Le courage de la douceur
Avec Des nouvelles du jardin, Carmelo Virone signe un recueil, à la fois courageux et empreint de douceur, décrivant avec humour et élégance différentes facettes de la vie liégeoise.
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À la lecture des Nouvelles du jardin de Carmelo Virone, deux affects très différents n'ont cessé de m'habiter : j'ai éprouvé d'abord une sensation de douceur diffuse, et, ensuite, très vite, j'ai été animé par le sentiment du courage, comme si le but du texte était à la fois de me caresser et de me donner la force de regarder le monde tel qu'il est. La douceur, si souvent mièvre en littérature, si souvent synonyme d'aveuglement ou de faiblesse, devient chez Virone un attribut de l'héroïsme au quotidien. Peut-être, dans ce monde et dans ce temps, faut-il du courage, après tout, pour oser encore être doux : il y aurait donc un courage de la douceur ou de la douceur au cœur du courage, une force dans la tendresse, des dénonciations sans violence, un désespoir délicieux, des constats tristes sans être amers. Et Carmelo Virone en serait le scribe patient, ironique et délicat.

Mais comment parvient-il à créer cette sensation de douceur ? Il me semble que les multiples caractéristiques de ce petit livre très riche les produisent de concert.

D'abord, un mot sur le genre : il s'agit d'un recueil de nouvelles. Si l'on songe au processus mental extrêmement complexe que met en branle toute lecture (ces caractères tristes et noirs que l'on transforme en mots dans nos esprits, ces mots qui, en se suivant, constituent des phrases, ces phrases qui en appellent au monde et qui le reconfigurent en nous...), si l'on songe en outre au fait que, lorsque l'on commence un nouveau livre, ces processus se compliquent encore du fait que, malgré les indications données par la couverture, le titre, les noms de l'auteur et de l'éditeur, l'on plonge dans un univers inconnu, sans référence préalable, on comprendra ce qui sépare le recueil de nouvelles d'un roman comptant le même nombre de pages : après un moment, le lecteur de roman s'est construit des repères, il reconnaît personnages, époques, situations, intrigues d'ensemble, tandis que le lecteur de nouvelles doit sans cesse retrouver l'incertitude des incipit : de quoi est-il question ? Le lecteur de roman a plongé dans l'eau froide et s'y est habitué. Le lecteur de nouvelles sort sans cesse de l'eau, se sèche et y replonge. Tous les recueils ne jouent pas de cette particularité – certains cherchent même à en diminuer les effets. Car une nouvelle peut n'être rien d'autre qu'un roman très court, réduit à son anecdote principale, avec un début, un développement rapide et une fin. D'autres nouvelles ressemblent à des contes ou à des romans résumés : au lieu d'en déployer les scènes et de les raconter, elles se contentent de les dire. Une dernière possibilité consiste à faire de la nouvelle un roman en puissance, qui s'ébauche puis s'estompe, qui décolle puis interrompt son vol. C'est ainsi que procèdent Carver, aux États-Unis, ou Virone, en Belgique. Parce qu'elles restent en suspens, ces nouvelles semblent échapper à la gravité, à la lourdeur : il s'ensuit bel et bien un sentiment de douceur.

Ensuite, envisageons la structure : ces Nouvelles du jardin, écrites sur un assez long laps de temps, ne sont pas classées de façon chronologique. Les textes au contenu le plus apaisant ouvrent le recueil. Trois des quatre premiers récits ont en effet pour cadre le jardin et leurs drames concernent des animaux ou des végétaux. Il n'en va cependant pas de même du premier texte, ouvertement social, mais le cadre en est tout de même le foyer : l'angle de vue s'élargit dès la cinquième nouvelle pour atteindre la ville, Liège, puis Seraing. Après quoi viennent la Sicile ou un train traversant l'Italie. Il est alors notamment question d'immigration, légale ou clandestine, de pauvreté et de misère, d'ennui, de drague, de vieillissement, mais aussi d'urbanisation ou de politique. C'est donc petit à petit, en douceur, que Virone nous entraîne vers les sujets les plus graves.

Le style, lui aussi, concourt à ce double effet. Le style ou plutôt les styles. Carmelo Virone passe en effet avec une égale maîtrise d'une langue somptueuse, littéraire, qui voit de belles périodes naître, s'amplifier et se clore avec majesté, à une langue teintée d'oralité, multipliant les approximations ou les insistances expressives. Mais, dans un cas comme dans l'autre, l'écriture fonctionne comme un filtre adoucissant : qu'elle soit littéraire ou orale, jamais elle ne crie, quand bien même son message est terrible.

Quant au contenu, il est, à première vue, plutôt du côté du courage que de la douceur : courage d'aborder certains sujets difficiles et courage d'afficher le caractère local de la narration. Mais, à bien y regarder, on s'aperçoit que l'ensemble est parcouru par le thème de l'enfance, qui est toujours secondaire, en arrière-fond du récit, mais dont le souvenir baigne chaque drame d'un lait de douce nostalgie.

Enfin, il faut souligner le rôle joué par l'humour, qui dédramatise ce que le récit peut avoir de douloureux. Carmelo Virone manie l'ironie socratique en maître et il aime les jeux de mots. Ainsi, le « trou » qui a longtemps défiguré la Place Saint-Lambert est-il défini comme « l'image du principe ôté de la ville ». C'est dit en passant, sans être souligné : l'humour aussi se doit d'être caressant.

On l'aura compris, nombre des nouvelles de ce recueil doux et courageux ont pour cadre la région liégeoise. S'agit-il pour autant d'un livre régionaliste ? Je ne le crois pas. Faut-il vraiment que son action se déroule à New York, Londres ou Paris pour qu'un récit soit universel ? Pourquoi l'universalité se mirerait-elle dans les eaux de la Seine et pas dans celles du canal de l'Ourthe (très joliment décrites dans la dernière nouvelle du recueil) ? Quoiqu'il en soit, l'on retiendra, en refermant ce livre, que Liège, sous la plume de Carmelo Virone, est devenue la capitale de la douceur.

Laurent Demoulin
Février 2011

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Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du 20e siècle. 


 
 
Virone Carmelo, Des nouvelles du jardin et autres histoires locales, Cuesmes, Éditions du Cerisier, collection « Griottes », 2010.