Mangerons-nous un jour des insectes ?

Pour beaucoup d'occidentaux, la consommation d'insectes est souvent considérée comme un comportement répugnant et provoque le dégoût.

Haidt, McCauley et Rozin4 ont montré que la seule présence d'un insecte dans l'alimentation provoque une réaction de dégoût. Ces chercheurs ont présenté un verre de jus de fruits à la surface duquel se trouvait un insecte, à une cohorte d'étudiants. Les observations faites lors de ce test (front plissé, commissures de lèvres orientées vers le bas) sont autant de caractéristiques du comportement de dégoût. Ni la stérilisation de l'insecte, ni son aspect artificiel (plastique) n'ont modifié les réactions de rejet chez les étudiants testés.

Plaisir pour les uns, répulsion pour les autres, le dégoût pour un aliment particulier n'est pas un comportement inné.  À titre d'exemple, les enfants doivent être éduqués à ne pas toucher leurs fèces ou encore à les mettre en bouche. Habitués dès notre plus jeune âge à ne pas toucher et à nous méfier des insectes et autres bestioles, il ne nous viendrait pas à l'idée que certains d'entre eux soient non seulement comestibles mais également d'une qualité gustative très appréciable : « Tous les goûts sont dans la nature et les dégoûts dans la culture5 ».

Il est excessivement difficile de détruire cette représentation occidentale de l'entomophagie, d'autant qu'elle se heurte aussi à la méfiance de l'homme, qui est un omnivore, pour tout aliment qu'il ne connaît pas.  Baruch6 souligne qu'un apprentissage social est nécessaire pendant plusieurs générations pour fixer la diversité des produits comestibles.

Précieuse ressource alimentaire pour l'avenir

Surmonter le dégoût des insectes exige donc du temps mais semble être déterminant pour la survie de populations humaines, car la nourriture à base d'insectes constitue, semble-t-il, une alternative alimentaire prometteuse pour l'homme.Lors d'une conférence en 2008, l'Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) a très récemment promu l'idée d'utiliser les insectes comme ressource alimentaire pour assurer la sécurité alimentaire mondiale dans les prochaines décennies.

dégustation
Dégustation d'insectes lors du Festival de l'Insecte 2007, Gembloux Agro-Bio Tech (ULg)

Près d'un milliard de personnes souffrent aujourd'hui de sous-nutrition. En Asie et en Afrique, la principale carence concerne les protéines animales. L'apport minimum quotidien de ces protéines est évalué à 35 g pour un homme de 70 kg (norme FAO). Sachant que certains insectes présentent des teneurs en protéines 3 à 4 fois plus élevées que le poulet et le porc, on comprend aisément l'intérêt que revêt l'entomophagie dans certaines régions.

Les populations n'ont pas attendu les analyses chimiques pour compenser les carences protéiques par la consommation d'insectes. D'un point de vue historique, on pense que les insectes « sucrés » ont eu la préférence des hommes préhistoriques. Ensuite, les insectes riches en graisses et lipides ont été recherchés, et enfin, plus récemment, ceux qui contiennent de fortes concentrations protéiniques7.

L'intérêt nutritionnel de l'entomophagie ne réside pas uniquement dans la richesse en protéines des insectes, mais aussi dans la qualité des lipides de certains insectes (faible taux de cholestérol), dans l'apport d'acides aminés essentiels (tel le tryptophane), dans la richesse en sels minéraux (Fe, Zn, Ca et P) ainsi que dans les fortes teneurs en vitamines B et D. Certains insectes sont également consommés pour leurs vertus médicinales. Ainsi Oldfield8 a montré qu'environ 4% des extraits provenant de 800 espèces d'arthropodes terrestres montrent des activités « anti-cancer ».

Suite à l'intérêt récent que portent les scientifiques et les nutritionnistes aux insectes comestibles, certains voient donc en eux une possibilité de résoudre le problème de la malnutrition dans le monde. Il est certain que la qualité nutritionnelle de ceux-ci et la possibilité d'en produire (ou d'en récolter) à bas prix permettraient de résoudre de nombreux problèmes de carences protéiques.



4 Haidt, J., McCauley, C. & Rozin, P. (1994). - Individual differences in sensitivity to disgust: A scale sampling seven domains of disgust elicitors. Personality and Individual Differences, 16(5), 701-713.
5 Martinez G., 2000. - La Cuisine des Insectes. Éd. J.P. Rocher, Paris, 124 pp.
6 Baruch J.-O. (2010). Les Européens préfèrent les crevettes aux sauterelles. Le Recherche, 443 : 81-83.
7 Meyer-Rochow V.B. & Changkija S. 1997. Uses of insects as human food in Papua New Guinea, Australia, and North-East India: Cross-cultural considerations and cautious conclusions. Ecology of Food and Nutrition, 36, 159-185.
8 Oldfield, M. L. (1989). The Value of Conserving Genetic Resources. National Park Service. Washington, D.C. Voir aussi : Costa-Neto E.M. (2005). Entomotherapy, or the Medicinal Use od Insects. Journal of Ethnobiology, 25 (1) : 93-114.

 

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