Pour une approche relationnelle à l'abeille « domestique »
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Si la problématique du dépérissement des abeilles monopolise le devant de la scène, il se joue en coulisse des divergences de vue entre humains sur la manière de réaliser un diagnostic fiable ; entre des spécialistes qui tous deux entretiennent un rapport de connaissance à l'abeille bien différent.

En quoi le dépérissement de l'abeille intéresse-t-il le sociologue des sciences et des techniques ? La première réponse qui pourrait venir rapidement à l'esprit est que la colonie à laquelle elle appartient a toujours été pensée à travers les siècles comme un modèle d'organisation sociale, de discipline, de rigueur. Êtres sociaux par excellence, les abeilles sont entièrement dévouées à la perpétuation de la colonie, mais également à sa démultiplication (essaimage).  La ruche comme métaphore de nos sociétés a ainsi inspiré bien des écrivains, artistes, politiciens ou scientifiques. C'est donc cette relation symbolique forte qui fonde en première approximation notre rapport culturel à l'animal. Dans cette optique, l'abeille est une affaire de projections humaines : celle du mythe de la travailleuse infatigable entièrement dévouée à sa colonie ; celle d'une nourricière pourvoyeuse de miel ou encore d'une pollinisatrice naturelle d'une grande efficacité.

Le dépérissement aussi massif, qu'inexpliqué qu'Apis mellifera endure depuis une grosse quinzaine d'années et la controverse quant à ses causes, oblige à se poser de nouvelles questions et notamment des questions de type relationnel. Quels maux affectent les colonies ? Cette question – toujours non-résolue – implique de comprendre l'abeille et sa colonie, de comprendre son environnement qui devient pour elle une menace. Puisqu'elle ne peut s'exprimer elle-même selon notre propre langage, qui peut donc bien parler au nom de l'abeille, de ses (nouveaux) modes de vie, de ses menaces ? Tant dans une perspective de connaissance que de gestion, ces questions sont importantes. Deux acteurs s'imposent comme incontournables à ce sujet : les scientifiques (entomologistes) et également ces milliers d'apiculteurs amateurs ou professionnels qui élèvent et protègent leurs colonies au quotidien.

Mortalité versus dépérissement

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Ce sont les apiculteurs qui, les premiers, ont relevé certains dysfonctionnements qu'ils ont appelés  « le syndrome de la ruche vide » : au printemps, des ruches sont vidées mystérieusement de leurs abeilles. Le couvain (l'ensemble constitué des œufs, des larves et des nymphes), qui devait être l'objet de toute l'attention des ouvrières est complètement délaissé et meurt par manque de soin. Ils observent également des comportements de désorientation des butineuses. Ce syndrome est également appelé le Colony Collapse Disorder (CCD) par les chercheurs états-uniens.

Si ce type de phénomène inexpliqué semble être à l'origine d'une minorité des cas de dépérissement des abeilles, elle interpelle autant les apiculteurs que les entomologistes. En amont de la détermination et de la hiérarchisation des nombreuses causes possibles de ces maux, se situent les critères utilisés afin de réaliser le diagnostic. En Belgique, comme dans d'autres pays d'ailleurs, deux  conceptions du problème s'opposent,  qui reflètent deux manières différentes de se rapporter à l'abeille et sa colonie. En effet, les manières diverses de se rendre dépendant de l'abeille et de ses colonies deviennent fondamentales pour comprendre l'imbroglio institutionnel dans lequel elle se trouve plongée ; imbroglio dans la mesure où les commissions ministérielles belges qui ont été organisées avec les différents acteurs de la problématique n'ont jamais pu aboutir à des conclusions satisfaisantes pour ses membres.

Pour l'équipe d'entomologistes mandatée par la Région wallonne (FUSAGx) afin de mener des recherches sur ces disparitions, il s'agit de ne prendre en compte que les abeilles qui meurent. Et pour ce faire, il s'agit de mener à la fois des expériences de terrain et des expériences de laboratoire afin de mesurer le risque de toxicité aiguë des pesticides sur les abeilles (on applique une certaine dose de pesticide sur le corps des abeilles pour déterminer le moment où un nombre significatif de ces dernières décèdent). Les conclusions  – essentiellement statistiques – tirées de ces expériences favorisent l'hypothèse du caractère nécessairement multifactoriel de ces mortalités, tout en minimisant le rôle que peuvent jouer les pesticides.

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