement, elle guette l'arrivée de quelqu'un. Qui cela peut-il bien être ? (p. 5)

latour

Le doute s'installe sur ce qui est dit ou tu, on s'interroge. Dans quel imaginaire se trouve-t-on? Quel sens a cette toile de La Tour pour Mado ? Dans le dédale des salles du Louvre et des rues de Paris, on suit, on tente de comprendre cette relation « en trio », compliquée mais captivante. Et, peu à peu, se crée, entre eux, un malentendu, auquel on ne s'attend pas et qui déstabilise autant les personnages que le lecteur : « Le malentendu projette Laurent à des années lumières. Elle comprend enfin ce qui les sépare. Elle sait qu'ils ne partageront plus rien ».

Sans s'imposer véritablement dans un genre précis, ce roman d'Anne Staquet englobe différents styles, différents thèmes pour produire un texte riche, intéressant et interpellant. La langue est simple et directe, le ton est juste, les descriptions efficaces et bien dosées. Le tout formant un texte extrêmement bien ciselé, se détachant quelque peu des canevas canoniques de la littérature contemporaine. Une belle découverte que ce premier roman !

Primaëlle Vertenoeil
Février 2011

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Primaëlle Vertenoeil est diplômée en Langues et littératures romanes et étudiante en Médiation culturelle et métiers du livre.

 

Anne Staquet enseigne la philosophie aux Universités de Mons et de Liège. Elle a notamment publié Descartes et le libertinage (Paris, Hermann, 2009).