Mangerons-nous un jour des insectes ?

En Thaïlande, les insectes consommés présentent des teneurs en protéines situées entre 7 (œufs de fourmis) et 21 g (Coléoptères aquatiques) par 100 g de poids frais. Leur richesse en protéines peut donc se comparer à celle des œufs (14 g/100 g). Malaisse présente la valeur alimentaire des chenilles consommées en Afrique centrale : « La valeur protéique moyenne s'établit à 63,5 ± 9,0% du poids sec, les valeurs extrêmes étant respectivement de 45,6 et 79,6%; la moyenne lipidique se situe à 15,7 ± 6,3% oscillant entre 8,1 et 35,0% ... l'acide linolénique représente habituellement plus d'un tiers des acides gras... ».

Il reste néanmoins quelques défis à surmonter avant de voir les insectes coloniser nos assiettes en Europe.

 
chocolat Victor prepare un cake aux vers de farine360
Grillons champêtres (Achetus domesticus, Gryllidae) enrobés de chocolat - Victor prépare des cakes aux vers de farine (Tenebrio molitor)

 

Découverte culinaire

L'approche nutritionnelle ne peut se désintéresser des aspects gustatifs. À quoi servirait un aliment de grande richesse nutritionnelle si son goût le rend inconsommable ? Les insectes les plus consommés sont les Orthoptères (sauterelles, criquets), les larves de Coléoptères (charançons, longicornes), les chenilles et les chrysalides de Lépidoptères ainsi que les Hyménoptères (fourmis et larves d'abeilles), sans oublier les Termites. Les larves d'insectes présentent l'intérêt de posséder généralement une cuticule plus fine et donc moins croquante en bouche. Ce n'est pas un hasard si les grasses larves apodes (sans pattes) du charançon du palmier (Rhyncophorus phoenicis) comptent parmi les plus appréciées des Africains. D'autres insectes, au goût puissant, telles certaines punaises pentatomides (p.ex. Euschistus crenatoi) sont utilisées au Mexique comme épices.

Les habitudes alimentaires constituent l'un des intérêts majeurs des voyages. Les goûts et les saveurs constituent bien souvent des souvenirs impérissables que le voyageur recherche dès son retour au pays. Beaucoup se mettent alors en quête de restaurants ou de magasins spécialisés. Malheureusement, rares sont les pays européens proposant des plats préparés à base d'insectes. Seuls quelques magasins spécialisés, souvent situés dans les quartiers africains ou asiatiques, permettent de s'approvisionner en insectes boucanés, rarement en insectes frais.

Toutefois, un marché d'insectes alimentaires voit progressivement le jour en Europe. Aux Pays-Bas, les producteurs d'insectes se sont réunis en une association « Dutch Insect Breeders Association (Venik) ». Ils produisent pour l'instant plusieurs dizaines de tonnes de vers de farine (Tenebrio molitor, Tenebrionidae) pour le secteur avicole et, depuis peu, pour l'alimentation humaine.

La mondialisation aidant, on assiste toutefois à un métissage progressif des aliments et des goûts : kangourou, autruche, porc, antilope, lapin, bœuf, sanglier, castor... produits italiens, chinois, africains, nordiques... Comme de nombreuses populations consomment déjà des insectes avec un certain plaisir, Baruch souligne que, compte tenu du métissage de goûts, le rejet vis-à-vis de ce type d'aliment pourrait peu à peu disparaître dans les pays occidentaux. Selon lui, l'acceptation de cet aliment un peu particulier passe par une phase de déguisement ou de camouflage. Réduits en poudre, enrobés de sauce,  incorporés dans d'autres matrices alimentaires, les insectes sont méconnaissables par les populations et donc moins objets de répulsion.

Pas tous et pas n'importe comment

L'aspect  « santé » ou « sûreté alimentaire »  est à prendre en compte pour l'utilisation d'insectes dans l'alimentation humaine.  Certains insectes peuvent être à l'origine de troubles sanitaires, surtout s'ils sont consommés crus. Les Orthoptères, par exemple, peuvent transmettre des vers à l'homme. Ils se consomment donc de préférence après cuisson. D'ailleurs, comme les crustacés, les insectes sont meilleurs lorsqu'ils sont cuits plutôt que crus.

De plus, il ne faut pas croire qu'ils sont tous comestibles ! Certains constituent de véritables poisons et, comme pour les champignons, il s'agira de faire appel à un spécialiste afin de les identifier avant de les consommer. À l'instar d'autres arthropodes tels les crustacés (crevettes, crabes...), les insectes peuvent également provoquer des allergies, que ce soit par contact, ingestion ou inhalation. L'éleveur ou le consommateur veillera particulièrement à se méfier des larves poilues. Celles-ci sont traditionnellement passées au feu et lavées afin d'en éliminer les poils urticants.

Il faut savoir aussi que rapidement après leur mort, beaucoup d'insectes perdent leurs qualités gustatives et peuvent devenir fort désagréables à consommer. Il faudra donc s'en procurer des préparés, des séchés, des congelés ou mieux, des vivants conservés au réfrigérateur.

L'énoncé de ces quelques problèmes liés à la consommation d'insectes ne doit pas jeter le discrédit sur l'entomophagie. Ces défis sont en effet identiques à ceux encourus par tout acteur de la chaîne alimentaire et par tout consommateur non entomophage.

Un avenir prometteur

En raison de leurs fonctions écologiques et parce qu'ils constituent une excellente ressource alimentaire, les insectes sont actuellement considérés comme des éléments clés de ce qu'on appelle l'agriculture de l'espace9.

Les travaux récents sur la faible contribution d'un élevage d'insectes alimentaires sur l'émission de NH3 et de gaz à effet de serre accentuent encore davantage l'intérêt porté au marché de l'alimentation à base d'insectes10  Enfin, élevées sur des substrats secs, les espèces d'insectes privilégiées actuellement (Tenebrio molitor, Achetus domesticus) sont peu consommatrices en eau.  La production d'insectes alimentaires constitue donc une piste intéressante pour les éleveurs et les filières de productions animales, à la recherche d'alternatives durables et respectueuses de l'environnement.  Notamment, mentionnons les efforts à entreprendre dans les pays du sud afin de promouvoir la mise en place d'élevages, système de production durable permettant de limiter l'impact négatif que les prélèvements intensifs d'insectes ont sur la biodiversité des espèces.

Gageons que d'ici quelques années, nos habitudes alimentaires se modifieront. N'avons-nous pas emprunté à l'Orient ses épices, ses saveurs aigres-douces, ses fruits et plus récemment, ses poissons crus (sushi)? Quels seront les premiers grands chefs à proposer dans leur cuisine les chenilles et les succulentes larves des charançons du palmier ou de ténébrions ?

Éric Haubruge, Jacques Mignon et Frédéric Francis
Février 2011

Voir l'entretien vidéo avec Frédéric Francis pour la WebTV

 

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Éric Haubruge enseigne l'entomologie fonctionnelle et évolutive à l'ULg - Gembloux Agro-Bio Tech. Il a organisé des manifestations sur les insectes : FIFI, Les Insectes dans la ville, Les insectes sur les scènes de crime...

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Jacques Mignon est ingénieur agronome, spécialiste d'entomologie, attaché à la bibliothèque de Gembloux Agro-Bio Tech. Il a publié L'entomophagie, une question de culture ?

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Frédéric Francis  enseigne l'entomologie fonctionnelle et évolutive à l'ULg - Gembloux Abro-Bio Tech. Il a créé Hexapoda, le premier musée de l'insecte en Wallonie.





9 http://adsabs.harvard.edu/abs/2008AdSpR..41..701S
10 Oonincx D., van Itterbeeck J., Heetkamp M., van den Brand F., van Loon J., van Huis A. (2010). - An Exploration on Greenhouse Gas and Ammonia Production by Insect Species Suitable for Animal or Human Consumption. Plos One,  5, 12, doi:10.1371/journal.pone.0014445.t001

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