L'animal et l'homme en Préhistoire

Bien qu'il s'en défende, l'homme est animal d'abord, par son origine, par sa nature, par ses besoins. Telle une maladie incurable, sa lucidité cherche à se dégager de ce statut, encombrant mais obligatoire : c'est le déchirement qui torture notre conscience, assorti sous de multiples formes au fil de son évolution, jusqu'à sa désignation explicite dans « le péché originel ». Pourtant, la pensée n'a pas le choix, elle doit être ambivalente ou se perdre. C'est pourquoi toutes les fonctions qui rappellent cette animalité se trouvent sacralisées dans nos sociétés, comme le repas de la dernière Cène ; dissimulées, comme la procréation ; ou ritualisées, comme la naissance et la mort. Ces points de contact avec la part animale de notre humanité, puisqu'ils sont inévitables, doivent être accrochés à une superstructure métaphysique, qui les anoblit en les rendant dignes de l'homme.

 

OTTE et NOIRET fig 1

 

Fig. 1. La vaste famille des primates présente une large gamme de mécaniques locomotrices, en perpétuelle quête de renouvellement. Une partie des primates a testé la bipédie ; elle a dû alors consentir des premiers « sacrifices », en rendant les autres animaux consommables. (D’après J. Hermann et H. Ullrich, 1991.)

Pire encore, la transmutation de la chair est une affaire purement humaine : à l'inverse de tous les autres primates, essentiellement végétariens, notre espèce, privée des ressources forestières, a dû tuer et consommer les proies animales dont elle ressentait pourtant la proximité vitale. La conscience humaine dû alors supporter, entretenir et assumer la notion de « sacrifice » qui prit mille formes au fil de son histoire, dont l'anthropophagie et la consommation symbolique du dieu fait homme. Toujours, il s'est agi, au sens physique comme dans la sphère spirituelle, d'un échange d'énergie au nom de la poursuite de la vie et afin de repousser l'absurdité du néant que la lucidité faisait surgir avec toujours plus de netteté. L'énergie vitale pour l'animal, énergie spirituelle pour l'homme, la manducation passait (et passe encore) par l'échange d'une vie contre l'autre. La solidarité mise à mal entre toutes ces composantes de la même vie, fut exprimée explicitement par toutes les mythologies forgées par les peuples prédateurs.

 

OTTE et NOIRET fig 2

 

Fig. 2. Le destin de l’humanité fut séparé du règne animal par de multiples jeux symboliques matérialisés. L’un des plus nets (ou des plus couramment admis) fut le fait sépulcral, qui isolait le corps des défunts, évitant de le transformer en chose, telle la viande. Dès le Paléolithique moyen et les Néandertaliens (vers 100.000 ans), cette étape fut franchie, mais la désignation du règne animal persiste via le dépôt funéraire, ici une mandibule de suidé. (Skhul, Israël, d’après D.A.E. Garrod et D.M. Bates, dans G. Clark, 1977.)

Ce que l'on sait de l'animisme originel ne fait qu'annoncer cette déchirure aux origines de toute métaphysique. Les cultes rendus aux animaux apparaissent aussitôt que les vestiges peuvent s'exprimer : par l'isolement de bucranes, par la conservation de crânes, par les dépôts funéraires, l'animal se trouve respecté, comme nous l'enseignent encore les coutumes sibériennes actuelles, les légendes celtiques ou nordiques où se mêlent et se transforment hommes et animaux selon les contingences.

 

OTTE et NOIRET fig 3
Fig. 3. L’image animale fut extraite de la mythologie orale et la figea en expressions plastiques perpétuelles. C’est alors ce substitut qui agira, telle une pensée magique, sur le monde réel. L’élaboration de cette grammaire métaphysique perce, par exemple, dans la constitution de scènes associant des animaux (cheval, bison), dans le jeu des symboles, des signes et des styles. En équilibre avec la nature, l’homme prédateur donne priorité à ces représentations, lui-même y apparaissant très peu et sous forme transfigurée (les masques). (Lascaux, relevé A. Glory, dans M. Lorblanchet, 1995.)

 


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