De la présence des animaux dans la religion égyptienne
Dieu Anubis

Les divinités du panthéon pharaonique, comme tous les êtres de l'Au-delà, peuvent s'incarner ou se manifester dans diverses sortes de support terrestre, animal bien sûr, mais aussi végétal – ainsi que l'évoque la citation de Juvénal ci-dessus – minéral ou artificiel, comme une image ou une amulette magiquement animée. Le monde des anciens Égyptiens est ainsi un monde particulièrement rassurant, où les hommes ne se trouvent jamais seuls puisque les forces supérieures de la Nature s'y expriment constamment et sont omniprésentes.

Étant donné que, dans la pensée pharaonique, il n'y a pas d'arbitraire du signe, si un animal peut servir de manifestation terrestre à une divinité, c'est qu'il existe, forcément, une corrélation essentielle entre les deux. L'animal en acquiert donc un caractère sacré, mais il n'en est pas pour autant un véritable dieu ; il reste un moyen de communication de et avec la divinité. À partir du Nouvel Empire, au milieu du deuxième millénaire av. J.-C., ce principe va être récupéré par la piété populaire, lorsque les anciens Égyptiens cherchent un contact personnel et plus direct avec les divinités, ne se contentant plus de la relation institutionnelle et collective qu'établit la religion traditionnelle entre la société, tout entière, et le monde des dieux. Cette évolution religieuse vers une plus grande accessibilité du divin – qui se généralisera dans l'ensemble du bassin méditerranéen, pour aboutir au concept du dieu qui s'est fait homme – entraîne, dans le courant du premier millénaire avant notre ère, l'élevage de véritables troupeaux d'animaux sacrés (béliers, taureaux, faucon, ibis, crocodiles...) et l'inhumation de ceux-ci afin de transmettre à leur divinité tutélaire, dans l'Au-delà, une demande de faveur personnelle.

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Photographie et radiographie d'une momie de bébé crocodile conservée au Grand Curtius (inv. Égypte I-681b).

Ces pratiques, d'apparence zoolâtre, ne respectaient cependant pas toujours l'animal comme une véritable hypostase divine. En effet, il n'était pas rare que l'on fasse égorger un chat élevé, semble-t-il, dans cette perspective, afin de pouvoir ensuite l'enterrer pieusement, accompagné d'un billet destiné à solliciter un petit coup de pouce de la part de la déesse Bastet. Les fouilles des catacombes de ces animaux  plus ou moins  sacrés, révèlent par ailleurs régulièrement des faux, c'est-à-dire de fausses momies, où, par exemple, le faucon de la divinité locale a été remplacé par un autre volatile plus courant, quant il ne s'agit pas d'un simple amas d'os d'origines diverses, dont la forme générale évoque celle d'un falconidé momifié. Quelques textes de l'époque font d'ailleurs référence à des procès que subirent les prêtres malintentionnés qui se livraient à ce genre de commerce fallacieux, où l'animal était utilisé pour tromper l'homme au même titre que les dieux.

Anubis momifiant le défunt360

Enfin, pour comprendre la place de l'animal dans la religion pharaonique, il faut encore tenir compte de phénomènes purement iconographiques. Comme peu de chrétiens ont dû penser que le Christ fut un véritable agneau ou que Saint Luc avait une tête de bœuf, les intellectuels égyptiens n'imaginaient certainement pas leurs divinités comme des humains à tête animale. Il s'agit d'un symbole, d'une manière, parmi d'autres, de caractériser en image un aspect spécifique de la divinité, sous une forme qui représente, à l'évidence, un être hors du commun. Les divinités pharaoniques ont d'ailleurs souvent une iconographie variée et complexe, qui est censée évoquer des facettes différentes de leur personnalité et qui varie selon les contraintes du contexte iconographique : ainsi, quand un dieu doit être figuré en train d'effectuer une action de type humain, l'animal qui peut le symboliser reçoit un corps anthropomorphe, mais sa tête demeure inchangée, rappelant l'origine de la transformation. C'est suivant ce même principe iconographique que le roi peut se métamorphoser en sphinx lorsqu'il terrasse ses ennemis.

 
Anubis momifiant le défunt
tombe de Sennédjem à Deir el-Médineh.

Plus qu'un véritable dieu, l'animal dans la pensée de l'Égypte antique est donc avant tout un signe, manifestation tangible d'une force supérieure et moyen d'exprimer, fût-ce partiellement, certaines caractéristiques d'une divinité, dont la nature est fondamentalement incompréhensible, irréductible à une seule image, comme l'explique, à propos du dieu Amon, un papyrus conservé à Leyde : « Sa nature est inconnue. Il est plus éloigné que le ciel et plus profond que l'Au-delà (...). Son image ne peut être dévoilée par écrit et personne n'affirme quoi que ce soit de certain à son propos. Il est trop secret pour que l'on découvre l'ampleur de sa majesté, trop grand pour être examiné et trop puissant pour être connaissable ». L'animal était donc, aux yeux de l'Égyptien antique, une sorte de porte ouverte vers l'inconnu et tout ce qui nous dépasse.

Dimitri Laboury
Février 2011

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Dimitri Laboury est égyptologue, maître de recherches du F.R.S.-FNRS à l'ULg.

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