De la présence des animaux dans la religion égyptienne
Taouret - hippopotame

« Tout le monde sait, ô Volusius de Bithynie, que les dévots d'Égypte sont des fous, adorateurs de monstres, qu'ils se prosternent devant un crocodile, alors qu'un ibis gonflé de serpents suscite en eux des terreurs sacrées (...). Une ville entière vénère les chats, une autre un poisson du Nil ou un chien, mais personne ne vénère Diane. Malheur à celui qui violente un poireau ou met ses dents dans un oignon. Oh vous qui avez dans vos jardins des divinités à arroser, quel saint peuple vous êtes !  »

Juvénal, Quinzième satire

 
Déesse Taouret

Cette citation du poète satirique latin Juvénal montre que, depuis l'Antiquité, la place particulièrement importante réservée aux animaux dans la religion de l'Égypte pharaonique a toujours suscité en Occident un sentiment d'étrangeté et d'altérité, source certes de curiosité et d'intérêt, mais aussi – et surtout – d'incompréhension, voire, comme ici, de raillerie. Pour les anciens Grecs et les citoyens de la Rome antique, adorateurs de divinités anthropomorphes, à leur image, l'univers religieux des Égyptiens apparaissait la plupart du temps comme un monde peuplé de « monstres », objets de rites totalement étrangers à leur mentalité et à l'iconographie déroutante, combinant des corps humains à des têtes animales, quand il ne s'agissait pas de figurer un dieu ou une déesse sous l'apparence de l'animal lui-même.

1 Horus Edfou - Bilal - Stargate730Le dieu hiéracocéphale Horus, sur le mur de son temple à Edfou, dans une bande-dessinée (Enki Bilal) et dans un film (Stargate) de science-fiction.

 

st luc

En réalité, les représentations zoomorphes de divinités ne sont pas spécifiques à la civilisation pharaonique, puisqu'on les retrouve, par exemple, dans tout le Proche-Orient ancien, en Inde, dans la religion gréco-romaine – dont se revendique pourtant Juvénal – ou dans l'iconographie chrétienne, où le Christ peut apparaître comme l'Agneau de Dieu, le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe et les Évangélistes ou les saints avec une tête animale. Cependant, dans l'imaginaire collectif occidental, les dieux à l'apparence animale ou semi-animale restent encore aujourd'hui indissociables de l'Égypte antique et de son étonnante religion.

Bœuf représentant l'évangéliste saint Luc
portail de Notre-Dame de Paris

Celle-ci, comme toute religion – et comme la science elle-même, d'ailleurs – est avant tout un système explicatif du Monde, qui résulte des interrogations de l'être humain face aux forces en action dans son univers et qui, manifestement, le dépassent. En tant que telle, elle vise à permettre non seulement de comprendre les phénomènes, mais aussi d'entrer en contact avec les forces qui les animent, afin de pouvoir intervenir sur le cours « naturel » des événements. Dans ce processus d'apprivoisement du Monde, commun à l'ensemble du genre humain, la pensée pharaonique, sans doute sous l'influence des particularités du biotope égyptien, se représente le Cosmos comme une gigantesque machinerie en perpétuel mouvement sur elle-même et mue par des forces supérieures du domaine de l'Invisible, les véritables divinités, dont seules des manifestations sont décelables sur terre. D'une manière générale, les anciens Égyptiens concevaient d'ailleurs l'Univers comme étant composé de deux parties distinctes : l'Au-delà, domaine des dieux et des morts, où se trouvent les véritables essences des choses et des êtres, la vraie cause des phénomènes ; et l'Ici-bas, où seules des apparences changeantes et partielles sont perceptibles. De ce fait, leur réflexion était sans cesse à l'affût de ces signes tangibles qui traduisent et constituent la face visible, ici-bas, des réalités plus abstraites et, par définition, méconnaissables de l'autre monde.

En quête, donc, de manifestations signifiantes de l'Invisible, la pensée égyptienne, explique l'égyptologue bâlois Erik Hornung, reconnut dans les animaux « des médiateurs idéaux entre les deux sphères parce que leur manière d'être renvoie à des réalités qui dépassent de toutes parts les possibilités et les capacités de l'homme, lui procurant ainsi l'intuition et le présage d'un domaine qui le transcende et l'englobe. La religion de l'Égypte ancienne se sert des animaux soit dans leur réalité vivante, soit représentés par l'art pour communiquer quelque chose de la nature des dieux.» Dans cette démarche théologique, les anciens Égyptiens, qui vivaient en contact plus intime avec la nature que la majorité de nos contemporains, se sont révélés d'extraordinaires observateurs des particularités du comportement animal. Ainsi, pour ne citer ici qu'un exemple, ont-ils remarqué que la nèpe, une sorte de punaise aquatique, se servait d'un siphon caudal pour respirer sous la surface de l'eau ; à partir de cette observation éthologique, ils érigèrent l'animal en symbole de la déesse Serqet, « celle qui fait respirer » et rend le souffle de vie au défunt, que la mort a plongé dans l'asphyxie.

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