Sirène, dragon et autres noms d'animaux merveilleux

Les animaux fabuleux font partie de notre univers culturel. Ils nourrissent notre imaginaire comme ils ont nourri celui de nos ancêtres. Les représentations mentales que nous en avons se manifestent à travers le vocabulaire de la langue. Ainsi, langue et culture interagissent : la langue est un élément constitutif de la culture et la culture est véhiculée notamment par  la langue.

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Pierre Amoudry, Le vaillant petit tailleur,  2005 © pierreamoudry.com (Publié avec l'aimable autorisation de l'artiste)


Il emporta une corde et une hache, alla à la forêt et dit encore une fois à ceux qu'il avait sous ses ordres de l'attendre dehors. Il n'eut pas à chercher longtemps, la licorne ne tarda pas à se montrer et bondit tout droit sur le tailleur, comme si elle voulait sans plus de façons l'embrocher.
 « Doucement, doucement, dit-il, ça ne se fait pas si vite que ça », il s'arrêta et attendit que la bête arrivât près de lui, puis il bondit prestement derrière un arbre. La licorne donna de toute sa force contre l'arbre, et enfonça sa corne si profondément dans le tronc qu'elle n'eut pas assez de force pour la retirer et se trouva prise. « Je tiens l'oiseau », dit le tailleur. Il sortit de derrière son arbre, passa d'abord sa corde au cou de la licorne, puis, à coups de hache, il dégagea la corne du tronc, et quand tout fut réglé, il emmena la bête et la conduisit au roi. (Grimm, Contes, Gallimard, 1990)

Ce court  extrait d'un célèbre conte des frères Grimm, Le vaillant petit tailleur, montre que le français – en l'occurrence, mais c'est vrai pour toutes les langues – permet non seulement de parler du monde qui nous entoure mais aussi d'objets qui n'existent pas dans la réalité. À propos de ces objets, ici l'animal licorne, il est possible de raconter des histoires, de décrire des actions ou des qualités.

dahu (c)Philippe Semeria

Comment cela est-il possible ? L'explication généralement proposée par les linguistes est celle des univers de croyance. Un univers de croyance est un ensemble de propositions, qu'elles soient énoncées ou non, sur lesquelles une personne, au moment où elle parle, peut porter un jugement de vérité, c'est-à-dire qu'elle peut les déclarer vraies ou fausses (Martin, Comprendre la linguistique, Presses universitaires de France, 2004, p. 125).

Prenons l'exemple de la chasse au dahu. Lorsqu'un individu encourage un autre individu à chasser l'animal imaginaire appelé dahu, deux univers de croyance entrent en opposition : l'univers de croyance A, celui du trompeur, pour lequel le dahu n'existe pas ; l'univers de croyance B, celui du trompé, pour lequel le dahu existe, pour lequel c'est un animal tout à fait réel, au point qu'on puisse le chasser. La présence, dans la langue française, de mots comme dahu et licorne montre que les objets ainsi nommés appartiennent aux univers de croyance des personnes qui connaissent ces termes et la culture qu'ils véhiculent. De la même façon, quelqu'un qui ne connaît pas Harry Potter ne saura pas que le vivet d'or est un minuscule petit oiseau de couleur jaune et le vif d'or, la petite balle de la taille d'une noix, pourvue d'ailes et conçue pour remplacer cet oiseau au jeu de balle et de balai appelé Quidditch.

Dahu © Philippe Semeria

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