Grands singes, singes & Cie

Études à long terme, surprises choquantes et merveilles

Les primates étant longévifs, seules des études de longue durée permettent de capter certains comportements qui, pour rares qu'ils soient, n'en sont pas moins très importants pour comprendre l'évolution des espèces.  C'est ici que l'étude des « autres » primates, les « singes », se révèle aussi  passionnante. Depuis les « familles » de minuscules tamarins habitant les forêts amazoniennes, aux groupes de hurleurs exploitant avec persévérance les habitats mexicains de plus en plus fragmentés, jusqu'aux grandes troupes de babouins et de mangabeys dans les forêts denses d'Afrique centrale, ou aux troupes de macaques envahissant les habitats asiatiques agraires et suburbains,  toutes ont rapporté leur moisson d'énigmes à résoudre, de surprises choquantes et de merveilles à observer....

Plusieurs  espèces de tamarins cohabitent et exploitent chacune des « tranches » différentes du même habitat, bénéficiant sans doute des découvertes de nourriture de chacune, mais peut-être se défendant aussi mutuellement des menaces de prédation.  Chez cette espèce monogame, parfois polyandre, la femelle donne systématiquement naissance à des jumeaux et recrute l'aide de plusieurs males et d'autres membres du groupe pour prodiguer des soins à la progéniture. 

antilope

Les mangabeys de Centre Afrique  forment des troupes de plusieurs centaines d'individus et la clé de leur organisation sociale et de leur écologie reste encore à déterminer.  Les macaques crabiers se sont adaptés à la perte de leur habitat naturel et exploitent de plus en plus des milieux fortement anthropisés. Ils sont tolérés, haïs ou vénérés par leurs voisins  humains, selon les moments et les cultures.

Le régime alimentaire des primates est le plus souvent frugivore ou folivore et parfois plus généraliste, voire omnivore.  On connait depuis les observations de Jane  Goodall les comportements  de chasse coordonnée,  voire de canibalisme des chimpanzés.  Les babouins sont depuis longtemps connus pour leur capture occasionnelle de gazelles en savane.  Les mangabeys ont été récemment observés s'adonnant à la chasse et la  capture régulière de proies (petites antilopes, lapins) (Devrees , 2010).... Plus d'espèces que l'on ne croit – et parmi elles, des singes réputés végétariens jusqu'ici – consomment de la viande régulièrement et ont développé pour l'obtenir des « stratégies » sociales sophistiquées, jusqu'ici peu documentées.

Mangabey mangeant une gazelle © L. Devreese

Une des découvertes les plus troublantes que l'on doit aux études de l'écologie des primates est bien celle de l'occurrence d'infanticides dans les groupes de primates vivant en conditions naturelles.  Les premières observations chez des singes langurs dans les années 70 avaient créé un beau tollé.  Il a fallu des observations répétées et la découverte de ce comportement chez un nombre croissant d'espèces de primates, pour que l'idée même de l'infanticide se passant en milieu naturel soit reconnue et pour que son explication par un processus de sélection sexuelle soit progressivement considérée d'un œil serein, c'est-à-dire comme un phénomène répondant aux mêmes lois que d'autres comportements dits naturels, comme la compétition ou les alliances, et non comme le résultat d'un accident ou d'une perversion de la « nature ».  Au fil des études à long terme entreprises sur diverses espèces, il arrive donc encore que l'on rencontre de nouvelles espèces où l'infanticide peut se produire et c'est le cas d'une étude de Laurence Culot (Culot et al, 2011) qui a observé un cas probable d'infanticide chez une femelle tamarin, infanticide explicable par la carence des ressources nécessaires pour l'élevage du jeune.

Le rôle des primates dans le maintien de l'habitat

macaque

Si les trente dernières années ont beaucoup appris en matière d'écologie des primates, la vitesse de transformation de l'environnement nous oblige à nous tourner en priorité vers leur conservation, et au-delà, vers la mise en évidence de leur rôle dans le maintien et la régénération de leurs habitats.  Bien sûr, les primates ne sont pas les seuls, par exemple, à disperser les graines des fruits qu'ils consomment, dans des milieux propices à la germination, permettant ainsi à ces espèces d'optimaliser au mieux leur reproduction.  Mais de nombreuses espèces de primates sont parmi les rares à consommer les fruits à grosses graines, souvent appartenant à des espèces de  forêts primaires, celles-là mêmes dont la dégradation fait craindre le plus de perte en matière de diversité végétale.  On a démontré à plusieurs reprises que des forêts dont les communautés animales étaient altérées voyaient s'accélérer leur dégradation par carence de dispersion des graines. Des forêts sans primates sont donc privées de précieux agents de maintien de leur diversité. L'étude de ce rôle des primates permet donc d'élaborer des diagnostics de « santé » des habitats forestiers et à terme pourrait servir à formuler des recommandations aux gestionnaires publics.

Macaques © F. Brotcorne

C'est pourquoi bon nombre de nos projets sont maintenant orientés, en parallèle de l'étude du comportement et de l'écologie, vers ce rôle particulier de dispersion des graines. On espère ainsi, entre autres choses, démontrer l'utilité des espèces souvent mésestimées et entraîner un changement d'attitude envers elles.  C'est le cas par exemple de nos études portant sur le macaque à queue de cochon, utilisé par les cultivateurs asiatiques dans la cueillette des fruits, mais considérés comme des nuisibles et traqués dans leur habitat naturel, au risque de multiplier les zones où on peut le considérer comme éteint.

Que nous apportent en particulier nos études sur les primates ?

Qu'il s'agisse de primates n'est sans doute pas anodin.  Cependant, on ne peut considérer que ce fait  procure in fine un frisson très particulier, car en multipliant les observations sur des espèces très diverses, on ne peut qu'être de plus en plus convaincu du caractère essentiel des interactions entre toutes les espèces, animales et  végétales pour la conservation d'un équilibre du monde.  Comme tous les éco-éthologistes, ce que nous retirons sans doute est une curiosité et  un émerveillement constant devant la diversité et les ressources manifestées par des espèces. 

 Marie-Claude Huynen
Février 2011

 

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Marie-Claude Huynen enseigne l'éthologie sociale et la primatologie comportementale au département des sciences et gestion de l'environnement et est membre du Groupe de Recherche en Primatologie (Primate Research Group, PRG) de l'ULg.

 

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